Il m’aura suffi de quelques écoutes de « Who’s Gonna… » pour devenir un admirateur inconditionnel de l’œuvre du musicien libanais. Loin de tout carcan, le disque allait piocher dans toutes les sources (classique, électro, musique orientale), sans jamais se départir d’une ambition d’écriture, qui donnait aux neuf chansons une belle universalité. Pour l’avoir vu et (plus qu’)apprécié en live, dans différentes occasions (y compris un festival de piano classique), je savais que Bachar Mar-Khalifé pouvait aller encore plus loin.
Les onze titres de “Ya Balad” (“Ô Pays” en français) le confirment. Plus riches encore, toujours aussi denses par l’émotion qui s’en dégage, ces nouveaux morceaux réaffirment le caractère unique de la musique du pianiste, qui s’est entouré ici d’un batteur et d’un bassiste pour étoffer ses mélodies. Lui qui affirmait l’importance de la dimension physique de la musique, ou plutôt comment la musique doit s’adresser aussi bien à l’intellect qu’au corps, met en application cette ambition sur plusieurs titres. Du presque reggae « Balcoon » à l’entraînant « Lemon » (encore que l’adjectif soit faible) en passant par des titres plus complexes (“Wolf Pack”) ou plus dépouillés (“Ya Balad”), Bachar Mar-Khalifé s’adresse à nous de bien des façons. Pourtant, une réelle continuité s’installe, une atmosphère unique, entre une émotion qui afflue par vagues, une vraie pudeur et parfois une ardeur qui le pousse à hausser le rythme (“Layla” et sa chevauchée soudaine), donnant une profondeur inépuisable à ces onze titres.
Spirituelle ? Emotionnelle ? Difficile de qualifier avec précision la musique du Libanais. La question ne se pose d’ailleurs pas en ces termes, car chaque morceau a sa propre histoire, a parfois vécu avant d’être couché sur disque (au travers de films, de spectacles au théâtre). Les thèmes abordés sont toujours placés dans une perspective humaine, humble, et l’évocation de la famille (il reprend une musique de son père, Marcel Khalifé, fait intervenir sa mère sur un morceau) ou des figures spirituelles est parfaitement naturelle. Si l’expatriation est un thème récurrent, nourrissant les morceaux par les métissages qu’elle engendre (entre styles, influences, cultures), les racines de ce disque sont profondes, solides. Elles lui donnent la force de durer, de séduire à chaque écoute, de se laisse redécouvrir aussi, tout en restant parfaitement accessible. La terre de Bachar Mar-Khalifé mélange le doux parfum de la nostalgie à celui de la réinvention perpétuelle : “Ya Balad” nous parle d’un pays certes imaginaire, mais dont on ne se lasse pas d’arpenter les frontières.