Au début de l’été 2016, le nom de PeeWee Longway est tout à coup apparu dans certains médias généralistes, pour une raison assez inattendue : en plein Euro, des journalistes avaient découvert en lui le créateur de l’étrange danse exécutée sur le terrain par le footballeur Paul Pogba. Un peu plus tôt, c’est par le biais de LL Cool J, qui s’était déclaré fan, que certains avaient entendu parler pour la première fois du rappeur. Cette année, cependant, l’homme d’Atlanta mérite d’être distingué pour tout autre chose que la paternité du dab (qui lui est d’ailleurs disputée par Migos), ou que l’étonnant intérêt que lui a manifesté un vétéran du hip-hop. Il faut plutôt célébrer Mr. Blue Benjamin, son premier véritable album, sorti en janvier.
Quincy Lamont Williams n’a en fait pas attendu 2016 pour faire connaître son pseudonyme. Il est l’un de ces protégés de Gucci Mane qui a profité du vide laissé par l’incarcération de ce dernier pour occuper le devant de la scène, à Atlanta, à la manière de Young Thug. Les deux, d’ailleurs, sont copains comme cochons, comme l’a montré dès 2013 ce numéro de Laurel et Hardy (l’un est grand et efflanqué, l’autre petit et gras) qu’a été leur collaboration sur le titre « Loaded ». C’est grâce à ce single que le rappeur a commencé à se faire un nom, puis à la mixtape Lobby Runners, où il apparaissait en chef de file de toutes les nouvelles figures de la scène d’Atlanta (Migos, Rich Homie Quan, Rich the Kid, Skippa da Flippa, Johnny Cinco). Puis il a embrayé avec une volée de mixtapes, dont la plus remarquée a été The Blue M&M (qui lui a causé des problèmes avec la société Mars, propriétaire de la marque), et en mettant le pied à l’étrier aux nombreux membres de son collectif, le MPA BandCamp (Bricc Baby Shitro, MPA Duke, etc.).
Mr. Blue Benjamin, cependant, figure parmi ce que PeeWee Longway a fait de plus consistant. Fort de son statut de porte-drapeau, épaulé par quelques poids lourds de la production locale (TM88 de la 808 Mafia, principalement, et un peu de Zaytoven), il y représente les deux tendances rap qui dominent sa ville en ces années 2010. D’abord, principalement, le rappeur se présente en criminel (le bleu, cette couleur qui semble l’obséder, serait une allusion au gang des Crips). Il exploite plus que jamais le thème central de la trap music, le deal de drogue, mais sur le mode d’aujourd’hui, avec des refrains qui forcent sur les répétitions, et un penchant pour la loufoquerie qui donne à penser qu’il a trop consommé des substances qu’il se vante de vendre. C’est ce qu’il fait de façon trépidante sur le mémorable « Keep One Cocked », sur « The Most », ou de manière plus atmosphérique et menaçante sur « Nothing Else to Talk About », « I Got the Box », « Excuses », « Jackie Tan », avec Juicy J et Wiz Khalifa, et « Guess What », avec Young Dolph. Bref, pour paraphraser l’un des titres, il retourne « Back 2 the Traphouse ».
PeeWee Longway, généralement, est crâne et offensif, comme avec le diss track « You Just Don’t Fit ». Mais aussi, en phase avec l’autre versant du rap d’Atlanta, il montre un visage vulnérable et paranoïaque sur la perle « I Can’t Vouch », et il s’adonne à des titres plus doux et mélodiques, ceux qui nous parlent de filles, avec parfois de l’Auto-Tune. Il le fait sur « I’m Sayin », sur « Cost to Be Me », sur l’humoristique et libidineux « Surgery », avec MPA Turk, et sur le formidable « Shame ». Cette face du rappeur n’est pas toujours la plus avantageuse, mais au moins, avec elle, il embrasse pleinement Atlanta, comme Gucci Mane l’avait fait avant lui. Il marche sur ses pas, l’invitant sur « Gold Mouth », et réinventant avec brio l’un de ses grands morceaux d’il y a 10 ans, « Street Nigga ». « Tu entends le Gucci Mane en moi », y dit-il. Et de fait, à quelques semaines de la libération du maître, Mr. Blue Benjamin a fini d’introniser PeeWee Longway comme remplaçant de luxe pour Guwop ; en son absence, comme la figure de proue du rap à Atlanta.