D’abord, la pochette. Rassurante à souhait par tant de connivence — le t-shirt Sonic Life, souvenir de cette précieuse somme publiée en 1992 par Stampa Alternativa. Au-delà du clin d’œil générationnel, les prétentions en termes d’artwork n’ont guère changé en plus de 25 ans de carrière. On serait même forcé d’admettre une certaine forme de sobriété. Cela n’a pourtant rien d’anecdotique à l’aune de ce qui se joue dans cette petite demi-heure car s’il est toujours heureux de recevoir des nouvelles du natif de Dayton, Ohio, nul n’ignore que le premier album de Dinosaur Jr. a 30 ans, que la bande originale de Kids, dont il assura la supervision musicale, a fêté ses 20 ans, et que son projet boisé Sentridoh existe depuis 1993.
A priori, Lou Barlow n’est pas (encore) « rangé » des voitures, réactivant Sebadoh en 2013 — le cas Dinosaur Jr. « réglé », lui, dès 2007 par un retour en grâce à la formation d’origine. Cette espèce d’apaisement, certainement concomitant de l’âge, ne doit, en l’espèce, occulter l’essentiel : le parcours d’un musicien d’exception, figure iconique par défaut de l’école lo-fi, exempt de toute compromission et autres fourvoiements où l’opportunisme le disputerait à la vénalité. Il n’est pas ici question d’ériger Barlow en chevalier blanc de la cause indie rock, mais qui sait dérouler telle carrière tout en pouvant se regarder dignement dans le miroir ? Bref, à chaque époque ses héros oserait-on sans malice…
Six ans après « Goodnight Unknown« , Barlow a peut-être quitté l’étiquette Merge au profit de Domino, rien n’a fondamentalement changé, l’homme sacrifie encore et toujours aux vertus de l’enregistrement domestique dans sa version la plus frontale, soit guitare, voix et parfois un synthétiseur de misère. Et c’est ainsi. Comme en 1989, période où traquer une cassette ou un 45T de l’oiseau relevait du jeu de piste monomaniaque au gré des newsletters de labels aussi éphémères qu’exotiques.
Dépouillé et revêche, « Brace The Wave » ne séduira certainement pas grand monde. Et pourtant, qui sait à ce point ouvrir littéralement son cœur et son âme sans sombrer dans la mièvrerie ou la pornographie du sentimentalisme ? Qui chavire autant que ce bien nommé Pulse ? Inutile de chercher. Neuf titres presque anachroniques au regard de toute la mélasse constituant notre pain quotidien. C’en est presque rageant — pour l’injustice, laissons donc le temps faire son patient travail — tant Barlow n’a jamais aussi bien « chanté » avec une chaleur et une profondeur rares et sans cesse en équilibre sur le fil du rasoir.
Évoluer signifie également appréhender le meilleur de son art, ou, à défaut, de son talent. Écouter « C+E », c’est devoir reconnaître que Barlow n’a jamais aussi bien maîtrisé le sien. On souhaiterait tellement entendre plus de merveilles dignes de « Repeat », or, il faut se rendre à l’évidence, cette écriture n’a de beauté que parce qu’elle est unique. En un mot comme en cent, nous vieillirons ensemble.