Après cinq jours d’une riche programmation souvent à la limite de l’expérimental, disséminée dans toute la métropole nantaise, la 15e édition du festival SOY tirait sa révérence au Lieu Unique avec deux quartettes remettant les guitares et les chansons au centre du jeu – dans des styles assez différents, certes.
Il ne fallait pas être en retard : c’est à 19h pétantes que Kevin Morby et ses trois musiciens montent sur scène. Leur concert sera un peu plus qu’une première partie : l’Américain n’est plus vraiment un débutant, et il jouera d’ailleurs une bonne heure, faisant logiquement la part belle à son dernier album, “City Music”. Pas vraiment de surprise ici pour qui l’a déjà vu ces dernières années, juste la confirmation que le jeune homme, vêtu d’un étonnant costume noir sur lequel sont cousues notes et clés de sol blanches, est l’un des meilleurs songwriters du circuit, en progrès constant. Héritier du Velvet (dont il reprendra la surlendemain à Londres “Pale Blue Eyes” et “Rock & Roll” au rappel, selon le site Setlist.fm), Dylan, Neil Young & Crazy Horse, Modern Lovers ou Television, creusant aussi une veine plus intimiste, Morby impose sans peine sa patte avec des morceaux à la base classique (guitares lead et rythmique, basse, batterie) mais intégrant souvent de longues parties instrumentales magnifiquement exécutées.
En robe à fleurs, la frêle et imperturbable Meg Duffy est d’une virtuosité toujours aussi impressionnante (après The Dream Syndicate et Hurray For The Riff Raff à Paris, la semaine aura décidément été riche en solistes de grande classe). La section rythmique fait ce qu’on attend d’elle, et le fait très bien. Kevin ne parle pas énormément au public, si ce n’est pour dire sa joie de revenir à Nantes, mais semble d’humeur particulièrement joviale. La setlist alterne titres concis, aux riffs imparables et au son plus rock que sur disque, et compositions plus tortueuses (“Harlem River” reste un des grands moments de ses concerts). La salle est peut-être un peu trop grande et froide pour cette musique qui s’épanouirait naturellement dans le contexte d’un club, et le public encore sage en cette heure pas très avancée de la soirée, mais musicalement c’est irréprochable.
Pendant le changement de plateau, le grand bar-foyer du LU accueille le concert solo de Mary Ocher. A moins d’être près de l’estrade où elle se produit, les conditions ne sont pas idéales, le public circulant sans cesse entre les tables, le comptoir et l’espèce de fumoir à l’extérieur. L’étrange musique de la trentenaire russo-israélienne installée à Berlin n’étant par ailleurs pas très facile d’accès, on finit par retourner dans la salle pour se placer près de la scène.
Il est 21 heures et le public s’est densifié, mais n’a pas vraiment rajeuni. Beaucoup de ceux qui sont là ce soir ont dû, comme l’auteur de ces lignes, découvrir Ride en écoutant l’émission de Bernard Lenoir ou en lisant un bimestriel au nom amusant, “Les Inrockuptibles”. A l’époque, ces musiciens âgés d’à peine 20 ans portaient des T-shirts à manches longues informes et des mèches sur les yeux. Ce qui est rassurant, c’est que les Anglais ont vieilli avec nous.
Mark Gardener, 48 ans en décembre, n’a plus le chapeau qu’il portait sur les tournées précédentes et dévoile une calvitie bien avancée. Il est heureux de parler aux fans dans leur langue (il a vécu quelque temps en France), et tout simplement de jouer. Andy Bell est un peu moins expansif, mais on est loin de la caricature des “shoegazers” aux voix noyées dans le boucan – les deux sont clairement audibles, et Gardener chante particulièrement bien. On n’est pas sûr qu’ils soient redevenus les meilleurs amis du monde (l’ont-ils jamais été, d’ailleurs ?), mais les dissensions qui avaient plombé les troisième et quatrième albums semblent oubliées. Les discrets Loz Colbert et Steve Queralt forment quant à eux une rythmique toujours aussi puissante et précise.
S’il n’offre pas la primeur au public nantais de son nouveau morceau “Pulsar” (qu’il interprètera quelques jours plus tard au Pitchfork, à Paris), Ride n’est pas venu uniquement pour revisiter son back catalogue et montrer sa magnifique collection de guitares. Le groupe joue une large part de l’album “Weather Diaries”, commençant d’ailleurs le concert par ses deux premiers morceaux, “Lannoy Point” et “Charm Assault”. A la fois atmosphériques et bien charpentées, ces nouvelles chansons tiennent la route, comme les engageants “Cali” ou “Lateral Alice” offerts un peu plus tard, mais il faut bien reconnaître que ce sont les classiques qu’on attend le plus. L’immense “Seagull”, que le groupe semble vouloir épuiser à force d’en répéter le riff, les immarcescibles merveilles pop “Taste” et “Twisterella”, les hymnes “Leave Them All Behind” et “Vapour Trail”, “Drive Blind” et son pont bruitiste à la “You Made Me Realise”… Pendant trois ans, Ride fut bien l’un des plus groupes les plus brillants et excitants de son temps; si la jeunesse est depuis longtemps passée, restent les chansons et ce mélange de morgue et de fragilité qui n’appartient qu’à eux.