Bien sûr, le plaisir de boire une pinte tiède et éventée dans un verre en plastique consigné et de croiser à l’espace VIP des gens qu’on n’arrive pas à voir le reste de l’année (alors qu’on habite la même ville) est irremplaçable. Cependant, est-il raisonnable d’aller encore dans un gros festival de rock en 2016 ? Et peut-on, en foulant les augustes pelouses du domaine de Saint-Cloud, connaître de grands moments de solitude au milieu de quelque 110 000 spectateurs (c’est environ 10 000 de moins que l’an dernier, mais ça reste énorme) ? Tentatives de réponses après les trois jours – dont deux caniculaires – de Rock en Seine.
Vendredi 26 août
Dur, dur de quitter le bureau quand celui-ci est climatisé… Il est donc 19 heures passées quand on arrive sur zone, à temps pour la fin du concert du Brian Jonestown Massacre, scène de l’Industrie. Certes, l’intérêt est tout relatif quand on les a vus quelques mois plus tôt jouer deux heures au Trianon, dans de bien meilleures conditions, mais force est de constater que le psychédélisme torpide d’Anton Newcombe et de ses acolytes – qui piochent dans pas moins de huit albums – s’accorde parfaitement à la chaleur encore étouffante. Un finale tout fuzz dehors (“Yeah Yeah”, classique) se change néanmoins de nous réveiller.
On se retrouve un peu par hasard sur la scène Pression Live, où joue l’Anglais Jack Garratt. Particularité : il est seul, jonglant entre la batterie, les claviers, la guitare, et bien sûr ses pédales d’autosampling. La performance est, en soi, impressionnante, mais la musique, dans la lignée de James Blake ou Jamie XX, est plus plaisante que fondamentalement originale. Le contraste entre un musicien avenant et hyperactif et des sonorités plutôt mélancoliques reste surprenant.
La programmation de Rock en Seine semble souvent conçue dans le but de faire venir le public anglais. Cela semblait encore plus flagrant cette année. Ainsi, si Two Door Cinema Club a certes eu son petit succès chez nous (c’est d’ailleurs le label parisien Kitsuné qui avait révélé le groupe), on peut s’étonner que les Nord-Irlandais aient les honneurs du prime time sur la grande scène. Ceci dit, ils sauront la tenir pendant plus d’une heure d’un show rondement mené. On constate cependant que les chansons ultérieures au premier album (dont celles du troisième, à venir sous peu) sont loin d’avoir le charme sautillant des premiers singles, heureusement inclus dans la setlist. Un symptôme de l’époque…
Notre seule excursion du côté de la scène Ile-de-France, dévolue aux jeunes groupes locaux, sera plutôt une bonne pioche. Usant essentiellement de synthés et de batterie électronique, les quatre garçons de Rendez-vous envoient un électro-punk dark pas foncièrement original, mais puissant et incarné. Quelques mètres devant moi, l’acteur Vincent Lacoste semble kiffer grave la musique (et les accolades des festivaliers qui ont reconnu l’ex-Beau Gosse).
Retour à la grande scène où les Last Shadow Puppets concluent logiquement cette première journée – soit TLSP après TDCC. C’est la dernière date de la tournée, ce qui donnera lieu à de grandes embrassades entre les musiciens. Très décontractés, un peu “lads” mais moins branleurs qu’à Primavera début juin, Alex Turner et Miles Kane livrent un concert fort plaisant entamé par le charmant quatuor de cordes jouant le célèbre “Thème de Camille” écrit par Georges Delerue pour “Le Mépris” de Godard. Sur les meilleurs morceaux, on se dit qu’il ne manque pas grand-chose aux deux amis (une fêlure ? un peu plus de maturité ?) pour se hisser au niveau de Scott Walker, Arthur Lee, Michael Head… ou Bowie, dont ils reprennent joliment “Moonage Daydream” en clôture d’une heure et demie de live. Un peu avant le rappel, on avait aussi eu droit – plus anecdotique, mais d’une francophilie forcément sympathique – à une cover en français des “Cactus” de Dutronc (ou “Cactousses”, comme le prononçait Turner, très smart avec ses boots).