Réédition augmentée sur le label Domino d’un chef d’oeuvre inépuisable sur lequel le temps ne saurait avoir de prise : Fragments of a Rainy Season de l’immense John Cale.
L’année 2016 aura donc vu la réédition de deux œuvres majeures dans la discographie de John Cale. Après en début d’année l’éprouvant et sublime « Music for a new society » publié initialement en 1982 voici « Fragments of a Rainy Season » sorti exactement 10 ans plus tard. Si l’ancien bassiste du Velvet aura commis au milieu des années 70 au moins deux chefs d’œuvre (« Paris 1919 » et « Fear »), il aura aussi traversé la période suivante avec infiniment plus de bas que de hauts (« Music for a new society », justement), l’essentiel tenant finalement à son influence sur le punk tant anglais qu’américain qu’il aura préfiguré (en produisant les Stooges et les Modern Lovers notamment), comme sur le post punk glaciaire de Bauhaus ou d’Eyeless in Gaza. La fin des années 80 l’aura vu, après la mort de Warhol, revenir au devant de la scène musicale en s’unissant d’abord avec Lou Reed, l’ancien frère ennemi, le temps d’un hommage particulièrement émouvant au mentor du Velvet Underground (« Songs for Drella »), puis avec Brian Eno autour de deux projets, dont l’un au moins, sous-évalué, aura donné naissance à un très beau disque symphonique (« Words for the Dying »). La reformation éphémère du Velvet Underground (avant une nouvelle brouille), le temps de quelques concerts donnés la même année (dont ceux de l’Olympia), en 1992, concluant provisoirement une période fertile, qui aura également permis à de nouvelles générations de découvrir l’œuvre de Cale comme celles de ses partenaires passés (de Nico à Lou Reed en passant par Eno).
Loin de ces quelques perspectives historiques « Fragments of a Rainy Season » apparaît aujourd’hui encore comme l’œuvre dans laquelle le génie d’interprétation de John Cale se sera exprimée avec le plus d’évidence. Le disque sorti en 1992 a été enregistré lors de plusieurs concerts donnés sur le continent, de Paris à Bruxelles, comme une parenthèse sublime dans un parcours que l’on sait heurté et sinueux. On y retrouve ainsi la plupart des plus belles chansons du gallois toutes époques confondues, jouées dans leur plus simple appareil, au piano ou à l’aide d’une seule guitare. Cale se livrant alors à un exercice cathartique d’une incroyable intensité, en débarrassant ses compositions de leur contexte de production d’origine parfois éprouvant. Et rares sont les chansons qui vous habitent avec autant d’évidence que « Dying on the vine », « A Child Christmas in Wales », ou la plus récente « Lie Steel, still becalmed », jouées ici au plus près de l’os. L’occasion aussi pour John Cale de reprendre avec une force d’incarnation inégalable la chanson d’un fantôme aîné (Elvis Presley) ou de l’un de ses plus plus illustres contemporains (Leonard Cohen), le temps d’un « Heartbreak hotel » halluciné puis d’un « Hallelujah » épiphanique, à la fois puissant et recueilli (et accessoirement la plus belle version jamais entendue de l’une des chansons les plus reprises des trente dernières années).
Un deuxième disque, complétant désormais l’enregistrement d’origine, propose parmi les 8 inédits plusieurs interprétations alternatives de quelques titres déjà présent sur l’album initial, avec en bonus un « I’m Waiting for the Man » enlevé, en forme d’hommage aux années new-yorkaises. A son écoute on comprend mieux l’art de Cale, à l’œuvre sur scène comme en studio (ce dont témoigne aussi sa relecture récente de « Music for a new society »), se jouant toujours subtilement des ruptures de ton, modelant et déconstruisant ses chansons au jour le jour, en fonction de l’inspiration du moment, sans jamais perdre ce qu’elles contiennent de fièvre et d’émotion brute. Ce qui fait de lui un artiste d’exception, et ce « Fragments of a Rainy Season » un remède puissant aux émotions faciles et à la médiocrité du présent. Nul doute que l’éternité lui appartient déjà.