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Future – DS2

Future - DS2

Le rap va bien, il va même très bien. Cela a été confirmé en 2015 par ce qui, sans doute, a été l’événement de l’année pour ce genre musical : le retour en grâce de Future. L’histoire est désormais connue, elle a été ressassée par la foule de critiques, dans l’ensemble élogieuses, voire dithyrambiques, qui ont accompagné la sortie cet été du troisième opus du rappeur d’Atlanta. Après avoir semblé échouer dans sa conquête définitive du grand public avec « Honest », et connu en parallèle quelques déboires du côté de sa vie sentimentale, Future s’est régénéré auprès du noyau de ses fans par une série de trois mixtapes réussies, puis il a connu un succès inattendu avec ce nouvel album surprise, « DS2 », mieux reçu que nul autre, et propulsé en tête des ventes américaines dès la semaine de sa sortie.

Ce qui est satisfaisant dans cette histoire, ce qui est presque moral (même si les paroles de Future, elles, sont loin de l’être), c’est que « DS2 » connaît le succès précisément parce qu’il tourne le dos aux compromis consentis sur « Honest ». Plus d’invités comme Pharrell Williams, Pusha T, Kanye West, Wiz Khalifa et Andre 3000, censés faire venir de nouveaux fans à l’album : le seul qui est resté, ici, c’est Drake, sur un unique titre, « Where Ya At ». Plus d’escapades dans de multiples registres musicaux, fini de manger à tous les râteliers : le rappeur se concentre sur les bases de la trap music, avec l’assistance des meilleurs producteurs du genre, Metro Boomin, Southside, et dans une moindre mesure Zaytoven. Les paroles, aussi, se concentrent plus que jamais sur l’égotisme et les addictions du personnage. Quant aux sons, ils reproduisent ces moments successifs d’exaltation et de déprime qui accompagnent généralement la consommation de stupéfiants. Car soyons clairs : histoire de donner raison aux récentes accusations d’OG Maco à son encontre, Future, tant dans les textes que dans les beats, c’est bel et bien de la musique de drogué, sans excuses, sans ambages et sans ambiguïtés.

Le titre le souligne. « DS », en effet, est l’acronyme de « Dirty Sprite », une allusion aux sodas augmentés de codéine qui sont l’une des drogues de choix des rappeurs. Quant au « 2 », il rappelle que Future avait déjà sorti une mixtape intitulée ainsi en 2011, celle-là même avec laquelle il avait commencé à se faire un nom. Très clairement, donc, le rappeur a voulu reprendre l’histoire à zéro. Il revient à la rue, à un rap underground et sale. Sur le manifeste « I Serve The Base », d’ailleurs, un titre au son douloureux et puissant, il renie le star system, avec la phrase qui a été la plus commentée du disque : « Tried to make a pop star and they made a monster ». Ils ont tenté de créer une pop star, mais ils ont fait de moi un monstre.

Sur DS2, donc, Future cherche la rédemption artistique. Mais il la cherche par la chute, par la décadence. Il nous affirme qu’il va mieux sur « Slave Master », mais sa voix nouée dit tout le contraire. Et il nous propose un disque sombre, dissolu et autodestructeur. Il n’ajoute rien aux innovations qu’il a déjà introduites dans le rap, cette posture égocentrique de débauché, ces paroles partagées sur le ton de la confession, ce flow qui joue des mélodies, ces chantonnements hallucinés et désespérés, le tout avec le nihilisme avide de drogues et de sexe qui est l’éternel du trap rap d’Atlanta, et une mélancolie profonde et poisseuse, qu’on entend par exemple sur « Slave Master », « Kno the Meaning » et sur le splendide « Blood on the Money ». Mais il présente tout cela à l’état pur, dépouillé de toute considération ou présence inutile. Et le résultat, insistons donc sur ce que tout le monde a déjà dit, n’est rien d’autre que somptueux. Contrairement même à ses deux prédécesseurs, y compris le pourtant très bon « Pluto », « DS2 » comprend peu de temps morts.

Quand un album rencontre le succès alors même que l’artiste revient à ses fondamentaux, qu’il abandonne les enjolivements dont il pense le grand public friand, qu’il enregistre ses disques commerciaux comme il le ferait avec ses mixtapes, quand il tourne le dos aux compromissions du marketing, quand il réalise, à raison, qu’elles ne sont finalement peut-être pas nécessaires, quand il donne le sentiment (peut-être trompeur, mais on s’en fiche) d’être spontané et de n’avoir rien calculé, c’est que la musique va bien. C’est que le rap, qui est le cœur vivant et palpitant de la musique d’aujourd’hui, va lui aussi très bien. Et le rap, en 2015, en pleine décennie 2010, il n’y a plus aucun doute là-dessus : c’est Future.

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