Alexis Taylor, ne s’est jamais reposé sur les lauriers d’Hot Chip, groupe qu’il a fondé avec Joe Goddard. Dès le début de la carrière du groupe il a commencé à collaborer pour d’autres artistes, à fonder de nouveaux groupes ou à jouer en solo. Avec son dernier album solo, sobrement intitulé “Piano”, il revient sur certains titres de sa carrière et joue quelques reprises en version piano-voix. Il nous parle de son besoin de spontanéité en musique, de sa passion pour Mark Hollis, et de son rapport à sa voix.
Pourrait-on revenir sur la genèse de ce projet. Comment t’es venue l’idée d’un disque piano solo ?
J’ai au fond de moi toujours voulu enregistrer un album piano-voix. Mais l’idée de le concrétiser me trottait en tête depuis plusieurs années. C’est surtout que je n’avais pas encore eu l’opportunité de passer à l’acte. Et puis je me suis retrouvé en studio à enregistrer avec un groupe américain de country qui s’appelle Honey Fingers. Deux des titres issus de cette session m’ont fait penser que je serais curieux d’en entendre des versions au piano. Je me suis donc assis au piano qui se trouvait dans le studio, et c’était le plus beau piano sur lequel j’avais eu l’occasion de jouer. Il sonnait magnifiquement. Idem pour le micro utilisé. Tout sonnait naturel, j’avais vraiment l’impression d’entendre ma voix telle qu’elle sonne en réalité. J’ai donc voulu les enregistrer dans la foulée avec le matériel qui se trouvait sur place. J’ai pensé que le résultat était tellement bon que je pourrais peut être en enregistrer quelques autres. Je me suis donc retrouvé avec la moitié d’un album enregistré live en seulement quarante minutes, alors que rien n’était planifié. Il y avait de nouveaux titres, d’autres plus anciens que je voulais retravailler et quelques reprises. Je tenais une formule qui semblait fonctionner, et donc la base de l’album. Je voulais un disque qui sonne proche de l’auditeur, qui crée une intimité. Il fallait pour ça qu’il soit enregistré dans d’excellentes conditions. Un son lo-fi était hors de question. C’était la première fois que je me retrouvais en studio tout seul. Tout ce que j’avais fait en solo jusque là était enregistré à la maison. Cette fois-ci l’environnement était différent et il fallait que j’arrive à capturer une performance en direct de qualité.
Tu avais pourtant déjà par le passé enregistré des maquettes en piano voix, mais les morceaux n’avaient pas vu le jour sous cette forme.
Oui, j’avais enregistré quelques titres, mais juste pour mon plaisir personnel. J’ai fini par toutes les utiliser pour l’album d’About Group qui s’appelle “Start & Complete”. Je leur ai tous donné une version des chansons en piano-voix la veille de notre entrée en studio. Nous y avons ajouté des arrangements. Je pourrais sortir ces maquettes un jour, mais juste en tant que document. Mais c’était plus une expérimentation qu’autre chose. J’ai fait pas mal de tests de placement de micro etc. Ce n’était pas publiable sur un album en tant que tel.
As-tu grandi dans un environnement où se trouvait un piano ?
Nous avions un grand piano à la maison. Il appartenait à mon grand-père avant que mes parents ne le récupèrent. Il avait un son incroyable. Il y en avait également un magnifique chez mon oncle. Au tout début d’Hot Chip nous sommes même allés chez lui pour enregistrer dessus. C’est un instrument primordial avec lequel tout a commencé pour moi. Même si les années passant j’ai joué de plus en plus de synthé à cause de ma carrière. Mais au fond de moi, un véritable piano acoustique reste ce que je préfère.
Avais-tu des modèles, réels ou fantasmés en tête ?
Non pas particulièrement. Je n’avais rien en tête pendant la confection de ce disque. Mais quand j’étais plus jeune, j’écoutais en boucle un disque de Plush qui s’appelle “More You Becomes You” qui était sorti chez Domino. Un disque très court enregistré en une prise. J’aime aussi beaucoup “Nilsson Sings Newman” d’Harry Nilsson et l’album solo de Mark Hollis de Talk Talk, même si ce dernier comprend d’autres instruments, certains passages sont quand même centrés sur le piano. Cet album est à ce jour la plus grosse influence sur mon travail. Non seulement à cause de l’espace dans la musique, mais aussi à cause de l’importance accordée à chaque détail. Peu après l’enregistrement de mon album, j’ai lu un livre écrit par Phil Brown qui était l’ingénieur du son des deux derniers Talk Talk et de l’album de Mark Hollis. Il y parle aussi de son travail avec Bob Marley, Harry Nilsson, Dido etc. Quand tu écoutes l’album solo de Mark Hollis, tu as l’impression qu’il est enregistré en live avec tout le monde dans la même pièce. Et pourtant, chaque partie a été enregistrée séparément en utilisant uniquement deux micros placés à l’entrée de la pièce. Tous les musiciens se sont installés ensemble, en gardant une distance stratégique par rapport aux micros. Et ils ont joué leur partie les uns après les autres. Dans mon album j’ai voulu garder cette notion d’espace et de placement de micro. Mais il y a un gros travail de mixage en aval pour faire sonner les chansons exactement comme je le souhaitais au départ. C’est une balance à trouver entre le live et le mixage. Et je trouve cette partie très intéressante à réaliser. Ce qui me fascine avec l’album de Mark Hollis, c’est qu’ils n’arrivaient pas à obtenir le son qu’ils souhaitaient si tous les musiciens jouaient en même temps. Ils ont donc dû trouver une façon de donner cette impression.
Étant obsédé par ce son parfait, comment as tu choisi le piano sur lequel tu as joué ?
Je ne l’ai pas choisi. Lorsque j’ai commencé à utiliser celui du studio, j’ai trouvé le son superbe. Il n’y a pas eu de recherche de studio avec le piano parfait. En fait, voilà ce qui s’est passé : j’avais un piano Steinway Opava à la maison dont j’adorais le son. Quelques temps plus tard je me suis retrouvé au studio Livingstone à Londres avec James Yorkston car je produisais son album. J’aimais tellement ce piano que j’ai composé “So Much Further To Go” dessus. Je l’ai enregistré dans la foulée. Ce titre se retrouve sur l’album, mais nous l’avons également enregistré avec Hot Chip dans une version différente. A partir de ce moment en studio avec James, j’ai sérieusement pensé à me lancer dans la création d’un nouveau disque solo. Plus tard, je me suis retrouvé dans un autre studio avec un piano complètement différent. Là encore, coup de foudre pour le son très chaleureux de l’instrument. C’était un Bluthner, un piano allemand. Je me suis dit que c’était le moment idéal pour me lancer. Ce qui tombe bien car j’aime la spontanéité et enregistrer rapidement, presque de manière inconsciente. Parfois je commence même à enregistrer avant que tout le matériel nécessaire ne soit installé.
Il n’y a donc eu aucune répétition avant d’entrer en studio ?
Non. Et presque toutes sont des premières prises. Il y en a deux issues des sessions qui ont nécessité une deuxième prise, mais elles ne figurent pas sur l’album. Et deux autres que nous avons du réenregistrer à cause d’un problème technique et du placement de ma voix. J’aime le côté explorateur des premières prises. Tu enregistres quelqu’un qui essaie en direct de réfléchir pour s’en sortir le mieux possible. Au bout de vingt prises, tu ne ressens plus rien. Mais certaines personnes n’aiment pas fonctionner comme ça. James Murphy de LCD Soundsystem préfère enregistrer plusieurs prises et il n’enregistre sa voix qu’une fois que la musique est terminée. J’en suis incapable. J’enregistre mes maquettes sur mon téléphone pour en garder une trace. Quand je prends le temps de les écouter pour savoir ce que je vais utiliser pour tel ou tel projet, je me dis souvent qu’il sera difficile de faire mieux que cette démo.
Et concernant ta voix, elle n’a jamais autant été mise en avant. Comment as tu abordé l’approche vocale ?
Si j’avais commencé à m’inquiéter de ce que les gens allaient penser de ma voix, je n’aurais jamais été capable de me lancer de ce projet. Par contre, une fois l’enregistrement terminé, c’est différent. Pour me rassurer je me dis que ce n’est que le reflet de qui j’étais à ce moment-là, que j’ai suivi mon instinct et mes sentiments. J’ai réalisé sur le tard m’exposer plus que jamais au niveau de ma voix pour cet album. Il n’y a aucun filtre. J’ai fini par me dire que certaines personnes attendaient peut être un projet aussi différent de ma part, même si ce n’est qu’un tout petit nombre.
Pourquoi avoir voulu choisir un mélange de reprises et de titres éparpillés sur ta carrière ?
Il y a certains titres que j’ai composés par le passé qui, même si j’adorais le résultat final, me donnaient l’envie de tenter une version différente. J’ai souvent une idée très précise du son que je souhaite obtenir quand je produis un titre. Mais parfois tu n’y arrives pas, alors tu explores d’autres pistes qui finissent par apporter leur lot d’excellentes surprises. Mais ton idée initiale te trotte encore en tête. J’ai donc voulu me recentrer sur le cœur de ces morceaux, avec une structure dépouillée. Ce qui veut dire se débarrasser de la majorité des instruments. J’avais envisagé de ne pas me limiter au piano pour deux des titres de l’album. Je voulais ajouter du violon et du violoncelle. Mais la personne qui devait s’en occuper, un ami proche, est malheureusement décédée. C’était trop dur pour moi d’imaginer le remplacer par quelqu’un d’autre, j’ai donc abandonné l’idée. Le reste est composé d’originaux que je n’avais jamais sortis et de reprises qui me tiennent à cœur.
Toi qui as toujours beaucoup collaboré, comment était-ce de se retrouver juste toi, un piano et un ingénieur en studio, toi qui est plutôt habitué à être entouré ?
C’était difficile de se retrouver seul avec mes morceaux et de devoir partager ma vision avec d’autres. J’étais seul, dans l’impossibilité de demander l’avis à une personne de confiance. J’ai tellement l’habitude avec Hot Chip que tout se fasse en mode collaboratif. On se conseille, on modifie des parties des autres etc. En solo j’ai toujours du mal à estimer à quel point je dois impliquer d’autres personnes. C’est pourquoi je finis par tout faire moi-même. Mais là, pour la première fois en solo, je me suis retrouvé avec un ingénieur du son. Et pourtant tout s’est passé à merveille, nous nous sommes très bien entendus. C’était un projet particulier pour lui car il n’avait jamais travaillé sur ce type d’album. Ses compétences en termes de choix et de placement de micros ont été déterminantes sur le résultat final. J’ai beaucoup appris grâce à lui.
Tu as composé “Repair Man” avec Green Gartside de Scritti Politti. Comment avez-vous été amenés à vous rencontrer ?
Il a été nominé pour le Mercury Prize en même temps que Hot Chip pour son album “White Bread, Black Beer” en 2009. Nous avions rapidement échangé ensemble le soir de la cérémonie. Peu de temps après je suis tombé sur lui dans un pub à Londres. Enfin je savais que c’était son pub de quartier et étant un grand fan de Scritti Politti, je n’y suis pas allé par hasard. Je suis juste allé boire un verre avec ma femme en espérant qu’il se trouverait là bas. La chance a voulu qu’il s’y trouve et il m’a proposé de faire de la musique avec lui. “Repair Man” a été composé à cette époque. Nous avons joué ensemble en concert à plusieurs reprises et il a également collaboré au dernier album d’Hot Chip. Nous sommes de bons amis. J’ai vraiment apprécié cette collaboration avec lui car j’ai dû repartir sur de nouvelles bases. Avec Joe de Hot Chip, on se connaît par cœur. On écrit ensemble depuis l’âge de seize ans. Avec Green, l’approche de l’écriture était complètement différente, je ne pouvais pas arriver avec les mêmes idées. Il m’a poussé à partir dans d’autres directions. J’y ai vraiment pris beaucoup de plaisir.
Le morceau que l’on trouve en bonus à la fin de l’album n’a rien à voir avec le reste du disque, et l’on n’y entend pas de piano. Pourquoi avoir voulu le faire figurer sur “Piano” ?
Ce titre est censé être une surprise qui arrive trente secondes après la fin de l’album. J’adorais ce titre qui a été enregistré dans une cabine identique à celles utilisées pour prendre les photos d’identités. Ça s’appelle un “Voice o’graph”. Ces appareils datent des années quarante. Neil Young en a utilisé un récemment mais ce n’est pas exactement le même modèle. J’étais vraiment intrigué par la machine que j’ai voulu essayer. J’y ai enregistré un titre composé avec Joe d’Hot Chip sur lequel nous avions travaillé avec Diplo. Malheureusement cette chanson n’a jamais été terminée. Je me suis dit que je pourrais peut être en enregistrer une version différente dans cette cabine. Je ne l’avais jamais jouée à la guitare avant le jour de l’enregistrement. J’adore l’atmosphère et le son qui s’en dégage. Il n’y avait aucune intention de l’inclure sur l’album. Et puis, le jour où j’ai masterisé l’album, j’en ai profité pour masteriser ce titre car c’était plus pratique pour moi. Sauf qu’après avoir travaillé toute la journée sur un son de piano, j’ai pensé qu’ajouter ce titre à la guitare en morceau caché pouvait fonctionner. Il casse un peu l’ambiance et j’aime cette idée. On a même l’impression que ce n’est pas moi qui chante.