Martin Carr voit le jour en Écosse sous une bonne étoile pop : le Double Blanc et « The Village Green Preservation Society » sont publiés juste avant sa naissance. Il grandit près de Liverpool et s’installera ensuite au Pays de Galles. Ce Britannique polymorphe et pro-Remain nous offre un nouvel album sombre et tendre : « New Shapes Of Life ». Fruit d’une longue introspection, le disque est aussi planant (réhabilitons cet adjectif!) et lumineux à ses heures. Près de vingt ans après le split des Boo Radleys dont il était l’éminence grise, Martin Carr se confie : on y parle Bowie, dépression et fade-out. Histoire d’une renaissance.
Contrairement aux autres albums, tu as d’abord écrit les paroles pour celui-ci : pourquoi ?
Parce que j’avais une idée précise des thèmes que je souhaitais explorer. D’habitude, j’écris les paroles quand j’ai la mélodie mais cette fois, je voulais que les mots soient les locomotives des chansons, et non la musique. Cette technique a plutôt bien marché car, si vous avez en magasin des textes que vous n’êtes pas tenté de changer, vous devez tordre la mélodie pour qu’elle épouse les paroles : ça m’a obligé à travailler différemment et pour un artiste, c’est très important.
L’an passé, le monde musical a été dévasté par le décès de David Bowie. Tu mentionnes deux influences principales sur ce disque : l’immense David et plusieurs types de soul music (Northern, Philly, Motown). « The Main Man » : est-ce une référence directe à Bowie ? « A Mess Of Everything » peut rappeler les Miracles ou Smokey Robinson solo.
J’ai écouté exclusivement Bowie dans les mois qui ont suivi sa mort. Ce qui m’a frappé, c’est son incapacité, consciente ou pas, à rester en place. Il évoluait et se réinventait sans cesse. Ce que j’avais arrêté de faire car je cherchais constamment des plans pour gagner ma vie. En me faisant la main sur des musiques de pub ou en travaillant pour d’autres artistes. Alors que j’aurais dû continuer à écrire des chansons et faire des disques. »The Main Man » est une référence accidentelle. J’adore la soul music, j’aime le dub : difficle de trouver un style que je n’apprécie pas car c’est surtout ce que j’écoute. Soul, dub, electronica : il y existe un espace que j’aime, que les guitares peuvent combler. Je n’écoute pas beaucoup de « guitar music ».
Sur « A Mess Of Everything », on peut t’entendre chanter « give me a reason to carry on ». Il y a un sentiment général d’agitation, d’impatience tout au long du disque : tu peux nous en dire plus ?
Je ne sais pas si c’est de l’agitation. J’essaie d’explorer mon monde intérieur, de savoir pourquoi je fais les choses que je fais, pourquoi je me comporte ainsi. Je suis un mystère à vie pour moi-même. Plus j’allais profondément en moi-même, plus ça se manifestait physiquement et mentalement. C’était comme crever un abcès. J’ai fait une sorte de dépression. « A Mess Of Everything » a été conçue au début de cette phase, « Damocles » à la fin. J’étais devenu une épave à ce stade, j’avais besoin d’aide.
Par ailleurs, les deux derniers titres de l’album « The Van » et « The Last Song » sonnent plus apaisés. Y a-t-il un message ? L’introspection t’a-t-elle mené dans ces contrées plus sereines ?
Il n’y a aucun message, pas de sous-texte. Juste une introspection totale au sortir de laquelle j’accepte d’être qui je suis. « The Van » est un symbole, il représente la mort. « The Last Song » est la seule chose que nous ayons tous en commun.
Après un faux départ, tu as décidé de travailler avec Greg Haver et Clint Murphy sur le single « Gold Lift » puis sur l’album. Peux-tu nous en dire plus sur ces collaborations ? Comment se déroulèrent les sessions? Les démos sont-elles très différentes du résultat final ?
Je connaissais Greg depuis longtemps mais n’avais jamais travaillé avec lui sur mes propres projets. « Gold Lift » était un coup d’essai, pour voir si nous pouvions réaliser tout un album ensemble. Je lui envoyais les pistes séparées et il me disait ce dont il avait besoin puis les nettoyait et les envoyait à Clint pour le mixage. En réalité, vous entendez les démos sur lesquelles on a vaporisé un peu de magie. Je n’ai pas de flacon de ce produit miracle. La prochaine fois peut-être, je ferai tout moi-même mais je n’y suis pas encore.
Sais-tu pourquoi tu n’as pas ressenti le besoin de jouer de la guitare ? « Gold Lift » n’apparaît pas sur l’album : une raison particulière?
Je suis vite frustré par les limites de la guitare. Ou plutôt mes limites à la guitare. J’avais déjà écrit « New Shapes Of Life » ; « Gold Lift » était un projet séparé, un truc que j’avais à dire à un moment précis.
La plupart des titres se termine par un fade-out : rends-tu hommage à la bonne vieille technique ?
Je n’avais pas remarqué jusqu’au mixage. Je n’ai jamais été fan des fade-outs, je ne m’explique pas pourquoi il y en a autant ici.
Terrorisme, Brexit, Trump, la guerre nucléaire : dans quelle mesure la politique influence-t-elle ton écriture ?
Il est toujours un peu question de politique dans mes chansons mais pour cet album, je m’étais concentré sur moi-même. Il y a bien quelques lignes ici ou là qui parlent de politique mais pas beaucoup. « Gold Lift » est sans doute un point de départ pour la suite.
Quelle fut ta réaction quand le label Tapete t’a proposé un contrat ?
J’étais très heureux. Cela faisait des années que je n’avais pas eu un label qui souhaitait publier mes chansons. J’étais et demeure très reconnaissant. Il m’est plus facile de travailler avec des échéances précises.
Comment abordes-tu le concert londonien du 18 Novembre ? (ndlr : le label allemand célèbre ses 15 ans d’existence en organisant un weekend de concerts au Lexington qui réunit de grands noms de leur écurie : Robert Forster, Pete Astor, The Monochrome Set, Bill Pritchard, Louis Philippe, etc..)
J’ai hâte d’être au concert. J’ai tout un tas de machines qui ont leur intelligence propre : ça va être intéressant de les tester sur scène.
Ton album précédent « The Breaks » est sorti en 2014. Tu y parlais de ton isolement mais tu laissais entrevoir aussi un côté plus tendre, notamment dans les vidéos de « The Santa Fe Skyway » et « Mainstream » : la vie de famille était-elle un refuge à l’époque ?
« The Breaks » était mon premier album depuis que j’avais fondé une famille. Elle occupait donc volontiers mon esprit. Tous mes disques sont un reflet des périodes que je traverse.
Es-tu toujours en contact avec Sice et les autres membres des Boo Radleys ? Rétrospectivement, comment vois-tu les années 90 ?
Je n’ai pas vu Sice depuis 6 ans mais on se parle de temps en temps. Il est très occupé. Les 90’s pour moi, c’était le hip-hop et la musique électronique. Le seul album rock de cette époque que j’écoute encore est le deuxième Verve : « A Northern Soul ». J’étais trop vieux pour la Britpop, la plupart des groupes ne m’intéressait pas. Je buvais trop, prenais trop de drogues, pensais que je savais tout…Je ne referais pas les mêmes erreurs si je pouvais.
Sais-tu que tu es considéré par certains comme un des meilleurs songwriters pop de Grande-Bretagne?
Je ne pense pas que ce soit vrai, jamais entendu ça. Je ne crois pas à une telle affirmation même si j’ai encore le temps d’écrire quelques bonnes chansons.
Quels sont tes projets dans un futur proche ? Des concerts pour promouvoir « New Shapes Of Life » ? Ecrire un nouvel album ?
Des concerts. Quelques-uns cette année et une tournée l’an prochain. Je n’ai pas commencé un nouveau disque mais j’ai déjà quelques idées à développer. Il n’y a pas le feu.