Avec “Each Other”, son troisième album, Aidan Knight signe un des disques essentiels de la rentrée. Nous l’avons rencontré pour tenter de percer le mystère derrière ces huit titres qui risquent fortement de lancer sa carrière en Europe.
“Each Other”, comme ton disque précédent est le fruit d’une collaboration avec tes musiciens. Considères-tu qu’Aidan Knight est maintenant un groupe malgré le fait que les disques sortent sous ton nom ?
C’est une question intéressante car à la fin de l’enregistrement du disque, deux gros évènements sont intervenus. Colin, notre bassiste a commencé à se plaindre de problèmes d’audition. Son médecin lui a déconseillé de continuer à jouer pour l’instant, du moins pendant qu’il est sous traitement. Et Dave, notre batteur, a repris ses études et a dû se mettre en retrait du groupe. Donc, en plein milieu de l’enregistrement, je t’aurais répondu que oui, car nous étions un groupe de cinq personnes soudées, chacun ayant une part d’implication identique. Aujourd’hui encore, le retour de Colin est incertain, donc nous ne sommes plus qu’un noyau dur de trois personnes. Mais je suis malgré tout toujours Aidan Knight (rire). J’ai deux amis qui nous ont rejoint pour le live. Évidemment la dynamique n’est pas la même, mais ce sont de très bons musiciens et je suis très content qu’ils jouent avec nous. Si je devais publier un statut Facebook sur le groupe, ce serait “Dans une relation compliquée” (rire).
Quel est votre mode de fonctionnement en studio ?
D’album en album, le mode de fonctionnement est devenu plus collaboratif. Pour le premier, je devais juste me débrouiller avec mes chansons et un budget ridicule pour l’enregistrement. J’ai donc joué beaucoup d’instruments moi-même avant d’inviter d’autres musiciens. Ils m’ont ensuite accompagné en tournée avant de retourner jouer dans leurs groupes respectifs. Ils sont par la suite devenus des membres permanents d’Aidan Knight et ont depuis joué sur tous mes disques. Nous avons vraiment commencé à nous sentir soudés à l’époque de “Small Reveal”. Pour “Each other”, nous avons passé chaque seconde de l’enregistrement ensemble. J’avais juste apporté des ébauches de chansons que nous avons retravaillées ensemble.
Tes musiciens semblent apprécier des styles musicaux très différents, du classique au jazz en passant par la musique expérimentale. Penses-tu que c’est cette diversité qui fait que vous fonctionnez aussi bien en tant que groupe ?
J’adore jouer avec d’autres musiciens car ils ont des qualités que tu n’as pas. Ils maîtrisent mieux certains instruments, ou bien apportent une approche différente par rapport à ce que tu avais en tête. C’est très motivant. Je n’aurais jamais pu imaginer les parties de trompettes et de cornes comme Julia et Olivia les ont jouées. C’est difficile à décrire mais ce mélange de compétences et d’approches musicales me font sentir profondément heureux. J’adore être surpris et me mettre à sourire ou bien pleurer à certains stades de la création. Il n’y a rien de comparable à ce que je peux ressentir dans ces moments. C’est addictif et bien plus stimulant que de travailler tout seul derrière ton ordinateur à ressasser tout le temps les mêmes idées.
C’est pourquoi, comme pour le disque précédent, certaines chansons n’étaient pas totalement abouties quand vous êtes entrés en studio ?
Effectivement, pas mal de chansons sur cet album n’étaient qu’à moitié terminées pour cette raison. Nous gardons le même équipement et les mêmes instruments pendant tout le process d’enregistrement. Et il n’y a rien de mieux que de capturer sur bande un moment inattendu qui donne une toute autre direction à ta chanson. Je suis quelqu’un de très organisé dans la vie, je planifie tout. Par contre en studio, c’est l’opposé, je veux laisser une porte ouverte aux imprévus. Réécouter les bandes, être surpris par nos improvisations et en choisir les meilleurs passages est bien plus important pour moi que d’avoir un son trop léché, avec beaucoup de détails. Je suis conscient que procéder de la sorte n’a aucun sens financièrement parlant, que cette méthode coûte cher, mais c’est ce qui me convient le mieux. De façon plutôt candide, c’est également un excellent moyen d’obtenir le résultat que je recherche, qui est de capturer la magie d’un instant pour en faire un portrait sous la forme d’une chanson.
De tous les titres de l’album, je trouve que c’est sur “The Arch” que ce sentiment de cohésion se ressent le plus.
C’est parce que nous jouions tous les cinq en même temps. Tout l’album a été enregistré en live. Marcus Paquin nous demandait de jouer un titre, souvent cinq fois à la suite et nous écoutions les bandes tous ensemble pour faire le tri. Nous retournions ensuite rejouer le morceau en gardant les meilleurs éléments. Effectivement, tu as raison, “The Arch” dégage une impression particulière de fluidité et de cohésion. Nous nous nourrissions de nos énergies respectives. Cela s’entend particulièrement sur l’intro.
La direction qu’a pris le disque est-elle venue à 100 % en studio, au contact du groupe ou bien avais-tu une idée en tête bien définie depuis un moment ?
J’ai toujours en tête une idée du résultat que je souhaite obtenir à l’arrivée avant d’entrer en studio. Je laisse la magie opérer pendant l’enregistrement, je suis ouvert aux suggestions, mais si ça ne fonctionne pas, nous reviendrons toujours à mon idée initiale. La plupart des idées que j’avais en tête se retrouvent sur l’album. Mais je suis très fier des contributions et des idées apportées par les autres musiciens qui ont rendu ce disque bien meilleur qu’il ne l’aurait été sans eux.
Le disque semble moins s’éparpiller que le précédent, sur lequel des sonorités variées étaient présentes. Le son est plus cohérent et chaleureux. Comment es-tu parvenu à ce résultat ?
Oui, c’est volontaire. Le premier album a pris un temps fou à créer, car il fallait que j’économise entre les sessions d’enregistrement pour pouvoir financer le projet. “Each Other” est le premier disque de ma carrière à avoir été enregistré en continu, sur une période de douze jours. Nous étions donc, même non intentionnellement, plus focalisé sur le son et la cohérence. A la fin du mixage et du mastering, lors de la première écoute du disque, la première chose à m’être venue à l’esprit était à quel point les huit titres étaient connectés les uns aux autres. Je ne m’attendais pas à une telle unité sonore.
L’album est court et ne comporte que huit titres. Pourrais-tu nous dire pourquoi ?
C’est à la fois intentionnel et pas. Il y a d’autres titres que je voulais inclure mais ils étaient moins dans l’esprit des huit autres. Ce qui n’est pas vraiment une grosse surprise quand tu optes pour une méthode de travail qui consiste à développer mes idées en studio (rire). Sur le même principe, “The Funeral Singer” avait été écartée de “Small Reveal”, mon album précédent car il lui manquait quelque chose. Nous l’avons par la suite retravaillée dans une version complètement différente, et c’est la première chanson que j’ai gardée pour “Each Other”. Les huit titres présents à l’arrivée sont vraiment les meilleurs, ils se suffisent à eux mêmes et donnent une cohérence au disque. Je n’ai aucune honte à sortir un disque relativement court à une époque où beaucoup de disques sont trop longs, avec forcément des chansons inutiles. Je ne suis pas en train de te dire que tout le monde va adorer mon album, mais au moins il n’y a aucun remplissage. J’imagine déjà les gens écouter le disque en vinyle, avec quatre titres sur chaque face, mon idée de la perfection.
“Small Reveal”, ton disque précédent n’avait pas bénéficié d’une réelle distribution en Europe. “Each Other” marque donc une étape importante dans ta carrière. Comment te sens-tu à la veille de la sortie du disque ?
Je suis vraiment très heureux de bénéficier enfin d’une distribution en Europe, mais d’un autre côté, cela m’angoisse. Plusieurs personnes vont travailler à la promotion de ce disque et ma nature compétitive fait que je ne n’ai pas envie de les décevoir. Du temps et de l’argent vont être investis, mais d’un autre côté, je n’ai pas vraiment de contrôle sur tous ces aspects du business et son impact sur l’album. Je n’arrête pas de me dire que je suis fier de ce disque et que je l’estime suffisamment bon pour qu’il plaise à quelques personnes, mais je suis conscient que la concurrence est rude et je comprendrais tout à fait si le disque ne marche pas. Je suis encore jeune, ce n’est que mon troisième album et j’aimerais vraiment continuer à sortir des disques. Peu de groupes Canadiens arrivent à venir jouer en Europe, donner des interviews à Paris comme je le fais aujourd’hui. J’ai une chance incroyable et j’ai vraiment envie d’en profiter et de réussir une carrière dans la musique. Je te donne rendez-vous dans un an et on pourra discuter de mes ambitions qu’il faudra sans doute revoir à la baisse (rire).
Pourrais-tu nous en dire plus sur le superbe et étrange clip d’”All Clear” qui mélange vidéo et animation ?
Le clip a été très bien reçu dans les médias. Les seules critiques négatives viennent de nos parents (rire). Ils trouvent cette vidéo très étrange et semblent la détester. Plus sérieusement, il y avait plusieurs pistes à exploiter, l’une d’entre elles était une vidéo romantique, à l’ambiance très posée. Puis cette opportunité de travailler avec une société d’animation s’est présentée. Quand le réalisateur m’a parlé de ce qu’il souhaitait faire, je lui ai répondu “Es-tu vraiment certain de ce que tu fais ?” (rire). La réponse était positive. L’équipe était tellement motivée par ce projet, avec une réelle vision, que je n’ai pu que leur faire confiance. De plus, ils aimaient vraiment “All Clear”. Pour la première fois je n’ai eu qu’à me présenter le jour du tournage, sans avoir à m’investir dans quoi que ce soit d’autre. Et c’est ma vidéo préférée. Par le passé, en cherchant trop à mettre mon nez dans ce qui est extra musical, j’ai souvent été déçu du résultat.
Il y a quelques années, tu as déclaré vouloir apprendre la langue française. Pourquoi cette envie, est-elle liée à une passion pour des artistes français ?
(Rire) Pour l’instant, j’arrive à lire en français si je prends mon temps. J’arrive également à comprendre des conversations. Là aussi, mon esprit compétitif fait que j’ai envie de maîtriser parfaitement votre langue. Je m’abstiens donc de parler pour l’instant car mon accent est abominable. Mais la principale raison de cette envie vient du fait que la première fois où je suis allé à Montréal, j’ai pu réaliser concrètement qu’une bonne partie de la population du pays parlait français. Soudainement, je me suis senti beaucoup moins Canadien car j’avais le sentiment de ne pas faire partie intégrante de mon pays. Quand je viens en France, je pourrais passer des heures à écouter les gens parler car j’adore les sonorités de votre langue.
Merci à Antoine Corman et Jennifer Havet
Crédit photos : David Jégou