Avec l’aide de Jorge Elbrecht, Jack Tatum donne vie à ses fantasmes de néo-pop eighties lustrée sans s’y perdre.
Sorti en 2010, “Gemini”, le premier album de Wild Nothing – alias Jack Tatum – séduisait d’emblée par son fragile équilibre entre ses moyens limités (home studio, boîtes à rythmes façon Sarah records, voix pas toujours juste, son lo-fi) et ses grandes ambitions : une quête de la pop-song néo-new wave parfaite qui n’était pas loin d’aboutir, ne serait-ce que sur le merveilleux single “Summer Holiday”. On pensait que le petit miracle ne pourrait être reproduit, d’autant que le relatif succès de l’album permit à son auteur d’avoir les coudées plus franches. Tatum s’en est toutefois bien sorti, alignant des disques plus polis sans être trop lisses, toujours conçus avec beaucoup de soin. Et si son style ne s’est jamais beaucoup éloigné d’une agréable dream pop midtempo trempée dans les années 80 (tendance également représentée au début de la décennie par Violens, Twin Shadow, School of Seven Bells, Washed Out ou Neon Indian), il a su faire quelques pas de côté bienvenus. Ecouter à cet égard la ballade “Through the Grass” (“Nocturne”, 2012), l’intro répétitive de “Reichpop” (“Life of Pause”, 2016), ou les expérimentations du mini-album “Empty Estate” (2013).
Quatrième album de Wild Nothing sorti comme les précédents chez Captured Tracks, “Indigo”, ne marque pas vraiment un changement de cap. Son maître d’œuvre semble toutefois y préciser ses intentions et sortir sa musique des brumes impressionnistes où elle flottait jusqu’ici, même si elle baigne toujours dans la même mélancolie de fin d’été. A l’instar de la voix plus en avant, les références sonores aux années 80 sont plus assumées, bien que l’Américain affirme avoir voulu réaliser un album “hors du temps”, comme ceux de Roxy Music ou Kate Bush, aidé en cela par l’inclassable Jorge Elbrecht (Violens, entre autres). Pour Tatum, “Indigo” est “un classique album de studio”, enregistré en fait assez vite, mais sans doute beaucoup retravaillé ensuite.
Ceux qui n’ont jamais vu dans la musique de Wild Nothing qu’un filet d’eau tiède n’auront pas vraiment de raisons de changer d’avis, et pourront même s’énerver sur la production tout confort made in L.A., la présence de saxophones, et les paroles qui s’interrogent mollement sur les relations amoureuses ou notre rapport aux nouvelles technologies – thèmes abordés par la plupart des musiciens middle class américains aujourd’hui. On préférera retenir des mélodies toujours aussi tubesques (surtout sur la première moitié de l’album : “Letting Go”, “Oscillation”, “Shallow Water”, “Partners in Motion” et son petit côté Tears For Fears…), une inspiration imperméable aux tocades du moment – sinon, le groupe jouerait sans doute du psyché-garage –, et une incorporation habile des influences. A ce titre, “Wheel of Misfortune” est sans doute le plus beau doppelgänger de Prefab Sprout qu’on ait jamais croisé, comme si Tatum et Elbrecht avaient regardé par-dessus l’épaule de Thomas Dolby vers 85-86 et pris des notes (ce qui est peu probable, ils étaient alors à l’école primaire). Avouons que mettre ses pieds dans les grandes pompes de Paddy McAloon, ce n’est quand même pas donné à tout le monde.