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Jesu / Sun Kil Moon – America’s Most Wanted

Jesu / Sun Kil Moon - America's Most Wanted

Il y a schisme à la maison. Ceux (celui-ci) qui préfèrent « Universal Themes« , les autres (celle-là) qui ne veulent entendre que « America’s Most Wanted« . Et historiquement c’est assez étonnant car la collaboration de Sun Kil Moon avec Jesu aurait dû, a priori, plus convenir à mes vieux penchants indus (j’avoue une passion adolescente quasi intacte pour le « Pretty Hate Machine«  de NIN qui n’oubliait pas de saluer Godflesh sur son premier album) qu’à l’indie kid des 90’s, fan de Sonic Youth et de Smog. Alors oui, je ne m’y retrouve que moyennement dans cet « America’s Most Wanted« . D’abord parce que, contrairement à « Universal Themes » qui partait en tous sens, « America’s Most Wanted«  est plus ramassé sur deux grandes « façons »: le rock lent aux guitares métal et charbonneuses, à la basse lourde et vibrante, aux riffs répétés, tournant en boucle et l’électro bout de ficelle qui ferait son chemin entre la vieille Europe de fin de party poétique et réaliste d’Arab Strap et l’Amérique pop mélancolique sous Xanax de Casiotone For The Painfully Alone, deux économies post capitalistes donc et chantres de l’utilisation d’une pharmacopée quotidienne personnelle et variée.

Entendons-nous bien, ceux qui aiment les guitares rouge sombre et gris cendre de Lou Reed (« Ecstasy« ) à Neil Young (« Ragged Glory« ), toujours blues mais flirtant volontiers avec le grunge le plus sale donc, trouveront largement leur compte. Par contre les fans de Jesu, voire de métal, resteront un peu sur leur faim car la veine industrielle reste peu exploitée : peu de brouillard, point de crachin, les guitares restent des guitares, les claviers des claviers. La confusion des genres ne ressort pas ici. En gros, Mark aurait pu faire le boulot tout seul ou, autre hypothèse, Justin Broadrick (Jesu) n’a pas osé mêler ses crayons gras et gris aux tableaux esquissés par Kozelek.

Les passages électroniques, bien, très bien hein (« Last Night I Rocked The Room Like Elvis And Had Them Laugh Like Richard Prior« , « Exodus« , ou le chill out « Beautiful You«  en longue conclusion) auraient pu être composés par Owen Ashworth au passage cité (et remercié) pour son talent comme Cat Stevens ou Neil Young dans « Father’s Day« , sublime déclaration d’amour au paternel (pas l’Eternel, celui de Jesu, l’autre, celui de Marko). Idem pour les membres de Low et Rachel Goswell (Slodive/Mojave 3) opérant magnifiquement sur « Exodus« .

Le final soul presque gospel de cette émouvante chanson abordant le douloureux paradoxe des parents survivant à leurs enfants, salut à Nick Cave qui vient de perdre son fils, est parfait mais on ne sent pas la patte de ses contributeurs. Tout le monde veut marcher dans les pas du père tranquille mais nerveux Kozelek et ça ne moufte pas trop. Après tout, tant mieux, les invités viennent en amis pas pour faire leur numéro façon Band Aid à l’image de Bonnie « Prince » Billy qui devait traîner par là et qui fait les choeurs branlants et chevrotants (et c’est ce qu’on lui demande) sur la délicate « Fragile« , seule folk song à proprement parler (ou presque) de l’album.

Ok mais quid du Jesu ? Là ? Pas là ? Justin, reviens !

Quand à Kozelek, il fait le job, dans la ligne de « Universal Themes« , soit un parlé-chanté caverneux MAIS, et tout est dans le mais, mélodieux (là encore la Sainte Trilogie : Reed-Moffat-Ashworth), journal intime/carnet de route souvent très précis (accumulation césarienne de dates dans « Beautiful You« ), recentré sur quelques thèmes : survivre à son enfant, les enfants tueurs, et donc la filiation, la paternité et la sainte mort de l’esprit, les potes et l’amitié qu’on leur porte, les massacres nihilistes à la sauce yankee et… les fans. Il va jusqu’à citer in extenso deux lettres (mails) reçues et lues dans deux chansons dont l’une annonce une redistribution de 25% de ses royalties au fan cité ! On pense à une blague mais vues la sincérité et l’honnêteté du bonhomme, on ne peut qu’y croire.

Kozelek invente donc une forme de quasi autofiction chantée, une sorte de blog dont on achèterait les morceaux pièce par pièce, année après année, la pièce du jour (la collab’ avec Jesu) ayant presque été annoncée dans la chanson « The Possum«  de l’an dernier. Idem, les jeux de miroir qui inversent la donne : « Last Night (…) Prior«  raconte le moment où Mark voit le film « Youth«  dont le tournage est évoqué dans plusieurs titres de « Universal« . C’est peut-être là d’ailleurs que Pitchfork a gravement foiré en accordant un maigre 6 à « Universal Themes«  (écouter « Last night«  encore. Bouaziz avait prévenu et moi, inconscient, je ne me méfie même pas et enchaîne deux critiques coup sur coup) : la forme s’accorde avec le fond dans ses deux derniers albums d’où le patchwork de l’un et l’unité bipolaire de l’autre.

Et si la mort est partout dans cet america traumatisée, elle est toujours contrepointée par d’intenses courants d’amour cassavettiens, qu’ils soient familiaux, amicaux, fanatiques ou passionnels. Voilà pour le macro. Sur le plan micro, un « What does rekindle mean ?» entendu dans un film et répété comme une accroche mentale devient refrain : l’expérience sensorielle devient méthode de composition. Fort, très fort. Quand la pop devient de l’art. Du pop art quoi.

Allez, je lui décerne un 8,3 voire, soyons juste, un 8,375. Et merde à Pitchfork.

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