Jack Cooper s’est échappé d’Ultimate Painting pour enregistrer “Sandgrow”, son premier album solo. Dans cet entretien, il évoque sans fard les incertitudes qui le rongent, le plaisir de se retrouver seul pour cet album et son désir, plus jeune, de devenir un membre de The Fall – bon, là, malheureusement c’est râpé.
Les Stone Roses ont été le groupe qui a tout changé pour toi. Ils t’ont donné envie de devenir musicien. Pourrais-tu nous dire pourquoi ?
Jack Cooper : Très jeune, j’écoutais les disques que ma mère possédait à la maison. Principalement de la musique des 60’s. The Beatles, The Kinks, The Beach Boys, The Zombies. The Stone Roses est le premier groupe contemporain que j’ai écouté qui me rappelait autant tous ces groupes. J’avais 14 ans, c’était après le raz-de-marée provoqué par leur premier album. Je connaissais tous ses titres et les faces B des singles par cœur. C’est avec ces chansons que j’ai appris à jouer de la guitare. Comme toute leur armée de fans, j’ai attendu de nombreuses années qu’ils sortent leur deuxième album, “The Second Coming”. J’ai été déçu. Il n’était pas vraiment bon.
Quel champ musical cette passion pour les Stone Roses t’a ouvert alors que tu commençais à apprendre la guitare ?
Je dévorais leurs interviews. Elles m’ont dirigé vers des albums spécifiques, les Roses citant souvent des références les ayant influencés. “Forever Changes” de Love, “The Notorious Byrd Brothers” de The Byrds. Dans un deuxième temps, je me suis amusé à écouter les groupes qui ont inspiré The Byrds et Love. J’adore ce genre de chasse au trésor.
Tu fais partie d’Ultimate Painting, tu as collaboré avec d’autres (Beep Seals, Mazes). Pourquoi avoir voulu te lancer en solo ?
Je ne sais pas vraiment (pause). J’ai davantage confiance en mes capacités de musicien aujourd’hui. Je compose plus que par le passé. Avec Ultimate Painting, j’ai tendance à écrire les chansons les plus rapides pour contrebalancer celles de James (Hoare, ndlr). Sinon, nos albums seraient trop calmes et difficiles à jouer en live. J’ai fini par accumuler des chansons calmes et introspectives que je ne pouvais pas utiliser. Il y avait un concept commun entre tous ces titres, mon enfance et la ville de Blackpool. Tout est parti de là. La conception du disque a été facile. Je n’ai eu qu’à composer quelques titres supplémentaires pour rendre le projet plus cohérent.
Ce thème de ton enfance à Blackpool semble t’obséder. On le retrouve dans tes autres projets. Pourquoi ?
J’aime regarder en arrière. Ça me donne une bonne perspective sur la personne que je suis aujourd’hui.
As-tu cherché avec les chansons de “Sandgrow” à clôturer un cycle ?
Oui. Car c’est paresseux d’écrire tout le temps sur les mêmes sujets. Je me sens bien quand je regarde dans le rétroviseur. C’est une zone de confort dont il faut que je sorte. Ça va être compliqué de bousculer mes habitudes.
Quel regard portes-tu sur cette ville aujourd’hui ? T’y sens-tu toujours à la maison ?
Quand j’y habitais, Blackpool était encore une destination prisée par les classes populaires pour les vacances, mais déjà sur le déclin. La ville a connu ses heures de gloires au XIXe siècle et ça a duré jusqu’aux années 70. L’ère Thatcher a planté un premier clou dans le cercueil, avant que l’accès aux vacances à l’étranger à moindre coût ne finisse d’achever la ville. Quand j’y retourne, mon naturel nostalgique est souvent remplacé par un énorme sentiment de tristesse. C’est l’opposé de l’image que l’on se fait d’une ville du bord de mer où les gens venaient s’amuser. On a l’impression que la ville a été rayée de la carte. L’écart entre la richesse de la ville de mon enfance et celle de Londres est sidérant.
Qu’as-tu retiré de cette expérience en solo ?
Ne pas être obligé de me plier aux attentes que l’on a envers moi est appréciable. Je suis un éternel insatisfait. J’ai ressenti un sentiment de frustration à la fin de chaque album enregistré avec un groupe. Je n’arrive pas à m’enlever de la tête que j’aurais pu faire mieux ou différemment. Étonnement, avec “Sandgrow”, je suis satisfait. Je n’en changerais pas la moindre note. A tel point que je ne sais pas s’il y aura un deuxième album solo un jour. Je ne dis pas que c’est le meilleur album du monde, mais aujourd’hui je suis incapable de faire mieux.
Tu sembles enclin naturellement à la nostalgie, au doute. N’y a t-il aucun domaine dans lequel tu te sens à l’aise ?
J’ai un manque terrible de confiance en moi dans tous les aspects de ma vie. Sauf pour trouver des mélodies pour mes chansons. Je n’ai qu’une seule certitude, celle d’être un bon mélodiste. Mon mode d’écriture est le même que lorsque j’avais 20 ans. Je suis juste meilleur pour mettre mon travail en forme.
Tu as enregistré “Sandgrow” sur un 4-pistes. Tu utilisais ce type de magnétophone quand tu as débuté à Blackpool. Etait-ce pour toi un moyen de reproduire des émotions qu’un matériel plus complexe n’aurait pu t’apporter ?
C’est un écho à la personne que j’étais quand j’ai commencé à enregistrer. A l’heure où tout le monde enregistre sur un iPad, travailler sur un magnétophone à bandes me donne l’impression d’avoir réalisé quelque chose d’important, une sorte d’acte militant.
Tu n’as pas utilisé n’importe quel matériel. Ton choix s’est arrêté sur un Teac 144. Bruce Springsteen a enregistré “Nebraska” avec ce modèle. Pourquoi l’avoir choisi ?
C’est le premier magnétophone quatre-pistes à avoir été commercialisé massivement sur le marché. Il est très simple à utiliser et il apporte un excellent son à l’ancienne. Le choix du Teac n’est absolument pas lié à “Nebraska” car je n’aime pas vraiment Bruce Springsteen. Le Wu-Tang Clan l’a aussi utilisé pour l’enregistrement de son premier album, “The Return of the 36 Chambers”. C’est un de mes albums préférés.
Tu as participé à l’enregistrement d’un album solo sorti récemment, celui d’Andrew Savage de Parquet Courts. Pourrais-tu nous parler de cette expérience ?
Ma femme était une amie d’Andrew à l’époque où il jouait avec les Teenage Cool Kids et habitait au Texas. Du coup, quand Parquet Courts a joué à Londres pour la première fois, ils sont venus dormir à la maison pendant une semaine. Ils sont devenus des proches. Ultimate Painting a tourné avec eux par la suite. Andrew m’a proposé de jouer de la guitare et du piano sur son album solo. Nous avons collaboré comme dans un groupe. Il était ouvert à mes suggestions. On a passé un excellent moment en studio.
Mark E Smith, figure importante de la musique du nord de l’Angleterre, nous a quittés récemment. Etais-tu un fan de The Fall ? Sa disparition t’a-t-elle affecté ?
Ça m’a fait un choc, même si je ne l’ai jamais rencontré. Je suis un fan du personnage et de The Fall. Il m’a inspiré par sa musique et sa singularité. Son humour acerbe n’était pas compris de tous. Quand j’habitais Manchester, mon rêve le plus fou était de devenir un membre de The Fall. Ce n’est jamais arrivé, mais j’ai rencontré par hasard six ou sept membres du groupe. La légende qui dit qu’à Manchester tu te trouves toujours à moins de 500 mètres d’un ex membre de The Fall est peut-être vraie.