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Interviews

Nada Surf – Interview (1re partie)

Tous ceux qui l’ont rencontré pourront sans doute vous le confirmer : Matthew Caws est une crème. Modeste, attentionné, s’exprimant essentiellement en français – langue qu’il parle presque parfaitement, mais qui lui est a priori moins naturelle que l’anglais –, et soucieux de ne pas trop se répéter (« Je dis ça dans toutes les interviews, alors j’aimerais l’exprimer d’une manière différente pour toi »), le chanteur de Nada Surf ne semble pas considérer la promotion comme une corvée. Et sachant que la formation américaine est l’un de ces rares groupes qui parviennent encore à nous combler – à défaut peut-être de nous surprendre – après vingt ans d’une carrière impeccable, et que son nouvel album “You Know Who You Are” regorge de chansons enthousiasmantes, on était d’autant plus heureux de le rencontrer. Conversation avec un homme dont la maturité heureuse n’a pas émoussé la faculté de s’émerveiller.

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J’ai l’impression que sur ce nouvel album, vous n’avez pas particulièrement cherché à innover, mais plutôt à parfaire votre son, une version raffinée de la power pop. Tu es d’accord avec cela ?
(En français) Oui, absolument. On a juste essayé d’être nous-mêmes, d’être naturels. On n’avait pas un gros producteur derrière nous qui aurait voulu imprimer sa marque sur les chansons. Pour nous, il y a quand même quelques petits moments sur le disque qui sont différents, même si on n’a sans doute rien inventé. “Gold Sounds”, par exemple, c’est comme du folk, avec des harmonies très américaines, mais sur un rythme à l’allemande, “motorik”. C’est une chanson hypnotique, qui ne ressemble pas trop à ce qu’on fait d’habitude, et j’en suis très content. Généralement, il y a plus de changements, de variations au fil de la chanson, avec une structure couplet-refrain classique. Là, ce n’est pas le cas.

Cette fois-ci, tous les morceaux étaient écrits avant d’arriver en studio ?
Oui. Expérimenter en studio, c’est un luxe qu’on ne peut plus trop se permettre. Ceci dit, beaucoup de paroles n’étaient pas finies à ce moment-là, et c’est notre premier disque où j’ai fait la moitié des prises de voix, voire un peu plus, chez moi. Je ne suis pas un très bon ingénieur du son, mais aujourd’hui je suis quand même capable d’enregistrer une piste de voix correcte. Donc il y a des paroles que j’ai écrites à l’arrache.

Deux morceaux de l’album, “New Bird” et “You Know Who You Are”, sont un peu plus courts et agressifs que les autres, avec des guitares saturées. Ils rappellent un peu vos débuts et un certain rock des années 90. Vous vouliez introduire ainsi un peu de variété et de contraste dans le tracklisting ?
On ne l’a pas fait exprès ! Enfin, si, on a quand même pris la décision de les inclure alors que ce n’était pas évident au départ, vu qu’on a dû enregistrer dix-sept chansons et que le disque en compte dix à l’arrivée. On s’est dit que quatre années étaient passées depuis le dernier disque, que le groupe lui-même avait vingt ans, et qu’il était donc temps de faire le bilan, le tour de nos périodes successives. On n’a jamais changé de façon consciente, mais je pense qu’on peut percevoir une évolution dans notre discographie. Là, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas fait de chansons comme ça et j’en suis très satisfait, je trouve le disque équilibré dans son ensemble. L’une des personnes qui a travaillé avec nous sur l’album, je ne me rappelle plus qui exactement, craignait que “You Know Who You Are” détonne un peu avec le reste… J’espère que ça passe !

Le premier morceau, “Cold to See Clear”, est le seul qui n’ait pas d’intro, où tu chantes dès la première seconde. Est-ce pour cela que vous l’avez mis au début, pour que l’auditeur entre de façon très directe dans le disque ?
Ce n’est pas vraiment par hasard que c’est le premier titre, mais je n’avais pas pensé à cela. Tu as tout à fait raison. D’ailleurs, il est très rare qu’une de nos chansons n’ait pas d’intro, c’est peut-être même la première fois. Généralement, on joue les accords du morceau au moins deux fois avant que ma voix n’arrive, ce qui est très classique.

Sur le morceau “Out of the Dark”, vous utilisez des cuivres en contrepoint des chœurs. Il y en avait déjà dans votre reprise des Go-Betweens, “Love Goes On”, mais ce sont quand même des instruments que l’on entend rarement dans vos chansons.
On en avait peut-être utilisé sur un autre disque, mais je ne suis pas sûr… Là, la trompette est jouée par Martin Wenk de Calexico, qui tourne avec nous de temps en temps. J’adore son style, il apporte vraiment un son particulier, contenu en quelque sorte dans le nom du groupe, une contraction de “California” et “Mexico”. J’espère que ça donne à la chanson un côté “hymne”, car le texte est très positif. Il parle de ma propre vie, mais je me suis aussi inspiré d’un phénomène japonais, le “hikikimori” : là-bas, environ un million de jeunes resteraient dans leur chambre pendant des mois, voire des années, à la suite d’un échec personnel. Il m’est arrivé d’éprouver ça, même si pour mois ça ne durait qu’un jour ou deux… L’idée, c’est qu’on n’est pas obligé d’être un héros, que chacun peut s’accomplir à sa mesure. Et plutôt que de rester cloîtré chez soi, mieux vaut sortir et aller courir un peu, ça fait beaucoup de bien !

Vous aviez décidé de faire une pause en 2012. Etiez-vous fatigués, aviez-vous peur de commencer à tourner en rond ? Etait-ce l’heure de faire un bilan ?
Je ne sais pas exactement… Je crois qu’on avait juste besoin de s’arrêter un moment. Daniel (Lorca, bassiste) a déménagé à Ibiza, où il a une sorte de ferme. Il ressentait certainement le besoin de se rapprocher de la nature pendant un moment. Moi, je suis… (en anglais) « always restless » : si je ne suis pas occupé, je tourne vite en rond. D’où le projet Minor Alps avec Juliana Hatfield : c’est juste un “one off”, mais vraiment cool et intéressant. Je pense que ça a aussi été positif pour le groupe, car c’était inédit pour moi d’avoir un alter ego qui faisait les mêmes choses que moi, qui était à la fois songwriter, producteur, chanteur, guitariste… Ça m’a sans doute apporté quelques nouvelles idées.

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Doug Gillard a rejoint le groupe comme second guitariste sur disque et sur scène. Là aussi, c’était dans l’idée de repartir sur de nouvelles bases ?
En fait, il faisait déjà partie du groupe avant ce nouvel album, mais surtout en live. On l’avait rencontré quand il était venu jouer sur trois titres de “If I Had a Hi-Fi” (2010), notre album de reprises. J’étais déjà fan de lui, et il nous a proposé de jouer de la guitare sur ces morceaux, ce qui était très malin de sa part – j’emploie le terme dans un sens positif ! Car après cette session, il est tout de suite apparu évident qu’il était la personne idéale pour Nada Surf et qu’il nous serait indispensable. On lui a dit : « Il faut que tu restes, on ne peut pas continuer sans toi ! » Il est donc revenu pour l’album suivant, “The Stars Are Indifferent to Astronomy” (2012). Mais on avait d’abord enregistré l’album en trio, puis il avait ajouté ses parties de guitare, il n’était pas encore totalement intégré au groupe. Là, pour “You Know Who You Are”, il à participé à toutes les répètes, et comme tu le disais, nous sommes repartis sur de nouvelles bases. Il a apporté un sang neuf, pour moi c’était à la fois énergisant et libérateur. Aux répétitions, je pouvais arrêter de jouer de la guitare au milieu d’un morceau et le laisser prendre le relais alors que j’allais coucher sur le papier des idées de paroles qui me venaient. Dans le groupe, c’est le musicien le plus naturel, le plus rapide, dans son jeu mais aussi dans sa tête. Il peut jouer une mélodie qu’il vient d’inventer sans faire aucune fausse note, et sans y réfléchir. Pour moi, c’est de la haute science, quelque chose que je n’atteins pas du tout ! Avec lui, jouer pour la première fois une ébauche de chanson ensemble était particulièrement excitant, car il trouvait tout de suite des choses à ajouter. De fait, il n’y avait pas de risque qu’on se lasse de nos propres morceaux, qu’on les trouve (en anglais) « stale »… Comme dirait-on en français, pour du pain par exemple ?

« Rassis ». Ou « éventé » pour une bière…
Oui, voilà, c’est l’idée.

Ce qui reste constant dans votre discographie, c’est la qualité des compositions. En laisses-tu beaucoup de côté, pour ne garder que les meilleures ?
En fait, je n’écris pas tant de chansons totalement abouties que ça, mais j’écris beaucoup de « petits bouts » de chansons, de « minichansons »… Ce qui est bien aujourd’hui, c’est que je me force régulièrement à tous les rassembler pour voir où j’en suis. Certaines années, je me refusais à le faire par peur d’être déçu : tu écoutes une cassette où tu as mis plein d’idées, et tu te rends compte que finalement, neuf sur dix ne sont pas très bonnes… Et si on n’est pas dans de très bonnes dispositions mentales, ça peut être difficile de s’entendre ainsi. Maintenant, j’en ai pris l’habitude, je le fais sans trop de… drames. Je fais une espèce de montage des bons morceaux pris ici et là. Ce que je fais aussi, quand je considère que le travail sur l’album est terminé, c’est de poser les textes de toutes les chansons sur la table de ma cuisine. Je les regarde assez longtemps, de la façon la plus objective possible. Une chose assez drôle qui s’est passée plusieurs fois lors de cet exercice, c’est que je relisais une ligne dont je pensais qu’elle était la meilleure de la chanson, et que finalement je la trouvais pas terrible… (rires) Une autre chose que j’ai remarquée, c’est que si je travaille sur une chanson le soir, et que le lendemain au réveil je ne la chante pas dans ma tête, je m’inquiète. Alors que si je l’ai encore en mémoire, il y a des chances que je le garde. Ça peut paraître un peu bête, mais c’est un bon test. Bon, je n’en fais pas pour autant une règle intangible.

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