Après Thomas Dybdahl qui signe un superbe « The Great Plains », on ne quitte pas les pays du nord de l’Europe avec le suédois Jens Lekman. Ne venez pas chercher sur « Life Will See You Now » des terres glaçées, vous risquez d’être pour le moins surpris. Jens Lekman délaisse ici le sampling et les juxtapositions pour une musique lumineuse quand elle n’est pas carrément discoïde.
On peut bien le dire, on est quelques-uns à chanter les louanges de ce monsieur, Jens Lekman, suédois de naissance et génie de vocation. Ce musicien, pouvant dans une même chanson aller au bout de mille idées, intégrer des samples d’abord perçus comme incongrus mais d’une pertinence rare ou bien aller jusqu’à l’examen de conscience. Il n’y a guère que Sufjan Stevens à travailler la chose Pop dans un territoire bien différent pour créer un vocabulaire inédit.
Depuis son premier disque, il rencontre un franc succès dans son pays natal, ce qui prouve une fois encore le bon goût des gens du Nord. Que ne leur viennent pas à l’idée de faire la comparaison avec nos meilleures ventes en France. Comme quoi, on peut proposer un univers exigeant, pas toujours facile à aborder et malgré tout rencontrer un public nombreux. Comme quoi, on peut donner de la confiture aux cochons, ils prendront goût aux sucreries.
Avec « Life Will See You Now », Jens Lekman signe encore une fois un grand disque de Pop doux-amer. Il s’amuse avec tous les prismes, toutes les facettes de la musique Populaire, du « To Know Your Mission » tout en ligne claire et en combativité à un « Evening Prayer », so Eighties avec ses effets de batterie électronico-ironiques. On ne serait pas surpris de voir Patsy Kensit courir sur la piste de danse.
On aurait sans doute penser à Everything but the girl même sans la présence de Tracey Thorn sur « Hotwire the Ferris Wheel » pour ce mélange de soleil et de mélancolie, pour cette bossa nova mêlée au groove des synthés. On pensera parfois à un Jay-Jay Johannsson qui aurait su négocier son virage italo-disco. « Life Will See You Now » est un disque occupé par la volonté d’une distraction de la morosité. Il n’y a sans doute que Jens Lekman à pouvoir faire un morceau clairement Calypso comme « What’s That Perfum You Wear » sans donner l’impression de s’être égaré.
C’est brillant et novateur sans le dire, sans l’affirmer. Une musique qui fait sourire vos oreilles, un côté strass et paillettes pleinement assumé depuis toujours, toujours sur la corde raide du kitsch et de la friandise chargée en glucose. Il suffit d’entendre le maniérisme démodé de sa voix sur « Our First Fight » ou les lignes harmoniques de « Wedding in Finistère » finalement pas si éloignés de certains disques solo de Paul Simon. Bien sûr, Jens Lekman ne quitte pas son sens de l’expérimentation des samples, lui qui passe son temps libre à la recherche de disques improbables. « How We Met, The Long Version » doit beaucoup au sample de ce titre de Jackie Stoudemire, « Don’t Stop Dancin ». Je ne peux que vous conseiller l’écoute de l’original pour bien comprendre tout l’art du sampling qui n’est certainement une entreprise de pillage de l’œuvre d’un autre. Ici, Jens Lekman apporte à cette composition somme toute assez classique une expression plus riche avec des clins d’œil à Curtis Mayfield. Lekman va aussi à fond dans une régression disco du meilleur goût. Ca sent les pantalons pat d’eph, le patchouli et l’hédonisme.
Il est comme un funambule sur « How Can I Tell Him » ou sur « Postcard #17 », gospel déviant qui rappellera le « Temperamental » de 1999 d’Everything But The Girl. On sent y poindre une gravité à la surface, un léger déraillement dans la voix, une tonalité Jazzy à peine dite quand il ne taquine pas volontiers le rétro comme « Dandelion Seed », son accordéon réaliste, sa valse à trois temps.
« Life Will See You Now » est, malgré ses airs accueillants, un disque bien plus riche qu’il n’y paraît. Les tribulations d’un Suédois dans les rêveries et le tribut qu’il nous en laisse.