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Interviews

Youth Lagoon – Interview

Trevor Powers, aka Youth Lagoon a publié récemment “Savage Hills Ballroom”, un disque en rupture avec ses prédécesseurs. Il revient pour nous sur sa volonté de livrer un troisième album brut, privé des artifices derrière lesquels il se cachait jusqu’à présent. Sans oublier sa nouvelle méthode pour trouver l’inspiration, courir la nuit après avoir bu du vin. Interview co-réalisée avec Nina Airtz.

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L’album a été réalisé entre Boise et Bristol, l’écriture notamment inspirée par de longues marches effectuées dans des banlieues de l’Idaho. Pourrais-tu nous en dire plus sur ce que tu as voulu retranscrire en musique ?

Pour être plus précis, il s’agit surtout de course à pied. J’ai pris pas mal de mauvaises habitudes dont je tente de me débarrasser. Courir m’aide à trouver un bon équilibre. Pendant l’élaboration du disque, j’ouvrais une bouteille de vin, commençait à travailler et au bout d’un moment je partais faire du sport. Ça a créé un contraste entre ce que j’essayais de produire dans mon studio et les émotions que je ressentais en courant. C’était un processus créatif étrange (rire).

Une étape a été franchie au niveau du son, beaucoup plus produit, avec ce nouvel album. Pourquoi cette volonté ?

Je n’y ai pas vraiment réfléchi. Quand je compose, je ne me fixe jamais de feuille de route. Ma seule règle est de me lancer des défis pour me renouveler, mais je ne sais pas de quelle façon je vais y arriver avant de commencer à expérimenter. Rapidement je me suis aperçu que mes compositions étaient moins vaporeuses et plus directes que ce que j’avais produit par le passé. Quelque part je trouve que ça leur donne un côté encore plus psychédélique que sur les albums précédents, car plus j’abordais mes chansons frontalement, plus je me sentais confus par la tournure de leur direction musicale. Parfois quand tu noies tes titres sous des tonnes d’effets bizarres, tu finis par les couper de leur essence psychédélique.

Tu es décrit comme une ‘night owl’, peux-tu nous parler de cette envie ou besoin de produire la nuit ?

Je déteste me réveiller tôt donc c’est un mode de fonctionnement naturel pour moi. Je me couche rarement avant trois heures du matin. Mon mode de création artistique est donc adapté à ce rythme de vie. Je suis plus efficace la nuit. Il n’y a rien de plus profond que ça (rire). 

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Tu as affirmé ne pas te sentir à l’aise avec tout ce qui peut s’assimiler au confort et à la sécurité au quotidien car tu les considères comme un barrage à l’épanouissement. T’imposes-tu des contraintes pour ne pas tomber dans une routine ?

On parlait des habitudes précédemment, mais avoir une routine pour certaines choses permet de faire le tri entre ce qui fonctionne ou pas pour moi. Si une routine t’installe dans une zone de confort, elle tue ta créativité. Il m’est impossible de créer quand je suis dans un état d’esprit apaisé, car tout ce qui va en ressortir sera un titre ressemblant à ce que j’ai déjà produit par le passé. Il faut que je sois en lutte mentalement pour avancer, il m’est nécessaire de créer du désordre.

Cet album met ta voix plus en avant que sur tes précédents albums, tu sembles jouer plus ouvertement sur les émotions sans avoir recours à des effets. Pourquoi cette décision ?

Je me suis rapidement aperçu que je souhaitais une approche très brute pour cet album. Une des conséquences a été de ne plus cacher ma voix derrière des tonnes d’effets qui me permettaient par le passé de me sentir plus à l’aise avec ces sonorités.

Les pochettes des trois albums présentent des caractéristiques plutôt différentes, penses-tu que l’artwork est encore important aujourd’hui ?

Oui bien sûr l’artwork est aussi important que la musique elle-même. Je ne suis pas quelqu’un qui télécharge, si j’aime vraiment un album, je vais aller acheter le vinyle. J’aime avoir quelque chose de tangible, pouvoir regarder l’artwork, lire les paroles. Je fais très attention aux pochettes ou premières de couvertures. Si un artiste ou auteur ne se soucie pas de l’aspect de son album ou livre, cela ne me donnera pas envie de m’attarder à ce qu’il a envie de partager, à son message.

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Pourquoi cette pochette si minimaliste, si directe sur ce dernier album ?

Je crois que ça colle à l’état d’esprit assez à vif dans lequel j’étais pendant l’écriture des morceaux. Cela va de pair avec l’esprit de l’album, assez brut de décoffrage, sans fioritures. Mais finalement quand on déplie le vinyle, on découvre une photo de moi plutôt élaborée, fournie, qui fait découvrir tout un monde à l’intérieur de l’album, et non pas juste le strict minimum.

Tu es signé sur Fat Possum Records, label basé dans le Mississippi. Si le sud est connu pour avoir été le berceau du blues, la région nord-ouest aurait-elle aussi un son particulier?

Je connais pas mal d’autres musiciens sur Boise, mais qui font tous des choses un peu différentes. Il n’y a pas de son précis, une scène qui se dégage ; chacun fait ses trucs dans son coin, il y a du garage, du punk…Il n’y a pas de style particulier dans la région. Beaucoup de folk, dont je ne suis pas le plus grand fan d’ailleurs (rires). J’aime le folk des années 60/70, à l’époque la musique et les paroles te racontaient quelque chose. Aujourd’hui, c’est beaucoup de vent, ça manque d’âme, de caractère.

L’album me fait penser à toute une série de disques ambitieux de la fin des années 90 début 2000 avec des paroles intenses enrobées d’une musique très pop. Avais-tu certains modèles en tête ?

Ce n’était pas voulu. L’album a eu un but défini assez tôt, où chaque idée a eu son importance par la suite. Il y a eu beaucoup d’essais pour trouver le ton juste. Le résultat final n’est pas que le fruit de mes expérimentions, mais de beaucoup de recherches pour obtenir les sons qui convenaient. Certains morceaux ont demandé six mois pour sonner aboutis. Pendant cette période j’ai commencé à en écrire d’autres. Le processus a été long pour assembler toutes ces idées et définir précisément ce que je voulais et comment le partager.

Que penses-tu de cette liste sans fin de genres et sous-genres qui finalement ne disent plus grand chose sur les motivations de musiciens ?

La plupart des genres sont comme ça, ils ne veulent pas dire grand-chose. Beaucoup d’artistes sont regroupés sous un seul terme mais ne se ressemblent en rien. Les choses propres et ordonnées rassurent les gens car ils ont tendance à tout découper en catégories. C’est plutôt frustrant pour un artiste, parce que tu veux justement ne pas être assimilé à un autre. Si cela ne tenait qu’à moi, je séparerais différents types de musiques par humeur, par sentiment.

Pourrais-tu nous en dire plus sur cet instrumental très sombre (« Doll’s Estate ») placé en milieu d’album. Le considères-tu comme un interlude ?

C’est un de mes morceaux préférés de l’album, qui est assez significatif de la période que je traversais à cette époque. Je l’ai composé pour m’aider à aller mieux dans une période assez difficile au niveau personnel. Je ne voulais pas exprimer mes sentiments avec des mots, pour éviter que tout le monde sache de quoi il en retournait.

L’album est produit par Ali Chant qui a un CV impressionnant (Gruff Rhys, PJ Harvey, Perfume Genius etc). Comment avez-vous été amené à travailler ensemble ?

J’ai rencontré Ali en ligne, en faisant des recherches de studios en Angleterre. Je suis tombé sur le sien, à Bristol, et j’ai vu qu’il avait travaillé pour PJ Harvey, que j’adore. On a juste commencé à échanger par webcam sur mes démos et sur la vision que j’avais pour l’album. Même si on conserve des approches assez différentes, j’ai tendance à travailler lentement alors que lui pas du tout, on semblait être sur la même longueur d’onde.

Est-ce que tu penses qu’enregistrer à Bristol a influencé le son de l’album ?             

Tout l’album a été écrit à Boise (Idaho) mais l’étape de l’enregistrement est vraiment le moment où tu rajoutes de la chair au squelette, et les émotions que tu peux avoir à ce moment-là comptent tout autant. L’atmosphère de Bristol a donc pas mal déteint sur l’album. Il y a eu tellement de musiques phénoménales venant de cette ville.

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