Cette année, Low fête ses vingt-cinq ans. On doit donc vieillir, voire même être sacrément vieux puisqu’on a l’impression d’avoir toujours vécu avec eux. Comme l’ami Dumez, qui a encore une fois raison, on aime Low et Yo La Tengo avec la même tendresse très particulière. Ces couples animés par la passion de la musique à faire ensemble, c’est très étonnant. Et je ne parle pas de la référence au Velvet. Donc, quoi qu’il arrive, on écoute leurs disques, pire on les achète, et on ne manque pas un de leurs concerts. C’est alors la réunion familiale annuelle, la cousinade. Il y a du bon et du moins bon (« C’mon ») mais on ne boude jamais le plaisir de les retrouver.
Contrairement à Yo La Tengo, et c’est quasiment de l’ordre de la métaphysique, du moins du religieux, Low ressuscite souvent. Sans vraiment mourir d’ailleurs. C’est la force de nos mormons chéris (pour une fois qu’on peut les aimer, profitons-en) d’incarner la puissance christique dans leur musique. Pour ceux que les similitudes intéressent, on rapprochera la pochette de « Double Negative » avec celle de « Popular Songs » : un même morceau de plastoc au caractère morbide.
Ils ont frôlé, on s’en souvient, la mort clinique après le concert parisien pour la tournée de « The Great Destroyer », un disque toutes guitares dehors, dans la lignée du révolutionnaire « Trust », avec un tube bruitiste, « Canada ». Avait suivi le grand disque de renaissance, presque électronique, « Drums & Guns », avec des concerts tendus comme une corde de piano, toujours à la limite du pétage de plombs. avec un bassiste qui ne trouvait pas sa place, toujours à deux doigts de quitter la scène pendant que Sparhawk triturait ses machines pour retrouver leur musique. C’était souvent éprouvant mais diablement vivifiant et surtout très émouvant de voir un groupe important tout remettre sur le tapis, une nouvelle fois (on était tellement loin du slowcore discret des débuts…) pour se relancer, presque sans filet. Je garde toujours en mémoire ces concerts parisiens et malouins parce que dans cette imperfection et cette incertitude, il y avait quelque chose de formidablement beau et fort. Le refus de la résignation et de la peur de la fin peut-être. C’était leur Winterreise.
Je ressens la même chose à l’écoute de « Double Negative ». Il y a eu de bons disques (« The Invisible Way »), voire de grands disques depuis (lire l’interview, à défaut de chronique, de « Ones and Sixes »), mais dès la première écoute du titre « Quorum », on sent que Low a encore fait valser ses habitudes, voire a versé de grandes rasades de vitriol sur le disque.
Un magma de vrombissements hachés couvrent les voix effacées, maltraitées de Mimi et Alan. Ce n’est plus vraiment Low, c’est Luc Ferrari qui produit un album de musique concrète avec Stephan Mathieu qui fournit des souffles de platines, pour servir de base à un album d’abstract hip hop. On pense d’ailleurs au « travail » de William Basinski sur « Disintegration Loops » sans le côté poseur car Low travaille (pour) les auditeurs et toujours avec le cœur, en mettant leurs tripes sur la table et cela se sent, peut-être encore plus avec un album a priori plus ardu.
Je ne sais pas si ça ravira les fans du slow core susurré de la première époque mais moi ça me met dans un état de surexcitation démentiel. Il faudrait d’ailleurs le faire écouter à des fans de hip-hop plutôt qu’aux apôtres orthodoxes (y en a-t-il ?) de Low. On sait les Low fans de ce style pourtant à des années lumières de leur productions… jusqu’à ce jour du moins.
Quelle audace de tenter ça, d’aller chercher ailleurs ! Je revois Radiohead triturant ses titres sur le plateau de “Nulle Part Ailleur”s pour la sortie d’« Amnesiac », ce qui m’avait en partie réconcilié avec le groupe car j’étais très fan de « Pablo Honey » et de « The Bends » et de leur côté lyrico-indie, sensible et furieux. Je les avais en revanche complètement lâchés sur leurs albums dits sérieux, dits ambitieux, et cette fraîcheur, cette nouvelle donne, voire ce sabordage, de « Kid A »/ »Amnesiac » m’avait électrisé.
Je pense aussi à Sylvain Chauveau qui est revenu (c’est relatif) presque à un format chanson (« Post Everything ») alors que Low n’a jamais été aussi loin dans l’expérimental sans se vautrer dans la pose ou l’ennuyeux (Radiohead, encore). Pour des ploucs d’Arizona, comme ils aiment tant à se décrire, c’est fabuleux.
L’album évolue dans cette soupe primordiale bruitiste-là, les voix luttant toujours contre le flot, quelques fois émergeant miraculeusement (« Fly », presque du Flaming Lips, tout aussi rednecks d’ailleurs, de ces dernières années, toujours aventureuses) puis replongeant (« Tempest », ou l’instrumental « The Son, The Sun »). C’est follement libre. C’est organique et minéral, métallique et mécanique comme sur « Dancing & Blood » (peaux et glitches ?).
On nage la brasse dans des basses pleines, des saturations, des distorsions, du vocoder même (toujours la piste rap). Il faudrait que Scott Walker (car « Soused » est presqu’un parcours de santé à côté) et David Sylvian écoutent ça parce que les bouseux de Duluth ont trouvé un sacré beau pâturage expérimental, une nouvelle Jérusalem, avec la source de l’Agneau mystique sonique et les mormons y boivent de pleins gallons. Chose encore plus étonnante, « Double Negative », pourtant fait de matière noire (les textures, les textes), est hyper enthousiasmant et porteur d’espoir car c’est le geste créateur ici qui prévaut et aussi parce que la signature de Low y est partout comme régénérée. Elle émerge toujours, surnage même, comme les voix dans le magma. « Disarray », chanson finale, est simplement glorieuse : c’est la victoire de la voix, humaine donc forcément divine, sur le bruit, sur le mécanique. C’est la leçon de l’album et ça vaut une encyclique.
« Double Negative » n’est peut-être pas le meilleur album de Low de ces dernières années mais c’est une vraie (ré)jouissance de les savoir encore capables de nous surprendre vraiment et profondément. Low, c’est la vie.
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