L’Ecossais Bill Wells livre avec ce nouvel album du National Jazz Trio Of Scotland, « Standards Vol IV », une musique déroutante entre accents sixties, easy listening et frissons inclassables.
C’est Bill Wells lui-même, le leader du National Jazz Trio Of Scotland, qui le dit. Il a bien plus à faire avec le rock indé qu’avec le jazz. Il sera bien difficile de trouver dans les quatre albums du trio la moindre trace de jazz. Ce n’est d’ailleurs même pas un trio. Se cache derrière ce titre un peu ronflant et volontiers ironique sans doute un des grands secrets cachés de l’Ecosse. Il a collaboré avec les géniaux japonais Maher Shalal Hash Baz, les Pastels, Isobel Campbell ou encore Aidan Moffat.
« Standards Vol IV » est toujours sur le fil, au bord pour ne pas dire à la limite de l’anecdote. Des oreilles hâtives qualifieront tout cela du terme easy listening, en gros une espèce de mot fourre-tout quand on ne sait trop donner du sens à la multiplicité des influences. Vous savez, un peu comme quand vous allez chez le médecin avec cette vilaine quinte de toux qui vous terrasse depuis quinze jours et que d’un air sentencieux et mystérieux, le praticien vous posait les faits avec fermeté : « C’est sûrement viral« .
Ce qui est assurément viral à l’écoute de « Standards Vol IV », c’est le plaisir ressenti à l’écoute de ces mélodies faussement simplistes mais en réalité bien plus déliées qu’elles n’y paraissent. Kate Sudgen qui pose sa voix sur la majorité des titres ranime les vieux souvenirs d’une Blossom Dearie, une féminité qui, à défaut de s’affirmer par la sensualité, a des accents d’enfance. On y entend aussi un minimalisme volontiers désuet, lorgnant du côté des sixties de Burt Bacharach à Harry Nillson mais aussi une forme de prolongation de cette histoire de la pop racontée par Jim O’Rourke sur « Eureka ».
Le disque alterne les lignes claires et les circonvolutions plus savantes. On s’attardera longtemps sur cette relecture du « Summer’s Edge » de Richard Youngs, preuve encore une fois qu’une bonne mélodie résiste à tous les outrages. »Standards Vo lIV » joue sur la durée, des minuscules interludes au bord du presque-rien suivis de longues mélopées à la fois vaines et pertinentes. Il se cache derrière ces lignes un peu neurasthéniques pas mal d’humour comme sur « Sog », trait d’union possible entre Mùm et Kevin Ayers.
On pensera souvent à Lucky Pierre alias Aidan Moffat (avec qui Bill Wells collabore régulièrement) pour cette juxtaposition sous forme de copier-coller empruntant aussi bien à des génériques de séries anciennes qu’à des structures provenant de la musique classique. Tout relève du mensonge ou de la volonté de rupture sur « Standards Vol IV » comme « A Quiet Life » qui démarre comme une fanfare appauvrie et se métamorphose en une forme pop.
Vous trouverez peu de disques en 2018 où vous y croiserez aussi bien Eden Ahbez qu’un jazz vocal féminin ou une volonté de fuir les bienséances. Le seul nom qui me vient au moment où j’écris ces mots, ce serait Cosmo Shelldrake pour, dans son genre, une envie de perdre ses repères.
Alors certes, comme un bonimenteur, Bill Wells vous vend l’article : « Allez viens écouter mon trio de jazz écossais, cela sent bon le be bop et les cuivres !!! » On peut imaginer la déconvenue de celui qui prendra pour argent comptant les discours spécieux du monsieur. Mais se priver d’un mensonge aussi délicat et aussi précieux serait bien pire encore. Des mensonges comme ceux-là, on en réclame encore et encore !