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Disques

Marion Cousin et Gaspar Claus – Jo estava que m’abrasava – Chants de travail et romances de Minorque et de Majorque

Marion Cousin - Jo estava que m'abrasava - Chants de travail et romances de Minorque et de Majorque

Marion Cousin, moitié de June et Jim, et le violoncelliste Gaspar Claus nous égarent avec joie dans un espace-temps improbable à mi-chemin entre des chants ancestraux d’Espagne et notre modernité. Un beau disque authentique d’aventure et d’errance.

Il est des disques plus difficiles que d’autres à aborder ou appréhender. Non pas qu’ils nous intimident ou ne laissent froids. Non, ce n’est pas cela. C’est que certains disques n’ont que faire des mots, d’une réflexion ou d’une analyse même érudite. Il suffit parfois de se laisser porter par la seule sensation. Pourquoi chercher à comprendre ce que nos sens saisissent spontanément à l’écoute d’une ligne claire des Lotus Eaters ou la fuite de Venus dans cette version des Planètes de Holst en 1961 par Karajan.

Sans doute, certains d’entre vous connaissent les productions du label Le Saule où l’on peut croiser des artistes expérimentateurs et bidouilleurs, un pied dans le futur et un regard dans le rétroviseur des musiques anciennes, primitives et premières. Pensons à Léonore Boulanger, à Jean-Daniel Botta, à Philippe Crab avec un nouvel album annoncé pour cet automne. Il ne faudrait pas non plus oublier June et Jim, ce duo constitué par Marion Cousin et Borja Flames.

A peu de chose près, on retrouve dans ce projet entre Marion Cousin et le violoncelliste Gaspar Claus, récemment auteur d’un sublime second album avec son père Pedro Soler, ce que l’on trouvait déjà dans le disque de son ami Borja Flames, « Nacer Bianco » (comme je l‘évoquais sur Benzine).

« Jo estava que m’abrasava – Chants de travail et romances de Minorque et de Majorque » n’est pas une collection de vignettes sonores estampillées World, même érudites. Fruit de la rencontre entre Marion Cousin et de Gaspar Claus, ces chants sonnent plus comme une collision entre les époques. Le violoncelle cyclothymique de Gaspar Claus amène ailleurs ces chants d’un autre âge. C’est un lien d’empathie entre des générations qui ne se connaissent pas. C’est un décodeur de langues à apprivoiser.

 

 

Il y a le chant de Marion Cousin, toujours en dedans, pure et cristalline, toujours au bord de l’émotion, ne versant pas dans le lacrymal ou le trop de distance.

Foisonnante d’inventivité, la rencontre de ces deux-là ressemble à s’y méprendre à un duel (certes amical) entre des espaces temps. Les drones volontiers bruitistes du violoncelle qui viennent se mêler dans une harmonie inattendue aux réminiscences ancestrales que véhiculent la voix de Marion Cousin. Bien sûr, il ne faudrait pas perdre de vue le caractère traditionnel des chants ici retranscrits, mais n’y voyez pas une reconstitution fidèle de musicologue enfermé dans ses partitions poussiéreuses. De ces vieilles mélodies, les deux comparses n’ont gardé que l’os, le squelette, l’intention, l’authentique. Cette façon d’épurer, d’appauvrir volontairement l’espace contribue de cette pertinence, de cette actualité si évidente dans notre quotidien.

Il suffit de s’arrêter sur « Sa Nuvia D’Algendar » et le travail rythmique sur le violoncelle pour retrouver la dynamique de nos aujourd’hui ou encore de se pencher sur les traductions bienvenues des textes dans le livret pour saisir bien des symboles qui créent encore des passerelles entre les hiers et les maintenant. On y parle des gens qui traversent les océans, d’amandier abondant. Etrangement, on jurerait regagner les rues de villages isolés de Minorque, on en saisit alors ce bruissement, cet élan sonore que laisse la vie telle une trace indélébile. Si vous faites bien attention, vous entendrez encore le bruit de la faux qui travaille le blé, le halètement du paysan qui creuse la terre sèche. On se rappelle encore du travail d’Alan Lomax plus connu pour ses recherches aux Etats-Unis mais il ne faudrait pas oublier que ce monsieur traversa le monde entier, s’arrêtant un temps en Espagne pour s’intéresser aux chants populaires ibériques. C’est d’ailleurs la source principale de ce disque. Mêlant chants de travail et romances, « Jo estava que m’abrasava » propose une musique aventureuse mais toujours accessible. Elle offrira beaucoup à ceux qui y entreront.

Belle rencontre que celle-ci, entre la voix savante et sensible de Marion Cousin et l’archet changeant et impalpable de Gaspar Claus.

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