S’il y a une chose qui a fait l’unanimité cette année à Saint-Malo (et qui ne peut être imputée aux organisateurs), c’est évidemment la météo. Beau fixe et températures agréables – prévoir quand même une petite laine pour la nuit – ont fait oublier les mauvais souvenirs d’éditions humides et bottées de la Route du rock. Pour le reste, la programmation moyennement excitante sur le papier (les responsables eux-mêmes en convenaient à demi-mot) fut moyennement excitante sur scène. Comme l’an dernier, où le festival avait dû faire face à l’annulation de Björk, il a manqué de vraies têtes d’affiche, des locomotives, et peut-être aussi de l’inédit, une bonne partie des artistes étant déjà venus au moins une fois.
Avec environ 13 000 entrées payantes selon les organisateurs, la fréquentation, sans être catastrophique, est restée en deçà des attentes, et des records des grands millésimes (à peu près le double). Signalons quand même la soirée du jeudi à la Nouvelle Vague, avec Usé et La Colonie de vacances, qui a affiché complet (nous n’étions pas encore arrivés, malheureusement). On évoquera une autre fois les difficultés auxquelles est confronté aujourd’hui un festival voulant rester indépendant ; contentons-nous pour cette fois de notre traditionnel compte rendu, avec quand même quelques beaux moments (en revanche, l’utilité du cashless pour les festivaliers, on n’a toujours pas compris).
Vendredi 12 août
Les New-Yorkais de Psychic Ills ouvrent le festival de belle manière. Duo sur disque, c’est en quintette que le groupe assure un concert qui ne manquera pas de faire honneur à leur nom. En permanence baignés dans la reverb de l’orgue et de la pedal steel guitar, les morceaux alternent entre longues plages instrumentales et une formule plus classique de couplet/refrain. Prêtant autant d’attention à leur apparence qu’à la qualité de leur interprétation, les membres de Psychic Ills ont rapidement conquis un public qui, comme souvent pour une ouverture, grossira largement pendant leur prestation. A l’image de leur attitude générale, c’est très timidement qu’ils sortent de scène sous les acclamations du public. (J.D.)
Peu de temps après, c’est un Kevin Morby bien plus assuré qui s’avance sur la grande scène avec l’assurance de celui qui connaît son public, d’autant plus qu’il était déjà à Saint-Malo en février dernier, pour la « collection hiver » du festival. Dès le premier morceau, « Cut Me Down », qui ouvre également son dernier album « Singing Saw », on devine que le folk aride du Texan va se marier parfaitement avec la sécheresse du Fort et qu’il va nous offrir une grandiose heure de live. Dans sa jeune carrière solo commencée en 2013, il a déjà produit trois albums dans lesquels il pioche gaiement, et l’on se rend compte avec les ovations du public, notamment pour « All of My Life », triste balade amoureuse, ou « I Have Been to the Mountain », premier single du dernier album, que tout le monde ici connaît sa discographie et se réjouit de la découvrir sous le soleil du festival. Les trois musiciens qui l’accompagnent sont au diapason et on ressent dans le groupe une franche camaraderie, très appréciable, et qui participe à rendre la prestation du groupe particulièrement chaleureuse. (J.D.)
Difficile d’avoir aujourd’hui un rapport autre que nostalgique à la musique de Belle and Sebastian, groupe qui exprime d’ailleurs lui-même depuis ses débuts la nostalgie d’un âge d’or de la pop – “indie” ou pas. Les Ecossais ont sorti leurs meilleurs disques il y a une vingtaine d’années, et le dernier album est plutôt dispensable. On n’en aura d’ailleurs droit qu’à de rares extraits, montrant que le disco-funk torride n’est pas ce qui sied le mieux à des musiciens ressemblant aux membres d’un club de lecture ou à de paisibles joueurs de bingo. Pour le reste de la setlist, Stuart Murdoch a cherché des thématiques : les magnifiques “The Stars of Track and Field” et “The Loneliness of a Middle Distance Runner” à cause des épreuves d’athlétisme aux J.O., “Another Sunny Day” parce qu’il fait soleil…
On revisite ainsi l’essentiel de leur riche discographie entre deux adresses du chanteur au public, qui assurera notamment que le groupe se sent profondément européen (comprendre : en tant qu’Écossais), d’autres formations britanniques livrant elles aussi tout au long du week-end des allusions plus ou moins transparentes au Brexit. Le chanteur semble en tout cas en bonne forme, lui que des soucis de santé avaient contraint à annuler la tournée de Belle and Sebastian à l’automne dernier. Le concert est sans surprises (le coup de faire monter les fans sur scène, ils l’avaient déjà fait il y a quelques années à Rock en Seine – l’occasion de constater que beaucoup étaient à peine nés à l’époque de “If You’re Feeling Sinister”) et perd par moments de son intensité, mais impossible de rester insensible devant une telle maîtrise du songwriting et des arrangements. (V.A.)
Des Anglais de Hælos, on n’aura vu que la fin, d’un peu loin. Une réactualisation habile, d’une belle ampleur sonore et rythmique, du trip-hop qui offrit dans le temps à la Route du rock quelques-unes de ses plus belles heures. La nuit leur allait en tout cas très bien. (V.A.)
Le supergroupe qui suit, Minor Victories, est composé de membres de Editors, Slowdive et Mogwai. Pas mal sur le papier. La formation évolue dans un univers finalement assez représentatif des origines musicales de ses membres. Une pop rageuse ou plus atmosphérique qui tire vers le post-rock, le tout porté vocalement par Rachel Goswell avec le soutien sur les chœurs du claviériste. C’est assez beau, bien en place, mais malheureusement les voix sont tantôt fausses, tantôt si fragiles qu’on en vient à douter que les musiciens aient une carte de visite si impressionnante que ça. Dommage. (J.D.)
Conclure la soirée par une succession de trois artistes électro n’était pas forcément une bonne idée (sinon, peut-être, en termes de budget). D’autant que les programmateurs n’avaient pas choisi des ambianceurs de la mixette, mais des têtes chercheuses aux ambitions nettement plus élevées. Ainsi de l’Allemand Henrik Weber, alias Pantha du Prince, réputé pour incorporer brillamment de “vrais” instruments (cloches, batterie…) à ses sonorités électro. Là, il est seul derrière ses machines, encapuchonné à la façon d’un moine, et même s’il chante un petit peu, la singularité de son approche paraît moins évidente dans ce contexte. Reste un bon set atmosphérique et raisonnablement dansant.
Gold Panda, lui, joue devant de belles projections de fleurs et de végétaux. Mais si son electronica riche et subtile est très agréable à écouter (pas le genre à envoyer un gros kick pour faire bouger la foule), il est quand même tard et l’on préfère garder des forces pour les deux jours suivants. On quitte donc le Fort avant la fin. Tant pis pour Rival Consoles, le troisième larron. (V.A.)