L’Américain Jake Xerses Fussel vient tout juste de sortir « What in the Natural World », son deuxième album. On parle souvent à tort et à travers de « trésors cachés ». Pourtant ce disque de reprises s’inscrit définitivement dans cette catégorie. Oubliez le folk dépouillé, parfois ennuyeux tel qu’il est reproduit par des gamins se prenant pour des puristes. Jake Xerses Fussel est habité par ses chansons, il les arrange de la façon la plus personnelle qui soit. Il nous raconte son expérience en ouverture des concerts de Wilco et explique pourquoi il a choisi de poursuivre une tradition folkloriste initiée par ses parents, en prenant très à cœur son rôle de passeur.
Ton père est un folkloriste et un curateur de musée, spécialisé dans la culture du sud des Etats-Unis. A travers tes albums, tu prolonges cette tradition en jouant des airs traditionnels, et tu as même passé un master spécialisé dans ce domaine. En devenant adulte, on cherche souvent à s’éloigner du modèle de ses parents. ’as-tu eu à aucun moment envie de t’inscrire dans une toute autre démarche ?
Jake Xerses Fussel : Je n’ai pas eu à me rebeller quand j’étais ado car mes parents étaient eux-mêmes de vrais rebelles. Ils ont grandi dans le sud ségrégationniste des années 50. Très jeunes, leur moyen de rejeter cet environnement a été de mieux comprendre leur région. Le folklore leur a permis de comprendre comment on avait pu en arriver à la ségrégation. Très jeune je suis devenu passionné de musique. Les airs traditionnels n’avaient rien d’abstrait pour moi. Des gens comme George Mitchell traînaient à la maison. Comparé à l’éducation musicale de mes amis, j’étais conscient de ne pas m’inscrire dans la norme. Quand j’ai commencé à jouer de la guitare à l’âge de 12 ans, je me suis tourné vers des techniques comme le fingerpicking. J’étais content d’avoir une bonne matière première à exploiter (rire).
Peux-tu nous parler de l’accueil reçu par ton premier album, qui comme “ What in the Natural World” est composé à 100 % de chansons traditionnelles ? As-tu été étonné ?
J’ai été extrêmement surpris. Je ne pouvais pas mesurer à l’avance l’impact d’un disque si spécifiquement ancré dans le folklore. J’avais peur d’être jugé sur le fait que je ne compose pas mes propres titres. Je m’aperçois seulement maintenant d’un regain d’intérêt porté au folklore. Les labels spécialisés dans les rééditions se développent. Leurs compilations se vendent bien. Ce n’était pas le cas il y a encore quelques années. Dans le meilleur des cas, j’étais chanceux si je trouvais des disques du label Yazoo chez les disquaires. On essaie de me rattacher au renouveau de la scène des American Primitives. Je comprends pourquoi. Il y a de nouveaux artistes passionnés par le folklore comme Daniel Bachman qui sortent des disques de qualité.
Comment t’es-tu retrouvé à faire la première partie de Wilco ? Est-ce le groupe qui est venu vers toi ?
C’est leur manager, Tony Margherita, qui m’a contacté. C’est un fan de mon premier album. Il voulait me donner un coup de main car à l’époque je ne jouais que dans le sud des Etats-Unis. Dans un premier temps, il m’a booké à New York et en Nouvelle-Angleterre. Nous avons sympathisé et il m’a proposé d’ouvrir pour trois dates de Wilco. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé à me produire devant un public énorme. Je n’ai pas paniqué car le groupe a été adorable avec moi. Je les respecte énormément car ils tiennent à faire jouer des artistes underground en première partie. Ils les choisissent eux-mêmes.
Comment as-tu sélectionné les titres figurant sur ce deuxième disque ?
Intuitivement. J’en jouais déjà sur scène certains comme “Jump For Joy” depuis mon déménagement en Caroline du Nord. Ne restait plus qu’à les adapter au format de l’album pour apporter un brin de cohérence. Je voulais trouver un équilibre entre des titres narratifs et d’autres plus abstraits, proches des ballades. Il n’y a eu aucune recherche de thème dominant. Pourtant, quand j’ai écouté l’album récemment, je me suis aperçu qu’il y en avait un en filigrane. Ce disque est plus sombre. Il est fidèle au contextet politique de ces derniers mois.
En te dissimulant derrière des folk songs, tu dévoiles finalement peu ta vie personnelle. Est-ce quelque chose qui te convient ?
Je ne vois pas les choses de cette façon. Je dois entretenir une connexion profonde avec un titre pour vouloir qu’il figure sur un album. Chaque chanson a une partie de moi en elle. Certes, les auteurs de chansons donnent d’eux-mêmes à travers leurs textes. Moi, je le fais émotionnellement et musicalement. Ceux qui assistent à mes concerts l’ont tout de suite compris.
On peut par contre deviner tes humeurs. Le ton général de l’album est plus sombre que sur le précédent. Il est facile de deviner que tu es affecté par la situation actuelle des Etats-Unis.
Oui, même si, une fois de plus, ce n’était pas planifié. Le ton plus enjoué de mon premier disque est lié à la production de William Tyler. J’étais heureux de lui confier les manettes à l’époque.
Puisque tu parles de producteur, aucun nom n’est mentionné dans les crédits pour ton nouvel album. Pourrais-tu nous dire pourquoi ?
Je me suis chargé de la production moi-même. Nathan Bowles, qui joue avec Steve Gunn, m’a filé un coup de main. J’avais besoin de quelqu’un pour faire le tri des mes idées. Tout faire soi-même est parfois risqué. J’admire l’intégrité musicale de Nathan et je sais qu’il n’hésite pas à être honnête avec moi. Sans lui, l’album aurait été plus dépouillé.
Etre producteur n’est pas une nouveauté pour toi. Tu as déjà endossé ce rôle pour Precious Bryant.
Oui et pourtant je me demande encore à quoi peut bien servir un producteur la moitié du temps (rire). J’imagine qu’il est là pour t’aider à entendre ce que tu n’arrives pas à percevoir.
Tu détailles très précisément les sources des chansons que tu interprètes dans tes notes de pochettes. Est-ce important pour toi d’inciter tes auditeurs à aller se renseigner sur les racines des titres de l’album ?
Je souhaitais être transparent sur mes sources. Tout le monde est loin de l’être. C’est comme si certains musiciens avaient peur de passer pour des universaitaires en évoquant des artistes dont personne n’a jamais entendu parler. C’est une tradition qui s’est perdue. Des revivalistes folk comme les New York City Ramblers le faisaient pourtant dans les années 50. Ou même des artistes plus établis comme Pete Seeger. Une fois que tu as toutes les informations, ne te reste plus qu’à aller chez ton disquaire ou sur YouTube. Les morceaux de mon nouvel album me rendent si enthousiastes que j’ai envie de jouer le rôle de passeur.
Le son du disque n’est ni rétrograde, ni moderne. Ce disque aurait pu être enregistré il y a 30 ans ou bien dans 10 ans. As-tu tenté d’éviter certains clichés ?
Je n’avais pas envie de me sentir coincé avec un son ancré dans la tendance actuelle de la mouvance folk. Non pas qu’il sonne mal. On sent juste qu’ils sont rattachés à une certaine scène. On tombe vite dans des écueils si l’on n’y prête pas attention. J’apprécie vraiment ta perception du son de l’album car c’est l’objectif que je souhaitais atteindre. Même si je suis convaincu qu’après quelques années, tous les disques finissent par sonner comme représentatifs de leur époque. Je ne crois pas aux albums intemporels.