Il est rare de voir un groupe se réinventer de disque en disque sans rien renier de sa discographie et sans pour autant laisser ses idées dans le domaine du brouillon. Les Marquises, le projet mené par Jean-Sébastien Nouveau, est de ceux-là. Il signe une troisième création absolument passionnante avec « A Night Full Of Collapses ».
Jean-Sébastien Nouveau fait partie de ces quelques figures de la scène Indie française, encore discret qui lentement, constitue une oeuvre. Des débuts brillants avec Immune qui naviguaient à vue sur les territoires de Mark Hollis avec ou sans Talk Talk ou sa récréation Pop avec Colo Colo, ce qui semble briller chez le jeune homme, c’est une volonté de prise de risque encore plus marqué avec Les Marquises. On n’a pas oublié le Lost Lost Lost, adaptation singulière du « The Story of the Vivian Girls, in What is known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinnian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion » d’Henry Darger. On aurait vite fait et sans doute hâtivement de réduire le projet à quelque chose relevant de l’art brut. C’est vrai qu’à l’écoute du premier disque des Marquises, on y retrouvait avec évidence le Radiohead de Kid A, Can ou encore Louis Thomas Harding. C’était volontiers inconfortable, difficile et dissonant.
« Pensée magique » travaillait le même sillon mais en y intégrant un soupçon de Pop avec des plans plus larges, des structures moins oppressantes. « A Night Full of Collapses » réunit un peu les deux tendances qui se dégagaient des premiers disques. Tant au niveau rythmique que du seul point de vue atonal de la voix, on pensera aux Madrigal ou encore aux « H’art Songs » de Moondog. Ce qui ressort de chacun des disques des Marquises, c’est ce sens de l’image qui défile, cette mise en scène et en perspective comme ces longues boucles sur « Vallées closes » qui contribuent à cette impression d’enfermement. C’est sans doute « Lament » qui évoque le plus le vieux clochard barbu casqué mais on y devine aussi les terres mobiles de Coil, la folie douce et domestiquée d’un Eden Abbhez.
On rencontre également sur « A night full of collapses » de nouvelles pistes pour Jean-Sébastien Nouveau comme ces effluves Jazz sombres comme savent les faire les allemands de Bohren & Der Club Of Gore. Il suffit d’écouter ce « Feu pâle » totalement habité par un Matt Elliott qui ose à nouveau le chant en français. D’ailleurs en terme de collaboration, on retrouve sur ce disque des habitués de la maison Les Marquises (Christian Quermalet, Jeff Hallam, Souleymane Felicioli, Julien Nouveau, Martin Duru) mais vient s’y joindre Olivier Mellano et donc Matt Elliott pour huit titres aux ossatures à la fois solides et poreuses.
Chacun des protagonistes des Marquises semble apporter un peu de son univers comme une auberge espagnole aux fenêtres grandes ouvertes. « The Beguiled » doit par exemple aux structures dévoyées de The Third Eye Foundation quand « A Forest of lines » évoquera un Badalamenti hypoxique et cachexique. Bien sûr, comme son nom le présuppose, ce troisième disque des Marquises est une oeuvre nocturne, à mi-chemin entre un désespoir rampant et l’assurance que rien ne dure fort heureusement. Une expérimentation légère de celle que l’on aime sur les disques d’Ulver.
Il ne faudrait pas voir en « A night full of collapses » une vision monochrome mais bien plus un nuancier délicat qui irait du gris clair au plus cendré des noirs. On se surprendra à trouver quelques lumières sur « Following Strangers » pour se laisser ensuite happer par l’étrangeté oppressante, sa tribalité qui sonne comme la vie. En conclusion, « The Passing » rappellera le meilleur épuré de Trisomie 21, les constructions de rien de Tuxedomoon.
D’album en album, Jean-Sébastien Nouveau n’en finit pas d’enrichir la largeur de sa palette et construit des climats toujours habités comme sur cet immense disque qu’est « A night full of collapses ». Un disque difficile, sombre comme un clair-obscur mais empathique comme un ami proche.