Retour en arrière : San Fermin avait enchanté l’année 2013 avec un premier disque éblouissant, à l’ambition musicale immense, fort de ses titres mélancoliques et de leurs crescendos puissants, avec son grand orchestre, ses dissonances aussi, qui le faisaient parfois s’affranchir des codes musicaux de la pop traditionnelle pour s’approcher de certains courants de la musique contemporaine. Ce qui finalement n’était pas si étonnant que cela pour l’ancien étudiant en musicologie de Yale qu’est Ellis Ludwig-Leone, tête pensante et unique songwriter du groupe (que nous avions interviewé il y a un an).
Œuvre-puzzle produite par Peter Katis (The National), « Jackrabbit » s’inscrit bien dans la droite ligne de son prédécesseur et nous offre une même succession de titres relativement courts, sans que nous ayons le sentiment d’une machine qui s’enraye ou tourne à vide. Bien sûr, on pourra trouver çà et là quelques facilités stylistiques, bien sûr ce mille-feuille sonore semblera parfois indigeste, mais ces défauts pèsent finalement bien peu au regard de l’ambition dont témoigne ce deuxième disque qui s’avère au fil des écoutes être une belle réussite.
D’entrée « The Woods » offre un parfait résumé de l’art du songwriting de Ludwig-Leone : un climat s’installe avec la voix d’Allen Tate et quelques notes de piano, puis le morceau s’emballe sous une avalanche de cordes et de cuivres. Le morceau titre déploie lui une belle énergie pop, portée par la voix de la novice Charlene Kaye. L’émouvant « Astronaut » se referme par une partie instrumentale de toute beauté. Plus loin « Woman in Red » et le court instrumental « The Cave » s’enchaînent, entre tension et calme, comme c’était déjà souvent le cas sur le premier disque des Américains.
Car en réalité, il faudra attendre la dernière partie de l’album pour que San Fermin nous surprenne quelque peu et étende encore son champ d’exploration musicale, d’un « Reckoning » tout en retenue à l’ambitieux « Parasites » et son talk-over à deux voix, ou sur un « Two Scenes » au finale étourdissant.
L’enfance et ses troubles, les rêves qui se peuplent de visions et d’êtres imaginaires, sont bien quelques-uns des thèmes développés ici, dans des textes le plus souvent suggestifs. La musique de San Fermin, tendue, à la fois savante et incarnée, sujette à toutes les transformations, leur offre un bel écrin et n’a somme toute pas fini de nous émouvoir.