C’est le genre de soirée qui pourrait difficilement avoir lieu en France : deux groupes qui firent les belles heures du label Creation dans les années 80-90, qui n’ont jamais vendu beaucoup de disques mais qui ont laissé à la postérité des chansons mémorables. S’ils sont nettement moins actifs qu’à l’époque, le Jazz Butcher et les Jasmine Minks ont quand même enregistré quelques morceaux ces dernières années et ne jouent pas uniquement sur la nostalgie de leurs fans.
En ce week-end pascal, nous devons être environ 80 (dont au moins quatre Français) à avoir fait le déplacement jusqu’au Lexington, un vaste pub sur Pentonville Road, dans un quartier de Londres assez désert à la nuit tombée. La salle est à l’étage. Un coup d’œil sur la programmation du mois, alignant quelques beaux noms de l’indie pop d’hier et d’aujourd’hui, nous fait dire qu’on y passerait sans doute souvent nos soirées si nous habitions la ville.
Nous avons raté le premier groupe, The Pacers, et arrivons alors que le Jazz Butcher Quartet s’apprête à commencer son set. Ce n’est pas la version swing acoustique dont on peut voir quelques vidéos live sur YouTube, généralement tournées dans un bar ou dans l’arrière-salle d’un restaurant, mais une formation plutôt rock. Le classique trio guitare-basse-batterie est complété par un trompettiste jouant avec beaucoup d’effets, qui donnent une coloration un peu psyché à l’ensemble.
En costume-cravate, Pat Fish (avec qui nous avions bu quelques verres un an plus tôt, lors de notre précédent passage à Londres, en témoigne les photos ci-dessus) occupe le centre de la scène, mélange de coolitude et de tension sous-jacente, capable de partir dans d’impressionnants solos de guitare. Le set d’une quarantaine de minutes alterne extraits du dernier album, l’excellent “Last of the Gentleman Adventurers”, et classiques comme “Mr Odd” ou “Shirley Maclaine”. C’est évidemment trop court (il nous expliquera un peu plus tard qu’il pouvait difficilement déborder), mais en sept ou huit morceaux seulement, ce songwriter faussement dilettante et versatile, quoique imprévisible, aura montré toute l’étendue de son talent. Grande classe.
La formation du groupe autour de l’inamovible Pat Fish change souvent, et il étrennait ce soir-là un nouveau batteur. Pas franchement un inconnu puisqu’il s’agissait de Dave Morgan, ex-The Loft et Weather Prophets. Coïncidence amusante, il était déjà derrière les fûts la dernière fois qu’on avait traversé la Manche pour un concert, accompagnant Vic Godard à Brighton au printemps 2016 – et on avait alors un peu regretté de ne pas l’avoir abordé.
On profite donc de sa pause cigarette à l’extérieur du bar pour aller discuter avec lui. Ravi de rencontrer des fans français et de leur montrer qu’il connaît quelques mots dans leur langue, il nous dit se souvenir d’avoir joué à la Cigale (probablement avec les Weather Prophets), raconte qu’il serait ravi de refaire des concerts avec The Loft (le premier groupe de Peter Astor s’était brièvement réuni en 2015), et nous parle de son studio dans lequel il enregistre avec d’autres musiciens. Une très sympathique rencontre.
J’avais dû découvrir les Jasmine Minks sur la compilation “Creation Soup – Volume Three”, trouvée au début des années 90 dans un bac à soldes de la Fnac. A côté des pépites signées The Pastels, Biff Bang Pow!, Primal Scream, Felt, Weather Prophets ou Bodines, leur “Cold Heart” tenait son rang. Leur plus gros succès – tout est relatif… –, que les Ecossais (d’Aberdeen) joueront ce soir-là, bien sûr, tout comme d’autres singles de leurs débuts – “Think!”, “Where the Traffic Goes”, “What’s Happening”… –, concentrés d’énergie qui annonçaient la vague C86 et ses guitares jingle-jangle, tout en s’inscrivant dans une grande lignée du rock anglais, des Who aux Buzzcocks. On entendra aussi “Ten Thousand Tears”, nouveau 45-tours plus que digne, que le groupe vient de sortir sur son propre label et dont les bénéfices iront à la lutte contre la maladie de Charcot (“motor neurone disease”).
La première partie du concert est constituée de l’intégralité du deuxième album, “Another Age”, sorti en 1988 sur Creation (dont les Jasmine Minks furent l’une des premières signatures). A peu de chose près, c’est visiblement le même line-up qui est sur scène, et malgré le poids des ans, ni les musiciens, ni leurs chansons ne se sont empâtés. Les Jasmine Minks n’étaient sans doute pas le meilleur groupe de son époque, il leur manquait ce qui a fait le succès des Jesus and Mary Chain avec lesquels ils tournaient en 1984. Mais ils avaient, outre des chansons accrocheuses, des principes et des choses à dire, et ils y croyaient. En 2017, de toute évidence, ils y croient toujours, aussi indépendants qu’il y a trente ans, et leur petit public (à peine plus jeune qu’eux, dans l’ensemble) aussi. Difficile d’y rester insensible.