Skepta, pourtant, n’est pas un nouveau venu. Depuis plusieurs années déjà, tout comme son frère, JME, le natif des Tottenham est en Angleterre l’un des grands noms du grime. Il a commencé au début des années 2000 au sein du Meridian Crew, avant d’être affilié au collectif Roll Deep. Surtout, depuis 10 ans, il conduit une carrière solo qui lui a valu plusieurs tubes dans les charts nationaux. Mais avec « Konninchiwa », il gravit un échelon de plus, et il franchit les frontières de son pays. La nouvelle aura internationale du grime est flagrante avec ce disque, lancé à Tokyo à l’occasion d’un show avec des artistes locaux, officieusement parrainé par Drake (qui a symboliquement signé sur le label de Skepta, Boy Better Know), et auquel, en plus de figures du genre comme Wiley, ont contribué des Américains, A$AP Nast et Young Lord, de l’A$AP Mob, ainsi que Pharrell Williams.

 

Skepta a mis toutes les chances de son côté avec ses collaborateurs, et il en a fait autant avec le contenu même de Konninchiwa. Celui-ci, tout d’abord, a été conçu comme un vrai album, chose rare pour un genre plus axé sur ses singles et ses prestations radio. Il est court, compact et (presque) dénué de remplissage. Malgré les invités, Skepta en est bien l’acteur principal. Et son contenu, conforme à ce qu’avait annoncé deux ans plus tôt l’incendiaire single « That’s Not Me », fait preuve de dureté, il fait grand cas de l’authenticité et de la fidélité aux valeurs de la rue. Konnichiwa aussi, a de la substance. Quand il cesse d’attaquer les MCs qu’il méprise, Skepta s’y montre engagé. Il donne dans le commentaire social avec « It Ain’t Safe » et « Crime Riddim », il s’en prend à la police et aux politiques sur le grand « Shutdown », il reproche à l’industrie de s’approprier la culture de la rue sur « Numbers ». Une telle posture ne pouvait que satisfaire une critique musicale toujours fermement ancrée dans la contre-culture des années 70, et se substituer avantageusement aux joliesses grand public dont le grime a parfois été coupable.

Ces joliesses, malgré la présence d’une chanson d’amour en conclusion, « Text Me Back », sont également absentes de la musique. Produite quasiment exclusivement par Skepta lui-même, portée par les basses puissantes et les sons électroniques qui définissent le grime, elle est simple, directe et squelettique, et n’emprunte des samples à d’autres musiques (celle des Queens of the Stone Age sur « Man (Gang) ») que s’ils vont dans la même direction. Hormis la présence de sonorités plus américaines, par exemple sur « Ladies Hit Squad », c’est du grime ramené à l’essentiel, si soucieux de représenter le genre que ses paroles sont plus riches que jamais d’argot londonien, et qu’elles regorgent de références discrètes à son héritage, comme cette pique allusive à Dizzee Rascalz sur « Lyrics ». Et c’est bien là que réside l’exploit de Skepta avec « Konninchiwa » : il a su livrer un disque de classe internationale, où les liens avec le rap américain sont patents, mais sans jamais trahir la nature substantiellement londonienne de sa musique de prédilection.