Depuis « Exalted », Nacho Picasso a sorti plusieurs choses, bien souvent avec l’aide de ses amis de la scène de Seattle, comme « Black Narcissus » (2012) avec le producteur Raised Byy Wolves, « Vampsterdam » (2013) avec le rappeur d’origine ukrainienne Avatar Darko, ou encore « Trances with Wolves » (2014). Rien, cependant, n’a égalé le dernier volet de la trilogie qu’il a proposée en quelques mois, entre 2011 et 2012, conjointement avec Blue Sky Black Death. Sans la production typique du duo, le phrasé léthargique du rappeur est rédhibitoire, il ne fait que nous endormir. Ce n’est qu’avec les sons majestueux et grandiloquents des deux autres que son style est mis en valeur, et que son rap narquois fait pleinement son effet.
« Stoned and Dethroned », un nouvel album apparu en janvier 2015, plus de trois ans après leur première collaboration, démontre une fois encore l’alchimie parfaite entre ces trois-là. Sorti via Surf School, le label de Harry Fraud (on sait le rappeur et le producteur liés depuis un titre en commun, « In The Trump », en 2014), et intitulé comme un album de Jesus & Mary Chain (on doute que ce soit à dessein), cette nouvelle saison des aventures de Nacho Picasso, Young God et l’ex-Kingston (désormais 88 Ultra) reprend les choses là où « Exalted », l’apothéose de la trilogie précédente, les avait laissées. Alors rappelons donc de quoi est faite leur mixture.
Côté paroles, c’est un rap hédoniste et nihiliste très contemporain. Nacho Picasso attaque d’entrée avec un hymne à la cocaïne (« Coke Hyena »), il donne dans un égo-trip de vilain garçon (« Mouth Full Of Gold »), il relit à la mode rap le vieux slogan « sexe, drogues & rock’n’roll » (« S, D, & RnR »), et surtout, il affiche sa misogynie (« So Dark », « ’89 Dope Spot », « One Bitch »). Les textes sont remplis à ras-bord d’humour noir pince-sans-rire, et d’allusions incessantes à la pop culture, Nacho Picasso citant d’un même souffle Tina Turner, Aladin et R. Kelly sur « Bastard in a Basket », puis Pikachu, Beowulf, Grendel et Matrix sur « Ghost ». Et ce ne sont là que quelques exemples, tout l’album est ainsi. C’est toujours la branche du rap la plus sale, irrespectueuse et immorale, mais qui s’étendrait désormais chez les nerds de la classe moyenne, plutôt que chez les gros bras du ghetto.
Quant aux sons de Blue Sky Black Death, outre ces voix sépulcrales ralenties sur le mode screwed, très présentes sur les refrains, c’est toujours une alternance de nappes somptueuses et de moments plus oppressants. Tout juste note-t-on une présence plus importante de ces derniers, et une ambiance encore plus sombre qu’à l’accoutumée, façon bande originale de thriller. L’alliance entre Blue Sky Black Death et Nacho Picasso, au fond, c’est un dream rap, comme il y a une dream pop, un rap de transe, dans les beats, comme dans les paroles aussi, ce que Nacho Picasso lui-même résume d’ailleurs parfaitement bien sur « In A Trance » :
So what, I don’t rap conscious, I’m in a trance
I got a cult following, don’t you hear the chants?
Nous, en tout cas, on les entend ces chants, depuis qu’on a rejoint la secte Nacho Picasso. Tant et tant qu’on s’empresse d’embrayer dès maintenant avec « The Witchtape », un autre projet sorti dans la foulée, avec seulement 88 Ultra cette fois.