Montée en puissance d’un jeune festival qui parvient à conjuguer programmation de groupes locaux et têtes d’affiche dans un cadre intimiste où les artistes se mêlent au public. Compte-rendu de la sixième édition de Rock In The Barn à Giverny.
Vendredi 25 septembre
Les fidèles des festivals le savent, il est souvent difficile d’être à l’heure pour voir jouer le premier groupe en fin d’après-midi. Pour cela, nous avons pris nos dispositions afin d’assister au set des Rouennais de No Tropics qui ouvrent Rock In The Barn dans la grange. On les suit depuis leurs débuts et les avons vus à plusieurs reprises, du concert dans une cave de bar au tremplin pour les groupes locaux organisé par la Smac où les quatre musiciens répètent, en passant par l’audition aux Inrocks Lab. Une dizaine de concerts au compteur et déjà un peu de chemin parcouru, le groupe fait partie des quatre à être parrainés par le 106. Le line-up a évolué, si John (photo) officie toujours au chant et à la guitare, Valentin à la guitare et Adrian à la batterie, Chloé au clavier et à la basse a été remplacée par Arthur uniquement à la basse. Exit la voix féminine et le synthé pour la formation garage-surf. En quelques concerts, John a gagné en assurance dans le chant, les compositions aussi et de nouvelles viennent agrémenter le set en vue d’un nouvel EP. On prend plaisir à voir évoluer le projet de date en date et ce soir ne fait pas exception.
On avait manqué il y a peu ceux qui inaugurent la grande scène extérieure, Elecampane, venus de Caen. On a déjà vu une partie du groupe puisque Nicolas à la guitare (à gauche) et Augustin à la basse (à droite) sont des échappés de Concrete Knives déjà venus jouer à Rock In The Barn en 2013 et 2014 ! On se réjouit de les trouver ici car ils sont la surprise du chef. Ils remplacent au pied levé leurs potes de Gomina, également de Caen, et dont l’un des membres s’est blessé. On aurait apprécié de découvrir cette autre formation dont a été chroniqué ici le premier disque. Néanmoins, on ne boude pas notre plaisir d’écouter les compositions issues du premier EP d’Elecampane, simples, efficaces et idéales pour débuter le week-end. Première bonne surprise à renouveler dès que possible.
D’autres locaux enchaînent, les Ebroïciens de Métro Verlaine qui viennent illustrer le propos en préambule, on les avait manqués en ouverture de l’édition 2013. A l’époque, il s’agissait encore d’un duo façon The Kills. Depuis un an, Geoffroy a pris place à la batterie aux côtés de Raphaëlle au chant et d’Axel à la guitare. Ce dernier dédicacera le titre “Crocodile” aux “connards de bobos parisiens qui parlent à la télé des réfugiés sans n’avoir rien vu de la vie”… La grange commence à se remplir, on suit depuis le fond de la salle le set du groupe qui revendique l’influence de The Cure et The Jesus And Mary Chain et qu’on retrouvera en première partie de Motorama à l’automne.
The Warlocks étaient censés jouer sur la scène extérieure mais ils ont été retardés. C’est à Cheap Wine, formation amiennoise que revient le privilège d’occuper la grande scène ; le chanteur a l’allure d’un Jim Morrison, les compositions oscillent entre Creedence Clearwater Revival et Led Zeppelin. L’appétit nous conduit au stand de la Tambouille d’amour. Au menu, du 100% végétal, la cuisinière distribue des petites cartes avec l’adresse Facebook offrant ses recettes. Si dans de grands rassemblements musicaux, la proposition gastronomique est de plus en plus étendue et diversifiée avec des food-trucks de qualité, d’autres rendez-vous offrent rarement une alternative entre la pizza et la saucisse-frites. A notre table, un client en est à sa deuxième assiette. Comme on est sympa, on vous dit où trouver la recette du riz byriani et son curry d’aubergine aux lentilles corail avec boulettes hushpuppies. On espère qu’ils reviendront l’an prochain.
On sera un peu plus dissipé pour la suite de la soirée (la digestion peut-être) sans pour autant faire l’impasse sur ce qui va suivre. On retrouve The Jabberwocky Band, groupe rouennais qui nous avait séduit cet hiver en première partie de Wovenhand. Le public masque ce qui se passe sur scène, il vaut mieux arriver tôt. On craint la saturation de jauge pour The Warlocks. Entre temps, c’est Tahiti 80 qui endosse le rôle de groupe pop de l’affiche dans une programmation majoritairement rock et psychédélique, reflet des goûts du programmateur que l’on rencontrait une semaine avant le festival. Le public apprécie les mélodies de Xavier Boyer et sa bande, véritables icônes au pays du soleil levant. Le groupe semble trouver du plaisir à jouer des titres extraits du dernier LP “Ballroom” aux plus anciens comme “Big Day” issu de “Fosbury” paru il y a dix ans.
Amenés à jouer trois heures plus tard que prévu, on passera un bon moment avec The Warlocks, notamment aux premières notes de “Shake The Dope Out”. La promiscuité du lieu sera source de rapprochements entre Bobby Hecksher (photo) et le public, confiant la tenue de sa guitare au premier rang. Difficile de ne pas ressentir une pointe de frustration, celle des concerts où seule la tête des musiciens dépassent mais où la vue d’ensemble relève de l’exploit. Sans parler de l’éclairage de la grange qui aura donné du fil à retordre aux photographes les mieux équipés. Et si c’était l’occasion de visionner le live du passage des Californiens à la Route du Rock hiver disponible jusqu’en 2018 ?
Go!Zilla nous vient d’Italie et l’on rattrape ici l’occasion manquée de les voir cet été au Binic Folks Blues Festival. On a eu de bons échos de leur présence finistérienne, on en espère autant de celle givernoise. Le moins que l’on puisse dire est qu’on ne sera pas déçu du voyage. Celui-ci surpasse nos attentes forgées à l’écoute du disque “Sinking in Your Sea” paru au printemps dernier. Les Florentins confiaient aimer la France et ils en font la démonstration, pas dans la communication avec le public mais dans l’intensité du jeu survolté de bout en bout. L’énergie punk de Luca (chant et guitare), Mattia (guitare) et Fabio (batterie) réanime le psyché dans une veine garage. Luca n’ira toutefois pas jusqu’à slammer avec sa guitare au-dessus du public comme ce fut le cas à Binic. Cela suffit tout de même à nous tenir éveillé pour aller au bout de cette première soirée.
L’électro fait son apparition dans la programmation avec le collectif La Fine Equipe, sorte de C2C des platines que l’on avait découvert avec les compilations la Boulangerie mais que l’on associe durablement au chant d’ASM sur “Gremlins” paru en 2013 et dont le clip est diffusé en fond d’écran entre deux dessins de pâtisseries. On entendra également “Cheese Naan”, un featuring avec le bien-aimé Fakear. Il est 3 heures, on est là depuis l’ouverture du site à 17h, le programme du lendemain est copieux, on plie les gaules pour ce soir.
Samedi 26 septembre
Retour à la Ferme de la Grande île en fin d’après-midi. On n’a pas évoqué le charme particulier du site et les quelques personnes venant pour la première fois de s’étonner qu’il s’agit d’une vraie grange, cadre champêtre à la lumière impressionniste qu’évoquait ici Martin Carrière, le programmateur du festival.
Ce sont les Havrais The Perkins qui commencent à la même place que No Tropics la veille. Et pour cause, les deux groupes ont été sélectionnés via un tremplin à la salle de l’Abordage pour ouvrir chaque journée du festival. Contrairement à No Tropics, on les découvre en live. On était arrivé un peu tard pour leur passage au tremplin des Francofolies où ils avaient été sélectionnés pour jouer. On comprend rapidement pourquoi, d’abord du fond de la grange, difficile de ne pas s’approcher du trio composé de Rachel et Emeline à la guitare et de Simon à la batterie. Beaucoup d’assurance et d’efficacité dans le son. Comme Métro Verlaine, on ne serait pas surpris de les retrouver programmés un peu plus tard lors d’une prochaine édition.
Autre lieu, autre ambiance, plus colorée et toujours à la lumière du jour avec Animali qui vient de Lyon et dont on a découvert la musique sur les conseils du programmateur. Sans être totalement concentré sur le set, la musique qui parvient à nos oreilles est plaisante. Le groupe se réfère à Pink Floyd époque 70’s. On y reconnaît des petites touches de synthés rappelant MGMT pour le côté pop, Tame Impala pour le côté psyché mais jamais sans verser dans la pâle copie. L’écoute de leur single “The Alchemists” synthétise leurs capacités.
On avait croisé deux membres de RusT déjà présents sur le site la veille au soir. On retrouve les Polonais bouillonnants d’énergie dans la grange, notamment le chanteur qui n’aura de cesse d’agiter sa crinière blonde. On profitera encore mieux du spectacle depuis la mezzanine pour quelques photos. De quoi se donner le vertige. Musicalement, on reste dans le rock binaire allant d’Aerosmith à Led Zeppelin en passant parfois par le rock FM de Bon Jovi sur le titre “Mary Jane”. Le groupe annonce faire une reprise de You Said Strange (le groupe du programmateur du festival). On reconnaît “Saint Enoch” déshabillé de ses atours psychédéliques et cela fonctionne. Peut-être une piste pour une future collaboration ou un duo éphémère…
Sur la grande scène, on retrouve Black Market Karma, groupe programmé l’an dernier dans la grange. Si le festival débutait plus tôt dans l’après-midi, on profiterait volontiers de BMK allongé dans la pelouse pour un moment de détente. Les Londoniens ont de belles guitares et savent bien s’en servir. La choriste Louisa apporte un peu de distraction alternant entre tambourin et harmonica mais une vingtaine de minutes suffit à nous encourager de rejoindre la grange pour se placer devant Wall Of Death.
Wall of Death effectue ses derniers réglages, l’occasion de voir de plus près les divers instruments et autres mellotrons auxquels la formation parisienne a recours. Auteurs d’un premier LP sur Born Bad Records, le groupe s’est payé le luxe de tourner en première partie des Black Angels puis d’Hanni El Kathib. C’est d’ailleurs sur le label de ce dernier, Innovative Leisure, qu’est annoncé le second LP, en janvier 2016. On apprécie particulièrement la clarté de la voix d’Auguste, le chanteur tatoué, moustachu, barbu qui ne passe pas inaperçu. Après réflexion, Wall of Death s’avère être une transition toute trouvée entre le psychédélisme de Black Market Karma et le rock shoegaze de Crocodiles, le groupe est à la confluence des deux.
Crocodiles, le nom qui concentre notre attention du week-end. Même si l’on affectionne moins le récent “Boys” que le précédent “Crimes of Passion”, la présence du groupe de San Diego aujourd’hui établi à New-York est immanquable. Les premières notes suffisent à déterminer qu’ils sont la tête d’affiche de la soirée (du week-end ?). Beaucoup de magnétisme déversé par Brandon Welchez au chant et à la guitare mais c’est surtout la façon dont Charles Rowell se démène sur sa guitare qui impressionne tout au long de ce set. Le groupe reprendra pour conclure “Jet Boy, Jet Girl” du groupe punk Elton Motello popularisée dans la langue de Molière par… Plastic Bertrand. Brandon Welchez fredonnera quelques “ça plane pour moi” avant de quitter la scène. Leur prestation méritait à elle seule le déplacement à Giverny.
Le dernier tiers de la programmation sera dédié non pas aux fuzz et distorsions de guitare mais aux synthés et laptops. D’abord avec le quatuor havrais NUIT dont il a déjà été question ici même puisque nous avons rencontré William, le chanteur guitariste après un premier EP et quelques concerts remarqués. On est séduit par l’identité sonore de NUIT que compose deux des anciens collaborateurs de Craig Walker. Ce soir, il nous est donné l’occasion d’entendre de nouveaux morceaux tels que “Life Taker” qui ouvre le set ou “Looking For Gold” qui donne son nom au prochain EP à paraître. On découvre une facette plus cristalline de la voix de William sur “Try Me” qui n’est pas sans évoquer “Limit To Your Love” de James Blake. Au premier rang au début du concert, on fera un pas en arrière pour capter l’ambiance de la grange qui prendra des allures de discothèque sur “Hold Your Horses”. Le public s’avère très réceptif à l’ambiance hypnotique et stroboscopique de l’installation lumineuse et nous avec ! On retrouvera NUIT prochainement à l’affiche d’autres festivals normands (Ouest Park et Nordik Impact).
Nous voici aptes à re(ce)voir Christine composé d’Aeon Seven et Kunst Throw. Ce duo de DJ a beau être originaire de Rouen, cela fait un moment qu’il nous a été donné de les entendre ensemble, chacun ayant des projets solo. On se souvient comme si c’était hier de leur set au festival Le Rock Dans Tous Ses Etats en 2011 lorsqu’il existait encore la troisième scène de la Gonzo. On connaît sur le bout des doigts les morceaux de Stéphane Delplanque et Nicolas Lerille, de “Fucking Youth” au récent “Ecstatic Sole” en passant par “Catharsis” et “Death On Wheels”. Impossible de se lasser de leurs compositions électro aux influences funk et rock toujours savamment illustrées de collages cinématographiques allant de Stanley Kubrick à John Carpenter (vous saisissez mieux le nom du tandem ?). Comme dirait la voix issue de “Sauvage”, “en ce qui me concerne c’est parfait, impeccable” résume ce qu’on pense de leur prestation et de leur musique en général. On attend l’album à suivre en février 2016 ainsi que l’EP de covers de musiques de film.
Pour clôturer cette édition de Rock In The Barn, c’est un autre tandem qui succède à Christine aux platines. Il s’agit des membres d’Acid Arab, venus insuffler leurs rythmes orientaux. Le duo sera rapidement rejoint sur scène par une jeune femme désireuse de faire la démonstration de ses aptitudes chorégraphiques, entre les lignes, la danse du ventre ! Quand la sécurité se préoccupe de la faire descendre, Guido Cesarky aka Minisky insistera pour que la belle puisse rester sur scène, ce qui ne vaudra pas pour les autres venus s’essayer à une percée de la crash barrière… Comme pour la Fine Equipe la veille, on déclinera aux deux tiers du set après huit heures de musique en continu.
On repart avec un bilan positif de cette sixième édition, la troisième pour nous, et la satisfaction d’avoir vu pour la première fois des groupes issus de la scène locale et internationale (The Perkins, Elecampane, Go!Zilla, Crocodiles) dans une ambiance amicale. Car c’est un peu l’esprit de Rock In The Barn, 500 à 1000 personnes se croisent chaque soir le temps du week-end dans une ville peu animée le reste de l’année. On ne peut que se réjouir de l’existence de telles initiatives et continuer à les encourager en se donnant rendez-vous en 2016 à Giverny.