Les Fat White Family sont souvent présentés comme le seul groupe contemporain 100% rock’n roll. Certes, ils se défoncent aux drogues dures et ne s’en cachent pas, boivent comme des trous, insultent leurs concurrents sur les réseaux sociaux, préfèrent adopter une hygiène déplorable, aiment montrer leurs anatomie, etc. Pour vérifier si cela tenait du mythe ou de la réalité, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai rencontré leur chanteur et parolier, Lias Saudi. Il m’a reçu au réveil dans sa chambre d’hôtel, complètement nu, sirotant un verre de picrate. Le bassiste du groupe, allongé à ses côtés, a ronflé plus que de raison durant toute l’interview. Assis au pied du lit entre slips sales et chaussettes de tennis tout droit sortis des 70’s, j’ai réalisé vingt minutes d’interview en apnée. Car au regard de l’odeur persistante dans la pièce, j’ai rapidement conclu que les bruits qui courraient sur leur hygiène n’étaient pas une rumeur…
Dans “Whitest Boy on the Beach”, le morceau d’ouverture de l’album, il y a clairement un contraste au niveau des voix. Tu commences par un chant susurré avant d’adopter un style plus menaçant, comme une sorte de combat entre le bien et le mal. Le tout posé sur une rythmique disco. Quelle était l’idée derrière tout ça ?
Tu peux considérer “Songs for Our Mothers” comme un concept album sur le fascisme. Musicalement, la période Giorgio Moroder de Donna Summer a eu une énorme influence sur le son du disque. J’écoutais aussi énormément Laibach pendant l’enregistrement, je les ai littéralement pompés pour une bonne partie des voix et je l’assume pleinement. C’est comme ça que le rock a toujours fonctionné et heureusement, sinon la majorité des groupes n’auraient jamais existé. “Whitest Boy on the Beach” est donc le titre qui synthétise le mieux nos influences et surtout l’idée de départ. Ce mélange de paroles dramatiques sur une rythmique électronique. Je voulais spécifiquement que les voix sonnent comme une rencontre entre un officier allemand de la Seconde Guerre mondiale se croyant au-dessus des lois, et Scooter, un groupe de techno allemand qui vend des disques par palettes alors qu’ils produisent la pire merde inimaginable. Les mots chantés en allemand ne veulent rien dire, je les ai inventés lors de l’enregistrement, en une seule prise. Je trouve que commencer par un chant sensuel appelait naturellement un contraste proche du barbarisme. J’adore cette dualité et je pense que ça fonctionne à merveille.
J’apprécie le fait que certains titres donnent envie de danser, alors qu’en parallèle les paroles sont souvent complexes et poussent à réfléchir. Est-ce quelque chose que tu comptes continuer à explorer par la suite ?
J’ai toujours écouté des disques avec passion depuis le plus jeune âge, mais je ne me suis jamais rattaché à une scène en adoptant un look particulier ou en fréquentant les music geeks. Par contre, je ne suis pas un excellent musicien. Avant de faire partie d’un groupe je n’avais jamais joué d’instrument car il n’y en avait pas à la maison. J’ai acheté ma première guitare vers mes 16-17 ans. Je me débrouille, mais j’ai toujours su que je serais meilleur parolier. J’adore aborder ce qui me passe par la tête sous un angle littéraire. Mes modèles sont des gens comme Mark E. Smith ou Shane McGowan. Des individus avec de fortes personnalités et des convictions. Il n’y a rien de mieux que des titres dont les paroles te font réfléchir et dont la musique te donne envie de te défouler. Dans mes textes, je mélange le personnel au politique car les deux vont de pair. Je passe beaucoup de temps à réfléchir et à noter mes idées dans des carnets.
Tes paroles semblent effectivement très travaillées et ne sont parfois pas évidentes à saisir. Ecrire est-il quelque chose de facile pour toi ?
J’ai beaucoup de mal à écrire. Je pars toujours du titre que je veux donner à la chanson, qui doit sonner comme une bonne accroche, par exemple “Tinfoil Deathstar”, “Cream of the Young”, etc. Après, je creuse autour. Je traverse parfois des phases d’écriture compulsives pendant lesquelles je ne m’arrête pas et où je note tout ce qui me passe par la tête. Ça arrive souvent quand je me sens déprimé ou quand je m’ennuie à mourir. Mais je ne te raconte pas toute la merde que je dois jeter pour ne garder que quelques phrases (rires). C’est un sacré boulot de faire le tri et de structurer. Après, je rentre souvent dans une phase où l’idée même de tenir un crayon m’écœure.
Ecrire, c’est donc en quelque sorte une thérapie pour toi ?
Complètement. La créativité est mon unique thérapie. C’est pourquoi je crois en l’importance de la philosophie du punk pour contrebalancer le pouvoir établi. Cela fait trop longtemps que les gouvernements successifs cherchent à faire de nous de bons petits soldats. Nos vies sont ternes et l’on en arrive à ne plus penser qu’à soi et à son bien-être. Pourtant, nous devrions tous communiquer entre nous, au sens le plus pur du terme. A mon petit niveau, essayer de casser ce système me fait du bien. j’ai l’impression de me battre pour une noble cause. Comme le disait Joseph Beuys, “Chacun d’entre nous est un artiste”.
Le contraste est particulièrement saisissant entre le sujet abordé par “Tinfoil Deathstar” (l’addiction à l’héroïne, ndlr) et la musique qui l’accompagne.
Saul n’aime pas vraiment cette chanson, à juste titre. L’héroïne a fait pas mal de dégâts dans le groupe. Saul a été le plus touché. Je l’ai vu s’enfoncer lentement ces trois dernières années. C’est passé d’un usage récréatif à un budget de 90 £ par jour. Tu imagines en arriver à devoir négocier avec ton meilleur ami tous les jours pour arriver à le faire monter sur scène pour les concerts. Si je ne lui apportais pas sa came, il refusait de jouer. Je ne souhaite à personne de voir un proche s’enfoncer à ce point. Je ne prends de l’héroïne que deux fois par an pour me rappeler à quel point je déteste cette drogue. Je préfère les drogues qui te stimulent. J’ai des amis accros à l’héroïne qui restent scotchés sur leur canapé à regarder la même chaîne de télé pendant quatre semaines. Je devais me libérer de ce poids en écrivant un titre sur le sujet. J’ai voulu le mettre en parallèle avec ce qui est arrivé à David Clapson. C’est un diabétique qui est décédé car on lui a supprimé ses allocations chômage à cause d’un seul rendez-vous manqué avec son conseiller. Il n’a pas pu payer sa facture d’électricité pour garder son insuline au froid et en est mort. Je trouvais le rapprochement intéressant. D’un côté ces jeunes issus de familles modestes qui passent d’un style de vie festif à un repli et une addiction aux drogues dures, et un pays dont l’élite réduit ses habitants à des moins-que-rien. Comme je te l’ai précisé, j’écris principalement sur ce qui se passe dans ma vie et des sujets politiques. Je ne savais pas sur quelle chanson j’allais pouvoir en parler. Et puis un jour, au studio, Saul m’a fait écouter ce qu’il venait d’enregistrer. Cet instrumental au beat très disco. Je me suis tout de suite dit que ce serait parfait d’avoir un rythme à la Bee Gees qui était à l’opposé des effets de cette drogue sur ton corps. Histoire d’évoquer ainsi les bons moments du début qui se terminent en tragédie quelques années après.
L’album s’éloigne un peu du son psychédelique et du garage qui caractérisait le précédent. Il est clairement plus mélodique. Est-ce le reflet de ce que vous avez écouté ces dernières années ?
C’est sûr. Les années passent, tes goûts évoluent, tu as découvert des livres intéressants. Chacun de nos titres est inspiré d’une recherche intérieure. Et ce qu’il y a au plus profond de nous est inspiré par notre environnement. Nous avons donc au choix volé des idées ou bien essayé de trouver les nôtres, c’est ce qu’il y a de plus naturel à faire quand tu es un artiste. Nous commencions à saturer de notre son garage. Je ne sais plus comment c’est arrivé mais nous avons écouté beaucoup de disco, principalement les Bee Gees et Donna Summer. Ils ont produit des putains de classiques ! Nous avons absorbé leur son et créé nos versions façon Frankenstein, avec des erreurs de parcours. C’est ce côté bancal qui les rends intéressantes.
Ne penses-tu pas que la diversité des morceaux (influences disco, ballades, léger côté stoner, etc.) puisse déstabiliser les auditeurs les plus fainéants qui, il faut bien l’admettre, sont de plus en plus nombreux à l’heure du MP3 ?
Je crois encore fermement aux albums. Même si sortir un disque de nos jours s’apparente à une déclaration d’intention, c’est pour moi un format irremplaçable. Un disque te raconte une histoire en plusieurs morceaux. Tu imagines aller au cinéma et ne voir que des extraits d’un film sans aucune cohérence les uns avec les autres. Mais si je suis entièrement honnête, je suis conscient que c’est quelque chose qui est en train de mourir en même temps que l’industrie du disque. Les gens se lassent encore plus rapidement qu’avant, il n’y a plus de patience. Enfin si, ils en ont pour Florence And The Machine (rires).
La presse a souvent tendance à vous voir comme les sauveurs du rock’n roll. Heureusement il n’y a pas que vous ! Si je fais abstraction des groupes les plus obscurs, je pense qu’effectivement les Fat White sortent du lot, mais j’aurais tendance à vous placer au même niveau que Sleaford Mods. Tu en penses quoi ?
A aucun moment, un membre du groupe ne se considérait comme le sauveur du rock’n’roll. Je prends ta remarque plutôt bien car j’aime beaucoup ce groupe et c’est vraiment l’un des plus intéressants du moment. J’échange régulièrement avec Jason Williamson, le chanteur des Sleaford Mods. Nous parlons justement du stress causé par le rôle que les médias veulent nous faire porter. De tous ces mensonges et ces exagérations. J’ai hâte de voir ce que donnera la suite de leur carrière, comment ils vont rebondir. Mon morceau préféré de leur dernier album est « Face to Faces », le titre dans lequel il parle de Boris Johnston, le maire de Londres. J’aimerais bien entendre une facette plus soft de lui, que ça ressemble plus au Jason que je connais en privé. Il est venu nous voir en concert à Nottingham la semaine dernière et a passé un peu de temps avec nous. J’étais défoncé à la coke et je n’arrêtais pas de lui dire qu’il fallait que son prochain disque soit moins agressif au niveau des paroles.
A vos début, un journaliste du site The Quietus vous a décrits comme le meilleur groupe qu’il avait vu sur scène depuis les débuts de Suede. Même si les deux groupes n’ont pas grand-chose en commun, je comprends sa remarque au niveau de l’énergie et de la tension dégagée. Comment décrirais-tu le groupe et sa dynamique en live par rapport aux enregistrements studios ?
Saul est le boss en studio et c’est moi qui prends le rôle de leader en live. La comparaison avec Suede est assez juste car en live, il y a un côté sexuel qui s’accorde avec l’aspect parfois pervers de leurs paroles. J’aime bien ce groupe de toute façon, surtout leurs deux premiers albums que je possède encore. Ils sortaient un peu du lot à l’époque de la Britpop. Pour moi, ce mouvement se résume à eux et à Pulp. Le reste, c’était de la merde.