Car on peut être essentiels sans être parisiens, car on peut être inédits en retournant aux fondamentaux, ici le Shoegaze. Les briochins de Soon She Said ont su tirer de leur relatif isolement une musique qui doit autant au passé qu’au ciel de l’ouest. « The First Casualty Of Love Is Innocence », ou le dépassement de soi traduit en quelques notes.
En ces temps où la distinction entre vivre en province et à la capitale perd un peu de son sens, où on est dans le tout décentralisé, le caractère identitaire des scènes locales se dilue et c’est peut-être très bien ainsi. Il est loin le temps où l’on parlait de scène rennaise par exemple comme une unité de style à part entière. On pourra encore distinguer ici et là quelques villes plus dynamiques que d’autres dans leur politique culturelle qui permettent l’essort de nouveaux artistes. On pourrait citer par exemple Clermont-Ferrand. Une fois, cela dit, on peut laisser de côté la géographie afin de revenir à l’essentiel, la création et son adjointe la curiosité.
Au même titre que certains genres se maintiennent en allant piocher dans d’autres terrains, d’autres suivent des règles à ne pas dépasser. Prenez certains disques de Blues, on pourrait les croire enregistrés au début du siècle dernier sur de vieilles bandes délavées.
Soon She Said, groupe de Saint-Brieuc, est un peu un pied dans un de ses penchants, l’autre à côté car à l’écoute de « The First Casuality Of Love Is Innocence », on comprend vite d’évidence que l’on est dans un projet qui va chercher du côté du shoegaze, Slowdive en tête mais aussi de Ride, des Cure ou encore de l’écurie Sarah Records. Une fois cela dit, on ne s’empressera pas de refermer le chapître en se disant « Voila des élèves doués qui connaissent bien leurs leçons » car ce serait par trop limiter Soon She Said. « The First Casuality Of Love Is Innocence » est un disque sorti en 2017, un disque d’aujourd’hui sans formule passéiste ou rétrograde. La force de ce disque est d’aller trimbaler ailleurs son shoegaze et ses fondamentaux.
« Brainfog », en ouverture, navigue à vue entre Cocteau Twins, Memoryhouse et Brian Eno et a cette intelligence de s’affirmer pleinement musical et instrumental, comme une introduction lente à un nouvel état. Car pour bien se laisser submerger par les titres des Bretons, il faudra savoir s’abandonner et cette berceuse aérienne et granitique se prête bien en invitation au lâcher-prise.
« Sad Smiling Girls » nous ramène aux jeunes filles boudeuses de notre adolescence, la frange brune qui leur barre le regard, la crainte de leur jugement, nos mains qui triturent le vide. On ne sait jamais trop qui des deux chantent, Laura Bruneau ou Julien Perrin car leurs voix sont planquées dans le fond et cela contribue de ce caractère ambigu et androgyne.
« Everyday », lui, ne tranchera jamais entre une Rachel Goswell souriante et la pop électrique de Nada Surf quand « Letters and Stamps » redonnera des lettres de noblesse au mal-aimé « Wish » des Cure. Il ne faudrait pas voir dans ce name dropping frénétique une musique qui n’existe que par ses références. Soon She Said assume de bout en bout de ce disque son caractère Shoegaze mais il faudrait être bien insensible pour ne pas deviner ici et là des éléments issus du Post-Rock par exemple, de Mono en particulier comme ces belles trouvailles de production sur « Stay ». Et à ceux qui ne voyaient pas toujours bien la différence entre certains groupe Noise et d’autres Shoegaze, ce titre devrait contribuer à toujours plus les embrouiller avec sa dissonance mélodique et harmonieuse.
Il sera difficile de réprimer un frisson délicieux à l’écoute de « Dazed » tout de glace et de cette chaleur qui consume la chair ou encore la course à contretemps de « Always Inbetween », pas si lointaine de The Field Mice.
Soon She Said a l’intelligence des ruptures de ton qui rend leur musique imprévisible, la surprise impalpable et les titres au bord du silence comme ce « Mess » volontairement mal-nommé où la grâce de Laura Bruneau nous irradie de l’intérieur, modestement, presque sans le vouloir. La langueur de l’innocence enfin revenue, les étés qui n’en finissent pas de pourrir, les feuilles mortes que l’on ne ramasse même plus.
Ce que l’on entend chez ces quatre-là, chez Marc Corlett, Martial Durand, Julien Perrin et la divine Laura Bruneau, ce sont quatre jeunes gens ouverts au vent des grands larges, au courant sur la ligne d’horizon, un pied dans des références assumées du passé, un autre dans l’expression de leurs sentiments. Une image éclatée de soi entre rage et apaisement. Une étape nécessaire pour s’affranchir de l’innocence et affronter l’amour, vivre l’émotion pleinement.