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Interviews

Stranded Horse – Interview (2e partie)

Yann Tambour, tête pensante de Stranded Horse, est un musicien bavard, ce qui lui permettait d’ailleurs de meubler pendant les longs réaccordages lors de ses premiers concerts. Nous avions ainsi prévu de passer en deux fois la copieuse interview qu’il nous avait accordée en début d’année pour la sortie de l’album “Luxe” chez Talitres. Alors que le label bordelais fête ses quinze ans, il nous a paru opportun de publier enfin la deuxième partie de l’entretien (la première peut toujours être lue ici), autour des correspondances et échanges qui nourrissent depuis toujours sa pratique musicale.

Stranded Horse - Portrait

Tu as enregistré quelques reprises : Marc Bolan, The Smiths, Joy Division, Jackson C. Frank… Ce sont des morceaux importants pour toi, et auxquels tu voulais apporter un nouvel éclairage ?

Non, ce sont des chansons que je déteste, et comme je pense que ça a été très mal fait, je m’efforce de les corriger ! (rires) Je plaisante… En fait, il y a une part de hasard. Quand je suis parti à Dakar pour ma première résidence, je manquais un peu de matériau pour travailler avec des musiciens, car je n’avais pas encore commencé l’écriture du nouvel album. J’ai alors pensé à répéter avec eux des reprises, que j’avais déjà grattouillées de mon côté. Et me dire que j’allais reprendre “Transmission” de Joy Division avec des musiciens sénégalais, ça m’a quand même super excité !

Celle-ci est sortie sur un 45-tours, et j’ai gardé la cover de Jackson C. Frank pour l’album “Luxe”. L’instrumentation mandingue traditionnelle, je l’ai surtout utilisée sur des reprises plutôt que sur mes propres compositions, mais ce n’était pas dans l’idée d’apporter un décalage, ça s’est trouvé comme ça. Ceci dit, reprendre Jackson C. Frank avec des musiciens africains, c’est en quelque sorte boucler une boucle. Quand j’ai commencé Stranded Horse, j’ai fantasmé – car je ne prétends pas que c’est une vérité historique ou scientifique – une correspondance entre les cordophones (instruments à cordes, ndlr) d’Afrique de l’Ouest et le blues en fingerpicking du Mississippi, qui a beaucoup influencé les guitaristes folk des années 60. On peut s’imaginer que ça a transité par l’esclavage, ce n’est pas non plus un parallèle très difficile à tracer. D’ailleurs, un documentaire de Scorsese que j’ai découvert par la suite a tracé ce sillon : “Feel Like Going Home – Du Mali au Mississippi” (premier volet de sa série “The Blues”, ndlr).
Jackson C. Frank est lui-même quelqu’un d’un peu déterritorialisé. C’était un Yankee pur jus, mais il était parti pour l’Angleterre et a eu une grande influence sur le British folk. C’est dans ce contexte-là qu’il a sorti son seul véritable album, c’était un contemporain de Nick Drake, il a été découvert par Paul Simon. J’avais donc l’idée de faire retransiter ce morceau en le ramenant aux sources africaines. Ce n’est absolument pas scientifique, c’est purement fantasmagorique, mais ça me plaisait.

Sur le nouvel album, il y a des chansons en anglais et d’autres en français. Comment choisis-tu la langue que tu vas utiliser ?

Il y avait ici une volonté d’équilibre entre les deux, environ cinquante-cinquante. Ce sont deux langues que je pratique au quotidien depuis toujours ou presque. J’ai toujours été très anglophone et très anglophile, et je ne lis quasiment qu’en anglais. J’ai fait une partie de mes études et ai vécu dans des pays anglo-saxons, c’est donc très naturel pour moi. En termes de processus d’écriture, ça ne fait pas une différence phénoménale. Les textes peuvent paraître un peu plus élaborés, plus littéraires ou poétiques en français, mais ce n’est pas quelque chose à quoi je fais attention. Là, pour “Luxe”, j’avais l’idée d’être à la croisée de tout ce que j’avais fait avant, d’explorer de nouveau mon travail passé et de me tourner en même temps vers des musiques qui me plaisent et que j’ai envie de développer. Dans cet optique-là, utiliser à la fois le français et l’anglais me semblait logique. Et même si les musiques peuvent apparaître très différentes, je vois aussi des similitudes avec Encre.

D’où vient la photo de pochette du dernier album ?

A la base, c’est une photo que j’ai prise en Afrique avec un iPhone. Sa définition n’était pas assez bonne pour illustrer une pochette de vinyle, et j’ai donc dû trouver une parade. Je l’ai imprimée sur un papier avec beaucoup de grain, puis scannée en très haute définition pour que la texture du papier ressorte. D’où ce côté un peu gravure, tableau. Ce que j’aimais beaucoup aussi, c’était le contraste entre le titre de l’album, “Luxe”, et l’aspect fripé, un peu détérioré de l’image. Ça me semble cocasse.

Et ce titre, justement ?

Il y a plein d’explications, ça dépend des jours ! Au début, c’était “Lux” sans “e”, car il y a énormément de références à la lumière sur le disque. Et puis j’ai rajouté un “e” parce que ça me faisait rire… Je me suis dit que finalement ça définissait bien le contenu. J’ai l’impression que grâce à ma musique, à tous les voyages qu’elle m’a permis de faire, je touche à une forme de luxe, qui est aux antipodes de ce qu’on entend généralement par ce terme, pas du tout matériel. En gros, le luxe est ailleurs !

Stranded Horse - Graf

Tu as joué en Russie, en Chine, au Japon… Comment cela s’est fait ?

En Russie, j’ai joué à la fois dans la partie européenne et la partie asiatique du pays, via les Alliances françaises. Pour la tournée au Japon, j’ai greffé des dates autour d’une invitation au festival de l’Alliance française, ça s’est monté grâce à des gens que je connaissais sur place. La deuxième fois, j’ai donné des concerts à l’Alliance française à Tokyo. En Chine, il a dû y avoir quelques concerts dans ce cadre-là, mais sinon j’ai un label là-bas, qui peut me faire tourner dans le pays. J’ai dû y aller trois ou quatre fois, avec les deux premiers albums qui ont été pris en licence. Mais je ne m’y suis pas encore produit avec des musiciens africains. J’y pense, mais je sais que ce serait compliqué. Même en France, ce n’est pas forcément simple. J’ai fait venir plusieurs fois Boubacar (Cissokho, joueur de kora dakarois, ndlr), sur des tournées courtes, dans des conditions assez rudimentaires, pour qu’on se rode avec le système des visas et qu’on soit prêts au moment de tourner plus longuement, à la sortie de l’album. L’idée, c’était de montrer patte blanche auprès de l’ambassade. Maintenant, il a la liberté de circulation, avec des limitations de temps qui compliquent quand même pas mal l’organisation des tournées et des résidences.

Et l’Afrique ?

Je n’y ai pas vraiment tourné, j’ai joué au Sénégal, principalement à Dakar. Au Maroc, aussi. Je pense que ça pourra se faire plus tard. On va d’abord tourner en France et en Europe occidentale, on va essayer la Grande-Bretagne aussi (c’était avant le Brexit, ndlr). On procède par étapes… Je n’ai pas trop envie de me produire de nouveau en solo, mais si les conditions l’exigent, je m’y remettrai. Je pourrai peut-être aussi tourner avec quelques musiciens occidentaux, mais j’aime quand même l’idée que le noyau, ce soit cette rencontre entre « Bouba » et moi, cet échange entre l’Afrique et l’Europe. Mais ça me semble inévitable qu’on doive parfois déroger à la règle.

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