Avec son second album, « Only Silence Remains », Christine Ott construit une œuvre fragile mais précieuse, aventureuse, colorée et perturbée.
Il est des musiques instrumentales parfois bien moins muettes qu’elles n’y paraissent. Elles n’en sont pas pour autant des illustrations pour combler les silences ou abolir le vide. Christine Ott, avec son second album, « Only Silence Remains » investit des territoires nouveaux, ceux où planent les spectres d’une musique classique accueillante.
Le travail de Christine Ott est structuré autour des Ondes Martenot, cet instrument pionnier dans la musique électronique avec le thérémine. Imaginées par le Caporal Martenot au sortir de la Première Guerre Mondiale, sans doute un peu par accident, ces ondes-là ont fait basculer la musique dans l’air de l’électro-acoustique. Symbole d’une modernité en marche autrefois, cet ancêtre des synthétiseurs a paradoxalement acquis aujourd’hui une patine qui lui donne un caractère délicieusement désuet.
Proche des ondes, on ne saurait trop conseiller d’aller jeter plus qu’une écoute au travail de Clara Rockmore ou de Lydia Kavina autour du Thérémine.
Utilisées par Olivier Messiaen ou encore André Jolivet, les Ondes Martenot ont connu une seconde jeunesse comme une forme de renaissance avec Jonny Greenwood de Radiohead ou encore Yann Tiersen avec qui Christine Ott a collaboré.
Limiter le travail de Christine Ott à la mise en valeur de son instrument de prédilection serait bien réducteur tant se dégage de ces deux albums une envie de renouvellement et de déconstruire l’édifice que l’on s’était plu à bâtir avant.
« Solitude Nomade », son premier album, travaillait le terrain de l’expérimentation avec cet objet étrange, comme une extension palpable de sa virtuosité et de sa sensibilité. On croyait y croiser la folie libertaire d’un Bartok, les mouvances de Berio. On y retrouvait ce que l’on aimait chez ces précieuses compilations Made To Measure, chez Crammed Discs, dans les années 80 et 90, cette manière de faire rimer oriental avec expérimental sans pour autant être trop hermétique ou élitiste.
La démarche de Christine Ott, ce n’est pas vulgariser (quel vilain mot !) mais plutôt rendre accessible la poésie de petits moments si fragiles que le seul œil nu ne peut réellement deviner.
Autant « Solitude Nomade » se baladait entre musique concrète et expérimentations à la charnière de la pop, autant « Only Silence Remains » permet la cohabitation tranquille et mouvante entre des échos jazz, un piano romantique qui aurait rencontré le John Cage de « In A Landscape ».
Pourtant malgré ces références imposantes, « Only Silence Remains » n’est en rien un miroir opaque. Bien au contraire, il guide l’oreille en laissant suffisamment de place à notre imagination pour y marquer son empreinte.
C’est une invitation au voyage dans un silence habité que suggère Christine Ott dans ces huit pièces qui constituent « Only Silence Remains ».
De l’inaugural « A mes Etoiles » comme un manifeste hantologique qui joue à brouiller les espaces-temps, les espaces lieux, à mi-chemin entre les rayons lumineux du Penguin Café Orchestra et l’évanescence de Wim Mertens à « Szczecin » qui sonne comme un kaddish avec son violon tourmenté.
Tourmentée comme la ville polonaise à laquelle le titre fait référence, des images de nuit de cristal et de cris derrière la mélancolie.
Jouant avec les sonorités célestes des Ondes Martenot, rien de surprenant à voir donc Christine Ott nous transporter sur la lune dans un voyage aux parfums d’enfance. On pense parfois au Friedrich Wilkens de « Dance In The Moon ».
Chez Christine Ott, il y a toujours cette intranquillité sereine et mystérieuse résumée dans ces mots de Michael Collins, astronaute sur la Mission Apollo 11, « Behind The Moon, Out Of communication » qui vient conclure « Sexy Moon ». La crainte du danger mais l’attirance du vide et du neuf.
« Raintrain » lui semble hésiter entre le minimalisme janséniste de Luciano Cilio et de sa grande œuvre malheureusement unique « Dell’Universo Assente » et la beauté des productions immédiatement reconnaissables et assimilables de l’excellentissime label ECM. Chez Christine Ott, il y a cette solarité de ceux qui se sont bien trop brûlés aux rayons de feu, il a cette mélancolie rieuse, cette profondeur qui ne se noie pas. On voit forcément des accointances, des connivences involontaires, sans doute, fortuites, sûrement entre l’ondiste et la méridionalité du Gianluigi Trovesi de cette petite merveille de douceur qu’était « In Cerca di Cibo ».
Avec « Only Silence Remains », Christine Ott démontre également sans obstentation toute sa force de pianiste comme avec « No Memories », proche des mélodies de Yann Tiersen, son ami et proche collaborateur.
« Only Silence Remains » traverse les chemins de l’enfance, de ces enfances dont nous entendions les échos charmants dans les ritournelles de Fiorenzo Carpi, dans la truculence tendre du « Pinocchio » de Luigi Comencini.
La musique est aussi l’évocation d’une impression, l’image sonore d’un instant, cette mise au ralenti d’un moment éphémère. La prolongation de la vie d’une perle de neige, le retard de sa fonte, l’annonce de sa mise à mort. Sans doute, les ondes Martenot, à moitié bruit blanc et à moitié chant de sirène, sont le meilleur interprète, la meilleure illustration d’un flocon de neige.
En fin de parcours, « Only Silence Remains » convoque les tempêtes que ne renierait pas un Penderecki quand « Disaster » clame modestement ce que sera le monde sans nous, après notre disparition quand l’Armageddon sera passé pour annihiler nos présences, nos persistances, nos ultimes empreintes.
Chez Christine Ott, il y a ces mêmes torpeurs, de celles que l’on trouve chez Michael Cashmore, chez Frederick D.Oberland, chez Ryuichi Sakamoto. Cette contemplation de soi comme à distance qui révèle l’imparfait et le sublime…
Comme une ouverture des yeux, comme une aventure que l’on ne peut refuser, comme un éveil.