Le troisième album de Diagrams, « Dorothy », vient tout juste de sortir. Derrière le groupe se cache Sam Genders. D’un coup de cœur de ce dernier pour un poème de l’Américaine Dorothy Trogdon sont nées une collaboration et une forte amitié entre le musicien et la poétesse de 90 ans. Ne partez pas en courant, « Dorothy » est un des albums indispensables sortis depuis le début de l’année. Nous avons rencontré Sam Genders pour qu’il nous explique tout sur cette collaboration inattendue et ce projet qu’il a tenu à bout de bras. Car comme il nous l’explique, enregistrer un album en 2017 est presque un parcours du combattant.
Pourrais-tu revenir sur la naissance de ce projet ?
Sam Genders : Une amie m’a offert un recueil de poésies de Dorothy Trogdon intitulé “Tall Woman Looking”. Elle avait, à juste titre, le sentiment que j’allais adorer. J’ai immédiatement senti une connexion même si nos styles d’écriture sont différents. Nous abordons tous les deux les thèmes de la nature et de la science dans nos œuvres. Un poème en particulier, “Mnemosyne”, m’a fasciné. Il traite de la mémoire et de l’identité d’un point de vue personnel, esthétique et scientifique. Je l’ai transformé en une chanson, “Motherboard”. J’ai dû contacter Dorothy pour lui demander si elle acceptait que j’utilise son texte. Tout est parti de là.
Quelle a été sa réaction ?
Entre-temps une autre idée a mûri. Je lui ai envoyé un long e-mail, lui expliquant pourquoi j’aimais autant ses poèmes, quels étaient nos points communs, avec quelques vidéos de Diagrams. Je lui ai demandé si elle serait prête à collaborer avec moi pour d’autres textes dans le but de sortir un album. J’étais terrorisé en attendant son retour. J’étais vraiment excité par l’idée de ce projet, mais Dorothy et moi ne sommes pas de la même génération. Elle a 90 ans et habite à l’autre bout de la planète, aux Etats-Unis ! Finalement, elle m’a juste répondu “OK, tentons l’aventure” (rires).
Pourrais-tu nous dire ce que tu as retiré de cette collaboration avec Dorothy ?
Nous somme devenus amis. Ce qui est inhabituel pour moi car, en dehors de mon cercle familial, je n’aurais jamais imaginé être proche d’une personne de cet âge. C’est quelqu’un qui se focalise sur la beauté, la magie de l’instant présent, les choses simples. Cette emphase est ressortie dans mon écriture. Elle m’a aidé à accepter ces aspects qui sommeillaient en moi. J’hésitais à les exprimer, de peur de paraître pompeux et de manquer de substance.
Vous êtes-vous découvert des points communs ?
Oui, la méditation. Comme moi, c’est une personne préoccupée. Nous sommes deux grands sensibles. Je le sentais dans ses textes avant même de l’avoir rencontrée. La méditation nous aide à nous canaliser.
Tu t’étais déjà inspiré de poèmes d’Helen Mort sur ton précédent album. La poésie fait-elle partie de ton quotidien ?
Je n’irai pas jusque-là. J’ai quelques recueils de poésie dans ma bibliothèque. J’en lis occasionnellement. Il faut que je trouve une connexion pour adhérer. Helen est une amie, je suis rentré facilement dans son univers. Les années passant, j’ai envie d’en lire plus, mais je manque de temps. Les associations de mots dans certains poèmes peuvent être une source d’inspiration quand je compose.
Les poèmes ont été rédigés à Orcas Island dans l’Etat de Washington. Ta musique et tes arrangements sonnent très anglais. N’as-tu pas eu envie de t’aventurer vers des territoires musicaux qui sonnaient moins british ?
Je trouve que certains passages s’éloignent de mon travail habituel. “Wild Grass”, notamment, sonne californien. Tu visualises un vieux western avec des plaines couvertes d’herbes sauvages. Mais c’est peut être parce que je sais que certaines paroles parlent de l’Amérique. Je n’ai jamais essayé de sonner anglais. Cette idée ne me traverserait jamais l’esprit. Bon après, ma voix et mon accent marqué du Derbyshire ne doivent pas aider (rires).
Tu as dû financer ce projet par toi-même. Devant tant d’obstacles, n’as-tu jamais été tenté de tout laisser tomber et de ne plus sortir d’albums ?
Je suis épuisé. J’ai un job de professeur de guitare pour enfants en plus de ma carrière. L’idée d’arrêter de tourner me travaille régulièrement. J’adore me produire sur scène, mais travailler sans répit 24 h/24 devient compliqué. Il y a trop de tentations sur la route, ce n’est pas un style de vie sain. Je me vois plus dans l’ombre à composer pour d’autres personnes. Et si cela me rapporte suffisamment d’argent, je pourrais alors enregistrer mes propres chansons. J’ai besoin de rester créatif. Je finance une partie de mes albums et des tournées. Ça devient compliqué de stresser en permanence pour savoir comment je vais payer mon loyer.
Tu n’as bénéficié que de quatre jours de studio pour l’album, pourrais-tu nous dire comment s’est passé l’enregistrement ? L’aspect paisible qui ressort du disque est-il à l’image des sessions ?
Oui, tout s’est déroulé le plus facilement du monde. C’est Kris Harris (Smoke Fairies, Storybooks) qui l’a enregistré. C’est quelqu’un de très simple. Il a réussi à faire sonner “Dorothy” comme un disque des 70’s. Pas mal de temps s’est écoulé après cet enregistrement. Il fallait que je trouve de l’argent pour le mixage. Mike Lindsay (Tunng, Farao, Low Roar, Speech Debelle) s’en est occupé. Je ne pouvais pas me permettre financièrement d’aller à sa rencontre. Tout s’est fait à distance. Cette liberté que je lui ai offerte a finalement bénéficié à l’album. Il est doué pour faire sonner l’électronique de la manière la plus organique qui soit. A tel point qu’on ne fait plus la différence entre un synthé ou un violon par moments.
Tu parles souvent de ton besoin de t’échapper dans la nature pour fuir le monde moderne et te retrouver. Dans quelles conditions composes-tu ? As-tu besoin de te couper du monde, de te retrouver dans un cadre particulier ?
J’écris chez moi, en fonction des deadlines pour les sessions de studio. Je n’ai pas un stock de chansons que je garde sous le coude. Tout se fait une semaine ou deux avant d’entrer en studio. J’aimerais qu’il en soit autrement mais ma vie est bien remplie.