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Frànçois & the Atlas Mountains – Interview

Frànçois & the Atlas Mountains fait partie de ces quelques formations, à l’instar de The National ou de Piano Magic, que POPnews suit depuis leurs débuts, ou presque. Au départ, il ne s’agissait d’ailleurs pas d’un véritable groupe mais du projet solo de François Marry, une pop intimiste aux yeux rivés sur l’eau, que ce soit celle d’une piscine ou de l’Atlantique. Le jeune homme s’est peu à peu entouré de musiciens amis apportant de nouvelles influences (africaines, notamment) et nuances à sa musique. L’album précédent, “Piano ombre”, et la longue tournée qui avait suivi en 2014 avaient tout d’un aboutissement. Le nouveau, “Solide mirage” – titre oxymore qui affirme l’importance et la puissance du rêve dans nos existences –, est à la fois une continuation et un pas de côté. L’électronique dansante s’invite franchement dans les débats, quand ce ne sont pas des souvenirs noisy qui remontent à la surface (“Bête morcelée”), et les textes, sans rien perdre de leur verve poétique, sont un peu plus explicites. S’il y a toujours de l’eau, ici c’est plutôt celle de la Méditerranée que traversent à leurs risques et périls des milliers d’hommes, femmes et enfants « en quête d’une place dans le sens de la marche » (“Le Grand Dérèglement”, accompagné d’un superbe clip où François danse un duo dans le Palais de justice européen à Bruxelles avec Mohammed Okal, un ambulancier palestinien). Nous avons réussi à attraper le premier de cordée des Atlas Mountains au terme d’une longue journée promotionnelle à Paris, juste avant qu’il ne parte prendre son train du retour pour Bruxelles, sa ville d’adoption.

 Frànçois and the Atlas Mountains 2017

Quand tu as enregistré tes premiers morceaux en autarcie, il y a une douzaine d’années, imaginais-tu que Frànçois and the Atlas Mountains deviendrait un véritable groupe, et la musique, une carrière ?

François Marry : J’aimerais bien me replonger dans cette époque où j’étais étudiant, puis assistant d’anglais à Bristol pendant cinq ans, et où je faisais mes premiers bidouillages. Je ne me souviens plus trop de la manière dont j’anticipais mon avenir alors. Mais je ne pense pas que j’imaginais ça, même si j’en rêvais secrètement ! Chaque étape franchie a donc été pour moi une bonne surprise.

C’est un parcours un peu similaire à celui de Dominique A, à qui on t’a souvent comparé à tes débuts.

Oui, mais je crois qu’il a quand même eu du succès plus rapidement, pour moi ça a été plus graduel. Il a fait des émissions de radio dès ses débuts (fort soutien de Bernard Lenoir et de France Inter, ndlr), il tournait beaucoup. Et puis, quand il a commencé, la scène française était moins riche, il y avait moins d’artistes qu’aujourd’hui et il était sans doute plus facile de sortir du lot quand on apportait quelque chose de neuf.

Beaucoup d’événements tragiques se sont passés depuis la sortie du précédent album en 2014. Cela a-t-il influé sur le nouveau, et plus largement sur ton approche de la musique ?

C’est sûr qu’il y a eu une remise en question. C’est inévitable de penser à ces événements et ça se ressent dans la musique, qui a été faite en grande partie en réaction à tout ça. Le 13 novembre 2015, j’étais à Bruxelles où j’habite depuis deux ans, je répétais avec le groupe. On avait joué environ un an plus tôt au Bataclan, et c’est une salle que beaucoup de musiciens connaissent, bien sûr. (silence) Il y a beaucoup de façons de réagir, mais en tant qu’artiste, tu ne peux pas faire comme si rien ne s’était passé. A travers la musique que j’ai produite par la suite, j’ai voulu donner un coup de pied dans la fourmilière, m’exprimer sans détours.

Tu cherchais à faire un disque davantage en prise avec le réel, avec l’état du monde ?

Oui, et c’est dû aussi au fait d’habiter Bruxelles, une ville relativement petite et assez chaotique, avec une population très mêlée. Et puis on était bombardés d’infos, il était impossible d’y échapper. En plus, l’album a été enregistré à Molenbeek, un quartier sur lequel les projecteurs ont été braqués soudainement, et je ne reconnaissais pas vraiment l’expérience que j’en avais dans les descriptions qui étaient faites. Après, c’est un hasard si on a travaillé là-bas, j’avais surtout choisi ce studio parce qu’il était près de chez moi et pas très cher.

Tes textes ne sont jamais trop directs, sans être non plus trop abstraits ou allusifs. Même si les formules sont parfois poétiques, on comprend de quoi tu parles. Tu tiens à cet équilibre ?

Pour moi, c’est surtout de la pudeur à l’égard des musiciens de mon groupe, qui sont mon premier public. En répète, je comprends d’un seul regard ce qui passe et ce qui ne passe pas. Quand des choses me paraissent trop forcées, je les vire. J’aime bien jouer avec les sonorités des mots aussi, dans les titres notamment : sur le nouvel album, il y a “Apocalypse à Ipsos”, “Apres après”, “Le Perpétuel Eté”… Et puis je prends plaisir à utiliser des images, des métaphores, avec une naïveté assumée, même si le fond peut être sérieux. C’est quelque chose qu’on trouve beaucoup dans les textes des chanteurs africains, par exemple.

Musicalement, tu as davantage recours à l’électronique sur ce disque, même si ce sont parfois des petits détails au fond du mix. J’ai souvent pensé aux morceaux du Nigérian William Onyeabor, qui nous a quittés il y a quelques mois.

C’est en effet une musique que j’aime beaucoup, avec ce côté sautillant, funky. Ce son vient du matériel qu’on avait, les synthés, les machines, mais ils peuvent aussi être utilisés de façon beaucoup moins légère, tout dépend de l’approche qu’on adopte. On a voulu se donner le plus de liberté possible, notamment dans les programmations de rythmes qu’a faites Jean alias Jaune!, le batteur.

Tu as fait appel à Owen Pallett pour les parties de cordes. C’est la première fois que tu travaillais avec lui ?

Oui, et c’était d’ailleurs la première fois que j’avais quelqu’un pour s’occuper de ces arrangements, d’habitude je me débrouille seul avec les musiciens. Ça s’est fait assez simplement vu qu’on est sur le même label. J’ai dit au boss de Domino que j’avais envie d’“anoblir” les morceaux, et il m’a suggéré cette collaboration avec Owen. Je suis très fan de son travail, donc j’étais ravi. Il n’est pas venu à Bruxelles, il a fait ça depuis chez lui, seul, car on n’avait pas le budget pour un orchestre symphonique… Il a une ouverture d’esprit suffisamment grande pour comprendre ce qu’on voulait, et je suis très content du résultat.

Frànçois and the Atlas Mountains 2017

Un morceau de l’album, “Bête morcelée”, est très différent du reste, et même de tout ce qu’on connaissait de toi jusqu’ici : il dure moins de 2 minutes, est très furieux et bruyant. Tu as hésité à le mettre sur le disque ?

Le groupe n’était pas très chaud, j’ai dû insister… Je leur ai dit que le morceau était court et qu’ils pouvaient bien m’autoriser ça (sourire). Je ne trouve pas qu’il déséquilibre le disque là où il est placé, vers le milieu je crois (il vérifie sur la pochette). Enfin, c’est la septième des dix plages, en fait… J’ai bien galéré pour le séquençage, j’ai cru que je n’allais pas y arriver. Finalement, j’en suis satisfait. Je pense par exemple que “Le Grand Dérèglement” est à sa place en ouverture : c’est un morceau qui me semble accrocheur, qui permet de rentrer tout de suite dans le vif du sujet, et dans lequel on retrouve bien l’identité du groupe.

Tu as composé beaucoup de morceaux pour n’en garder que dix à l’arrivée ?

Là, on en avait dix-sept. On jouera peut-être sur scène quelques morceaux qui ne figurent pas sur l’album. Il y en a que j’aimerais aussi réarranger avec d’autres musiciens. J’avais pas mal de chansons “grunge”, une sorte de retour à ce que j’écoutais plus jeune, et ceux avec qui je joue ne sont pas trop dans ce délire-là. Un morceau d’une minute trente, ça va, mais plus long, ils ont du mal ! (sourire)

Lors d’un voyage en Afrique, vous aviez enregistré avec des musiciens locaux le EP “L’Homme tranquille”, qui est un peu à part dans votre discographie. Tu aimerais sortir d’autre disques en dehors des albums, avec des morceaux qui n’y auraient pas trouvé leur place ?

Oui, j’aimerais bien, d’autant que c’est vraiment un disque que j’adore. Mais pour un label, c’est difficile d’en faire la promo et de les vendre. Après, on peut toujours trouver un autre moyen de faire entendre sa musique.

En 2015, vous avez joué au Proche-Orient, principalement au Caire. Comment cela s’est-il passé ?

C’était à l’invitation de l’Alliance française, on s’est aussi produits à Alexandrie, Beyrouth et Istanbul. Les organisateurs avaient eu la bonne idée de choisir des lieux en extérieur pour certains des concerts, on n’a donc pas joué uniquement pour le public habituel de l’Alliance française. Beaucoup de spectateurs ne connaissaient pas notre musique, ça a été une expérience assez dingue. On a rencontré une jeunesse électrique, moderne dans sa propre culture. Les autres groupes qu’on a vus dans ces villes étaient à la fois fidèles aux traditions du pays et ouverts à des influences extérieures.

Vous avez adapté le set au public ?

Oui, on a vite senti que nos morceaux qui relèvent de la “pop maniérée” n’auraient pas trop de sens. Il fallait rentrer dans le lard ! C’était beaucoup plus speed et énergique que d’habitude. C’est la musique la plus primaire, primale, instinctive qui rencontrait le plus d’écho.

“Solide mirage” est ton premier disque chanté intégralement en français. On aurait pu penser qu’avec la signature chez Domino, tu allais plutôt continuer à écrire des morceaux en anglais, pour toucher un public plus large.

J’avais composé quelques morceaux en anglais, mais j’avais envie de cohérence et de clarté. Il me semblait que mettre dix titres en français sur l’album aurait beaucoup plus d’impact, que le propos apparaîtrait de façon plus nette. Etrangement, ça ne pose pas de problème chez Domino. Je crois qu’ils aiment bien l’identité du groupe, qui n’est pas fondée uniquement sur la langue, les textes, mais aussi sur la musique, une certaine forme de groove. Et “Le Grand Dérèglement” commence à bien tourner sur les radios britanniques, donc l’usage du français n’est pas vraiment un obstacle.

Tu as joué l’intégralité de l’album “Plaine inondable” à Bordeaux pour les 15 ans du label Talitres, l’an dernier. Qu’est-ce que tu as retiré de l’expérience ?

J’ai bien aimé ce retour aux sources. Ça reste mon album préféré, je le trouve très touchant, très réussi. Avec les musiciens de l’époque, on avait pris beaucoup de temps pour le réaliser, on l’avait fait un peu sans s’en rendre compte, sans planning, sans pression. Les chanteuses polyphoniques qu’on entend sur le disque se sont retrouvées pour le concert, elles ne s’étaient pas tellement revues depuis l’enregistrement. C’était un beau moment, et je pense qu’il restera unique. Je ne voudrais pas qu’on devienne l’un de ces vieux groupes qui se retourne sur son passé, ça me fait un peu peur. Bien sûr, les choses ont pas mal changé depuis, il y a davantage d’attentes et d’anticipation qu’à l’époque, et j’en suis conscient. Mais l’important, c’est qu’on continue à avancer.

La plupart des musiciens des Atlas Mountains ont des projets en dehors, toi tu as collaboré avec Rone ou Etienne Daho… Aller voir ailleurs, c’est important pour se ressourcer et éviter la sclérose ? Est-ce que ça ne peut pas aussi menacer l’existence du groupe ?

Ces mouvements se font de façon assez naturelle, sans trop y réfléchir. Après chaque album, chacun est libre : certains ont envie de partir et finalement restent, d’autres aimeraient continuer mais ne peuvent pas, ont des engagements ailleurs ou veulent consacrer davantage de temps à leur propre projet. La composition du groupe n’est pas figée, elle fluctue au gré des aléas de l’existence, voire des histoires d’amour des uns et des autres. On ne planifie pas grand-chose.

Vous aviez énormément tourné en 2014, j’avais dû vous voir quatre fois sur scène dans l’année, à Paris et en banlieue…

Je crois qu’on avait joué 165 concerts, un rythme de fou.

Il y avait une dynamique très forte au sein du groupe, avec des morceaux comme “Piscine” qui prenaient une autre dimension en live. Tu espères retrouver ça avec la nouvelle formation ?

On repart un peu de zéro, mais je pense qu’on va retrouver la même entente. Pierre est reparti vivre à Bayonne pour poursuivre son projet Petit Fantôme, et Gerard, de Babe, à Glasgow. Dans le même temps, David du groupe Le Colisée nous a rejoints. La formation évoluera peut-être encore un peu pour la scène, on va voir.

A Paris, vous allez faire trois dates à la Maroquinerie. C’est une volonté de votre part de revenir à des salles de dimension plus modeste ?

Oui, j’aime bien voir le public, pouvoir interagir avec lui, ce qui est difficile sur une grande scène de festival. C’est bien que les spectateurs soient assez près, qu’il y ait cette authenticité, cette immédiateté. Les musiciens n’ont pas à être sur un piédestal.

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