Les Mancuniens refont donc en 2015 leur deuxième come-back après une très longue absence, comme c’était le cas en 2001 avec « Get Ready« , bon disque-étalon, certainement surestimé à sa sortie néanmoins, et qui faisait suite à « Republic » qui datait lui de… 1993. Et pour la première fois sans Peter Hook, son bassiste et une bonne partie de son âme punk, mais en récupérant Gillian Gilbert, absente en 2005 sur le dispensable « Waiting for the Sirens’ Call » (seulement illuminé par deux ou trois titres), et sur Mute, label mythique attaché à un autre géant des années 80 auquel on l’a parfois opposé, Depeche Mode.
D’une certaine manière, l’équation s’avère la même depuis « Technique ». Dépassé par ses suiveurs sur son versant électronique (postmoderne), le groupe tente de conjuguer tant bien que mal ses différentes identités, entre électro-pop, tubes discoïdes à la production souvent discutable, et électricité plus rêche. Quelque chose de relativement inconciliable, d’autant que le groupe – trop occupé par ses tiraillements internes ? – n’a jamais pris le risque d’une production qui éprouverait davantage le cœur de sa musique (en d’autres temps, Brian Eno ou Nigel Godrich auraient pu occuper ce rôle), ce que ce nouveau disque remet en jeu aujourd’hui bien malgré lui.
Cela débute par « Restless », single électro-rock comme seul le groupe sait en produire, efficace mais aussi un peu poussif. Le groupe y applique une recette connue entre toutes, une mélodie crève-cœur sur un canevas électro et des guitares déliées, le tout appuyé par une basse comme si le fantôme de Hooky s’était invité en studio. Le groupe cherche sa cible sans y parvenir tout à fait, le souffle épique de « Crystal » en moins.
Les choses sérieuses commencent avec « Singularity », beau morceau construit autour d’une ligne de basse puissante dont les survivants de Joy Division se rappellent avec justesse. L’émotion est palpable pour qui aura été un jour touché par la musique de New Order, son romantisme forcené et ses lignes de fracture, son électronique entêtante. La voix si familière de Barney Sumner touche comme si le temps n’avait aucune prise sur elle. En quelques instants le groupe retrouve une part de sa magie, et un alliage qui n’appartient qu’à lui. Une surprise donc, qui se prolonge avec « Plastic », morceau rétro-futuriste dont les boucles synthétiques évoquent le Moroder de « Midnight Express » comme le New Order de « Technique ».
Malheureusement cela se gâte sérieusement ensuite, le groupe reprenant ses mauvaises habitudes avec les insupportables « Tutti Frutti » et un « People on the High Line » au mauvais goût assumé et que l’on imagine destinés aux clubs, vraies caricatures à classer parmi les pires productions du groupe, non loin de l’hymne pour le Mondial 90 qui vit les espoirs anglais se briser aux portes de la finale romaine, comme un présage. New Order n’aurait jamais dû s’aventurer au pays de l’italo disco, hier comme aujourd’hui. L’affaire ne s’arrange pas non plus avec « Stray Dog », tunnel sonore plutôt vain, dont le seul intérêt consiste en la présence d’Iggy Pop au micro, soit l’hommage revendiqué à un artiste dont la période berlinoise a influencé les jeunes Mancuniens qui devinrent Joy Division en 1977, Ian Curtis en tête.
Il faut faire preuve de patience pour retrouver New Order tel qu’on l’a toujours aimé, avec deux titres plus électriques, « Academic » et « Nothing But a Fool », belles échappées aux deux tiers du disque, ce dernier un peu sali néanmoins par des chœurs inutiles. Les derniers morceaux de « Music Complete » n’apportant rien de notable, on peut se poser la question de la légitimité de l’ensemble, inégal comme ses prédecesseurs immédiats.
« Music Complete » n’a certes pas vocation à être comparé aux disques de l’âge d’or du groupe – de « Power, Corruption and Lies » à « Technique » – mais de permettre à Barney et sa bande d’exister (encore) artistiquement, et accessoirement de servir de support à la tournée qui se dessine. Et pourtant, le groupe accomplit bien quelques petits miracles mélodiques dont nous aurions tort de nous priver. Sur une poignée de titres, et pas loin d’une moitié d’album finalement, New Order puise bien dans les racines de sa musique – l’héritage de Joy Division n’est jamais loin – et montre qu’il peut encore émouvoir ; et c’est en soi une belle victoire, contre le temps, contre ses détracteurs, contre le sens de l’histoire.