Cinq après l’ambitieux « Toutes Directions », Bertrand Burgalat signe « Les choses qu’on ne peut dire à personne« , labyrinthe pop d’un esthète au-delà de son temps et de son époque. Somme de l’œuvre accompli, trompe-l’œil vertigineux et par la même occasion, un nouveau de dépassement de soi.
Il est fort à parier que quelques Philistins de l’industrie du divertissement voueraient aux Gémonies un tel geste : oser non pas une ouverture, mais deux… La première, faussement classique, mais réellement enjouée. La seconde, condensé remarquable des motifs synthétiques qui ne cessent de hanter l’élégant démiurge. Pour autant, fausse route que voilà, du steel drum — jusqu’ici inédit dans la « panoplie » — vient musarder chez le groove robotique. « Il fallait oser le faire » comme chantait naguère le dernier des Bevilacqua…
Ce numéro 5 sera donc paré de riches étoffes, décliné en 19 pièces, conviant à son banquet de belles plumes (Hélène Pince, Blandine Rinkel, Laurent Chalumeau – enfin débarrassé de ses oripeaux de comique troupier -, Matthias Debureaux, Philippe Vasset), un poète disparu (Maurice Gravaux Lestieux) ainsi qu’un ami de longue date (Yattanoel Yansane, « -Sans Titre- » sur « Portrait Robot », c’était lui). Sans fausse modestie ni pudeur de gazelle (cette tocade à la mode…), Bertrand Burgalat ne se livre qu’à trois reprises (« L’enfant sur la banquette arrière », « Son et lumière », « Un ami viendra ce soir ») comme autant de confessions que l’on devine arrachées à l’intime tant l’homme a toujours exprimé sa plus profonde admiration pour l’écriture.
Et puisqu’il est ici question d’admiration, on ne peut qu’être ému par ce Tombeau pour David Bowie, élégie spectrale d’origine forcément spatiale, recueillement sincère et dialogue avec l’un des rares artistes ayant façonné l’univers du dandy sans âge peint au recto par Guillaume Pinard.
Il y a des haltes (« Étranges nuages », « Tribunes au couchant ») offrant un appréciable repos à l’auditeur en proie au syndrome de Stendhal car, à vrai dire, depuis quand ne s’était-on ainsi perdu avec délice (le pedal steel amniotique de 36 minutes) dans un disque, qu’il fût ou non français ? Revient alors en mémoire la tierce magique jamais égalée du sorcier Todd Rundgren (« Something/anything ? », « A Wizzard, a True Star », « Todd »). Malgré les facilités, ce siècle a plus que jamais besoin d’audace et de luxuriance, de gestes de créateurs affranchis flirtant avec le baroque, de « Chrysler Rose » et de « Pom Pom » plutôt que… Rien. On n’a pas pleuré Bowie et Prince pour subir la tyrannie GarageBand et autres véroles de plugins.
Comparaison n’est pas raison, merci, on connaît la chanson, mais celui qui jadis s’y sentait « seul » reste « gardien du cap magnétique, là-haut dans son beffroi ». Point de misanthropie, ce serait mauvais procès. Non, une position pleinement assumée d’outsider. Les catastrophistes parleraient avec une gourmandise déplacée de malédiction, alors que le patron de Tricatel, directeur artistique à l’ancienne dans une économie sans foi ni loi, hume comme personne l’air du temps sans pour autant en avoir tiré d’obscènes profits…
Les larmes aux yeux à l’écoute de « Musées et cimetières », le cœur galvanisé par « Cœur défense », le périple prend plus d’un chemin de traverse dans ce paysage comme échappé d’un roman de J.G. Ballard. Toutefois, au bout du compte, s’affranchir de tout ce qui précède, l’oublier pour mieux s’oublier dans cet album digne d’un rêve. Et se dire, égoïstement, que l’on est chanceux de connaître son auteur depuis toutes ces années. Nous vieillirons ensemble.