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Interviews

The Last Dinosaur, sur la terre comme au ciel

Assis dans le salon d’un hôtel du 9e arrondissement dont l’aspect cosy contraste avec la froide grisaille du dehors en ce mois de décembre, Jamie Cameron et Rachel Lanskey, venus respectivement avec guitare et violon, ont l’air de deux jeunes Anglais on ne peut plus ordinaires. Ils ont pourtant enregistré, avec leur compère Luke Hayden, l’un des albums les plus miraculeux de l’année 2017 : “The Nothing”, signé The Last Dinosaur (pochette ci-dessous).

 

The Last Dinosaur est avant tout la création de Jamie, qui cohabite avec ses diverses activités professionnelles (photographe, auteur, il travaille aussi pour Spotify, entre autres). “The Nothing” est d’ailleurs un disque très personnel, puisqu’il y évoque la mémoire d’un de ses meilleurs amis, James Macdonald, mort en 2005 dans un accident de voiture. Quand on lui demande s’il ne craignait pas que ces textes tirés d’une expérience vécue et évidemment douloureuse puissent rebuter les auditeurs potentiels (même si l’album est en partie instrumental), il répond qu’il n’y a pas trop réfléchi. « Les musiciens que j’aime ont fait des disques sans vraiment penser à ceux qui les écouteraient. Moi, c’est pareil. On peut trouver cela égoïste, mais je pense que le meilleur art est fait par des gens qui sont tellement impliqués qu’ils ne prennent pas en considération le monde extérieur. Pour moi, plus c’est personnel, intime, mieux c’est. Et pourtant, la vaste majorité de la musique actuelle n’est pas comme ça. Bien sûr, ce qui est fort, c’est d’arriver à rendre le sujet universel. Tout le monde n’a pas fait l’expérience de la perte d’un proche dans sa jeunesse, mais ce sont des émotions que chacun peut éprouver. »

Le rythme de travail de The Last Dinosaur nous rappelle presque celui de leurs compatriotes de Flotation Toy Warning, également de retour cette année (ne connaissant pas ce groupe malgré sa grande curiosité, ou en tout cas ne l’ayant jamais écouté, Jamie s’empresse de noter le nom dans son téléphone). “The Nothing” arrive en effet sept ans après un premier essai plus expérimental et moins abouti, qui nous avait échappé. Pourquoi autant de temps ? « Jamie ne pouvait pas obtenir le son qu’il souhaitait en enregistrant chez lui, à l’inverse de l’album précédent où je n’étais d’ailleurs arrivée qu’en cours de route, explique Rachel. L’argent d’un contrat d’édition nous a permis de nous payer des heures de studio, mais le processus a été beaucoup plus lent. Et puis nous avions tous d’autres activités à côté. » Jamie précise : « Nous avons dû transférer sur ordinateur des enregistrements 16-pistes, les décomposer puis les recomposer en ajoutant des éléments. Nous avons beaucoup tâtonné, et appris au fur et à mesure. »

La violoniste poursuit : « L’enregistrement en lui-même a dû prendre deux ans. Puis les morceaux ont été mixés, mais ça ne sonnait pas comme on voulait. C’était frustrant, après y avoir passé autant de temps. Heureusement, Jamie a trouvé un type à Cambridge, la ville dont nous sommes originaires. Il a refait le mixage d’un des morceaux de l’album, “The Sea”, et là ça correspondait parfaitement à ce que nous avions imaginé. Nous étions déjà en 2015, et il a fallu encore quelques mois pour arriver à un résultat totalement satisfaisant. » Si quelques musiciens amis sont venus prêter main forte pour les cordes et les cuivres, l’essentiel du disque a été enregistré en trio, en empilant les couches pour obtenir par endroits (l’impressionnante coda de “Wings”, notamment) une densité quasi orchestrale.

Elevé au son du folk qu’écoutaient ses parents, Jamie cite Talk Talk, The Blue Nile, R.E.M., Red House Painters (et le label 4AD plus généralement), Rachel’s ou Broken Social Scene parmi ses influences. Si on les entend en effet dans sa musique (le goût du silence et de l’atmosphère, le dépouillement acoustique, les arrangements de cordes, une certaine gravité sans esprit de sérieux…), la plus évidente est sans doute Sufjan Stevens : des morceaux comme “All My Faith” ou “We’ll Great Death” ne dépareraient pas un disque de l’Américain. Et le deuil d’un proche (sa mère, en l’occurrence) était aussi l’inspiration principale de son dernier album, le bouleversant “Carrie & Lowell”. Jamie confirme en grande partie l’héritage : « Vers 2004-2006, Luke et moi l’écoutions beaucoup. J’adore particulièrement son album “Seven Swans”. Quand “Carrie & Lowell” est sorti, je n’avais plus un lien aussi fort à sa musique, depuis “The Age of Adz”, je pense. Et je crois de toute façon que notre album était à peu près terminé à ce moment-là. Enfin, pour moi, ça reste un génie. »

L’instrumental “The Body Collapses” évoque quant à lui Steve Reich. Son auteur acquiesce, mais affirme que cela est fortuit et qu’il ne s’en est rendu compte qu’après l’avoir enregistré. « J’aime bien l’idée d’avoir réussi à écrire un morceau qui, toutes proportions gardées bien sûr, évoque son travail, une composition comme “Music for Eighteen Musicians”. Il n’y a vraiment rien de compliqué ou de virtuose dans notre musique, nous aimons simplement expérimenter avec la répétition de motifs mélodiques. Les idées simples sont souvent les meilleures, et en les combinant on obtient parfois quelque chose de spécial. »

Si Jamie reste comme Sufjan Stevens ou Steve Reich le seul architecte de sa musique, The Last Dinosaur est enfin en train de devenir un véritable groupe. « Nous avons joué il y a quelques semaines en tête d’affiche à Londres, pour le site web The Line of Best Fit, raconte-t-il. C’était la première fois que nous étions autant sur scène, sept musiciens, et c’était vraiment incroyable. Nous avons très envie de refaire ce genre de concerts. » Rachel reprend : « Jusqu’ici, nous avions surtout joué des sets acoustiques en duo ou trio. Nous allons sans doute continuer à le faire, notamment pour des sessions [ils venaient justement d’en enregistrer une pour POPnews, visible ci-dessus], mais avec un groupe complet il est évidemment plus facile de rendre les arrangements du disque. La formule est flexible, nous pouvons donc nous produire aussi bien dans des bars que dans de grandes salles – qui nous attirent davantage aujourd’hui. Nous avons vraiment gagné en confiance et, après cette longue gestation, l’avenir nous apparaît très excitant. » Si leur disque a jusqu’ici été surtout remarqué par la presse britannique, Jamie et Rachel espèrent bien venir le défendre ailleurs en Europe en 2018. Et comme son nom le suggère, The Last Dinosaur pourrait bien laisser une empreinte immense chez ceux qui auront la chance de le découvrir.

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