Nouvelle signature de 4Ad, Methy Ethel est avant tout le projet de l’australien Jake Webb qui a bricolé dans sa chambre “Oh Inhuman Spectacle”, un album de pop psychédélique passionnant. Déjà reconnus en Australie, ils étaient jusque là connus de quelques initiés en Europe. Nous avons rencontré le groupe au complet à quelques heures de leur concert parisien afin de percer le mystère d’un groupe qui jusque-là a souvent préféré l’anonymat et le silence pour mieux se consacrer à sa musique.
Tu as commencé à jouer de la batterie à l’école dans des groupes de Jazz et de Swing. Comment t’es venue l’envie d’apprendre d’autres instruments ?
Jake Webb : En fait j’ai commencé par la clarinette. Je prenais même des cours. Ce n’était pas considéré comme cool quand je suis arrivé au lycée. En parallèle, j’ai tout de même commencé à jouer de la guitare à 12 ans quand mes parents m’en ont offert une. Bref, il y avait trop d’excellents guitaristes au lycée, je me suis dit qu’il serait peut être intéressant de tenter quelque chose de nouveau. C’est comme ça que je me suis retrouvé derrière une batterie. Ma grande sœur était plus orientée sur le piano. Elle en jouait à merveille, mais surtout elle m’en a appris les bases. Pour chaque nouvel instrument que je pratique, elle reste ma référence. Je veux au minimum être aussi bon qu’elle. Mes parents regardaient ma passion pour les instruments d’un œil amusé, ils la considéraient comme un hobby.
Tu as joué dans plusieurs groupes avant de sortir tes chansons sous le nom de Methyl Ethel. Pendant cette période, composais-tu déjà des titres que tu mettais de côté avec l’idée de monter un projet parallèle ?
J.W. : J’avais déjà un groupe quand j’ai commencé à écrire le premier EP de Methyl Ethel. J’étais frustré car nous étions en studio et ça partait dans tout les sens. Chacun donnait son opinion, et à l’arrivée personne n’était jamais d’accord. Pour décompresser, je me suis fixé un objectif : composer un EP dans mon coin avant la fin de l’enregistrement avec le groupe. Et j’y suis arrivé. C’est comme ça que Methyl Ethel est né. J’ai bien fait car mon ancien groupe a splitté peu de temps après.
Vous venez de Perth en Australie. Il a suffit d’un seul groupe qui éclate au grand jour pour que les médias tentent de créer un buzz autour d’une pseudo scène locale et présenter cette ville comme l’un des plus cool du moment. J’ai des amis originaires de cette ville qui ont tout fait pour la quitter tellement la vie là-bas leur paraissait ennuyeuse. De votre côté, êtes-vous contents de pouvoir vous en échapper grâce aux tournées du groupe ?
(à l’unisson) Clairement !
Chris Wright : Oui car nous en avions déjà marre de sortir tout le temps aux mêmes endroits, de croiser les mêmes têtes. Tourner est une excellente échappatoire.
Thom Stewart : Par contre, quand tu reviens épuisé après plusieurs semaines d’absence, ça te fait le plus grand bien de retrouver le calme que l’on cherche à fuir en temps normal !
J.W. : Par contre, je partage ton analyse sur le buzz autour de cette ville. La scène locale est minuscule, tout le monde se connaît. Certes, Tame Impala bénéficie d’une surexposition, mais ça ne veut pas dire que le prochain groupe de cette envergure va sortir de Perth.
Le groupe avait sorti deux EPs, « Guts » et « Teeth » en 2013. A l’époque, tu voulais un groupe qui ne jouerait pas en concert et dont personne ne connaitrait le visage. Pourquoi avoir changé d’avis depuis ?
J.W. : Au début, je voulais juste utiliser Methyl Ethel comme un média me permettant de voir si j’étais capable d’écrire des chansons dont je serais fier et de les sortir sur disque. Ne pas montrer mon visage avait surtout pour but de limiter mon exposition médiatique car j’étais en quelque sorte dans une phase de test. Puis j’ai cédé pour jouer un concert, et j’y ai étonnamment pris du plaisir. Si ça n’avait pas été le cas, j’aurais stoppé net. La règle du groupe est de faire les choses uniquement parce que nous voulons prendre du bon temps, pas par obligation.
C.W. : Nous nous sommes d’ailleurs rencontrés en jouant live avec nos groupes respectifs.
Tu as commencé à composer l’album au Fender Rhodes. Pourquoi cette décision ?
J.W. : Ce n’était pas exactement un Fender Rhodes, mais plutôt une pâle imitation. J’ai saturé de la guitare à une période, je me suis plutôt orienté vers un mode d’écriture au piano. C’était une sorte de challenge que je me suis imposé. Et finalement j’ai fini par rajouter des tonnes de guitares (rire). Mais à l’arrivée ça aura tout de même servi à apporter une structure différente aux chansons. Je déteste me répéter.
La prochaine fois tu pourras tenter de commencer par écrire les parties de batterie, ce serait un vrai challenge ! (rire général)
J.W. : Mais pourquoi pas ! Tu sais que ça m’a intrigué car j’ai récemment lu un article sur un groupe dont je ne me rappelle plus le nom. Leur leader a expérimenté en commençant à écrire des morceaux à la batterie.
Les titres de l’album ne se limitent pas à un seul style. Est-ce un moyen pour toi de ne pas te lasser ou bien cherches tu a surprendre l’auditeur ?
J.W. : Principalement pour ne pas m’ennuyer. J’ai conçu ce disque comme les albums que j’aime écouter. Avec un peu de recul, il part peut-être un peu dans tous les sens, mais il y a tout de même une cohérence qui s’en dégage. Je le compare souvent à une bande originale de film, comme celles de Tarantino, avec des humeurs différentes.
En termes de son et de production, il y a également des variations. Est-ce parce que tu as enregistré l’album dans des endroits ou du matériel différent en fonction des titres ?
J.W. : Il a été enregistré dans plusieurs chambres, sur du matériel que j’empruntais, ce qui explique les variations. J’aime penser que c’est un patchwork de sons représentatifs des lieux où je l’ai enregistré. Tu sais tout a été fait en système D.
L’album a été enregistré dans des chambres avec les moyens du bord, et vous vous retrouvez aujourd’hui sur un prestigieux label. Comment avez vous fini par être signé par 4AD ?
C.W. : Nous avons joué au CMJ Music Marathon à New York en octobre dernier. Nous ne le savions pas, et c’était sans doute mieux comme ça, mais un représentant du label était dans la salle. Le concert lui a plu et il est venu nous rencontrer à la fin du set. Ils ont continué à nous suivre occasionnellement pendant plusieurs semaines avant de finalement nous signer.
J.W. : Il est inutile de préciser que nous n’en revenions pas, j’étais même un peu effrayé à l’idée de signer avec une telle maison de disques.
T.S. : De mon côté, j’essaie de ne pas trop y penser (rire).
Si l’on doit trouver un point commun à toutes ces chansons aussi diverses qu’elles soient, c’est un sens de la mélodie incroyable. Est-ce pour toi la condition indispensable à la réussite d’une pop song ?
J.W. : (flatté) Oui, c’est la base de toute chanson réussie pour moi. C’est aussi ce qui m’apporte le plus de plaisir. J’adore utiliser des variations entre des mélodies très sombres, d’autres un peu too much. Nous serons toujours définis comme un groupe pop car je n’ai pas envie de m’orienter vers un autre style d’écriture pour l’instant. D’Abba à Cocteau Twins, j’aime quand la mélodie est au centre de la musique.
Tu composes les titres du groupe seul. Laisses-tu à un moment des intervenants extérieurs apporter leur contribution au moment de l’enregistrement ?
C.W. : Nous avons rejoint le groupe au moment où il a fallu commencer à donner des concerts. Nous avons aidé à la construction du son en live. Jake n’aurait pas pu continuer à tout faire seul, se produire sur scène en homme orchestre aurait été trop stressant pour lui (rire).
J’imagine que vous avez commencé à travailler sur le véritable premier album pour ce label. Pourrais-tu nous en dire plus sur ces nouvelles chansons ?
J.W. : L’album est quasiment terminé. Toutes les chansons sont enregistrées, l’artwork est prêt, nous avons même déjà le nom du disque. Il ne reste plus qu’à terminer le mixage. J’ai vraiment hâte de dévoiler ces nouveaux titres, j’en suis vraiment fier. Pourtant, je sais que dès qu’il sera sorti, je serai uniquement obsédé par l’écriture du prochain (rire). En attendant, un single sera disponible à la fin de l’année, et l’album sortira en 2017.
Jake, tu écoutes beaucoup de musique classique. Comment y as-tu été initié ? Est-ce un refuge pour toi quand tu satures du rock ?
J.W. : C’est plutôt lié à ma passion pour les mélodies. Je recherche sans arrêt un moyen d’approcher les mélodies différemment, et le classique m’inspire beaucoup en ce sens. J’aime son côté intellectuel, ça me motive pour continuer à apprendre et à progresser. J’ai encore tellement à apprendre.
Pourrais-tu nous citer quelques compositeurs que tu apprécies particulièrement ?
J.W. : J’écoute beaucoup le courant minimaliste, Ravel, les concertos de piano, Rachmaninov, Chopin, Debussy.
T.S. : J’en écoute pas mal également. Je n’ai jamais compris les gens qui disent que ce style les endort. Il y a tellement d’intensité que ça produit l’effet inverse sur moi.
Pourrais-tu nous en dire plus sur la pochette ? Pourquoi ne pas avoir voulu y faire apparaître le nom du groupe ni le titre de l’album ?
J.W. : Cette photo est extraite d’un magazine des 70’s consacré aux fleurs. J’ai emménagé dans une chambre dans laquelle le précédent locataire avait laissé cette photo dans un cadre. J’aime le côté asymétrique de cette composition florale japonaise. C’est en quelque sorte devenu la “muse” de l’album car cette image m’a obsédé. J’ai rapidement su qu’elle deviendrait la pochette du disque.
C.W. : Je l’ai ensuite bricolée avec les moyens du bord pour en faire une pochette. Nous n’avons pas voulu faire apparaître le nom du groupe pour ne pas distraire le regard de la pochette. Notre volonté était de garder un aspect intriguant.
T.S. : Surtout maintenant que le vinyle effectue son grand retour. Une pochette est une œuvre d’art en soi et le format vinyle lui rend mieux justice.
La vidéo de “Rogues” utilise de vieux enregistrements maison, visiblement de touristes visitant Paris. Pourrais-tu nous expliquer le sens de ce clip ?
J.W. : Ce titre sonne nostalgique, il fait beaucoup référence aux images. J’ai trouvé les extraits vidéo utilisés pour illustrer le titre sur un site en accès public. Ce sont des extraits de films tournés au caméscope par un américain en vacances à Paris. Le type est plutôt connu, il a même une vidéo dans laquelle Steve Martin apparaît avant qu’il soit connu. Je trouvais juste que cette vidéo en particulier se mariait à la perfection avec “Rogues”. J’ai contacté la famille et ils ont donné leur accord. J’avoue qu’elle est un peu étrange (rire).