Il était permis de redouter la sortie du deuxième d’album d’Aline. Proclamés surdoués du renouveau de la pop hexagonale en 2012 avec la sortie de leur premier opus « Regarde Le Ciel », les cinq Marseillais flirtaient avec la perfection en additionnant savoir-faire anglo-saxon version The Smiths et poésie désabusée en français. La pression est grande sur cette « Vie Électrique » quand on sait que c’est Stephen Street, producteur des suscités Smiths et de Blur entre autres pointures, qui est aux manettes d’un album enregistré aux studios ICP de Bruxelles.
La peur, balayée au bout de deux ou trois écoutes de l’album, est remplacée par une addiction à ces mélodies imparables, où les mots se font écho, où l’on se sent bercé par les poésies à la mélancolie caressante. Les arpèges smithiens sont bel et bien présents dans des titres enlevés comme « Avenue des Armées » – mise en bouche fracassante où glissent les mots de la guerre, et de la fin d’un monde sous un soleil pâle, sur des étendues de synthétiseurs – ou « Chaque Jour Qui Passe ». Mais les clappements de mains, les claviers et la batterie synthétique qui jalonnent les morceaux inscrivent un peu plus Aline dans un univers de pop eighties à l’écriture évidente et exigeante à la fois. Pour exemple, « Les Résonances Cachées », où une voix basse à la Etienne Daho (Romain Guerret se cantonne désormais à sa tonalité) s’interroge entre deux claps sur le devenir du couple (« Qu’est-ce tu fous avec moi,…? », répété à l’envi), malgré les guitares claires en guise de break chatoyant ; ou encore les faux-semblants groovy des « Angles Morts » abrités par Paname.
Le premier single éponyme extrait de « La Vie Électrique », aussi chaloupé et immédiat que « Je Bois et Puis Je Danse », engage à se déhancher par sa sensualité sournoise. A la fin du morceau, les mesures se répètent sans qu’on veuille les stopper ; Aline vandalise le cœur, et les sens aussi : « Prends bien ton temps, la vue est belle », chante Romain Guerret. Ce sont ces pics culminants, ces trésors nichés au cœur de toutes les chansons d’Aline, ce pourquoi on veut les accompagner jusqu’au bout : le chant parlé sur fond de « ouh-ouh » dans « Avenue Des Armées » ; le ralenti soudain dans la cavalcade sensuelle de « La Vie Électrique » ; la dernière minute d’ »Une Vie », où le morceau s’écoule doucement vers des accords de piano après les tempos élevés de « Tristesse de la Balance » et « Chaque Jour Qui Passe »…
Sorte d’écho aux « Copains » de « Regarde Le Ciel », le quasi-instrumental à la lancinance reggae-dub, « Plus Noir Encore », crée une respiration en cinquième position sur l’album, montrant combien les Marseillais savent se réapproprier n’importe quel style. Il faut tendre l’oreille, suivre ces sinuosités pour explorer un peu plus les bas-fonds de l’âme. Avant de s’exciter sur le brûlot punk « Promis Juré Craché » (« J’arrête tout, plus de pop, j’en ai plein les bottes…il est trop tard pour me pendre, j’ai cassé mes cordes »), Romain se met à la place de la femme qui part dans « Les Mains Vides » (slow 80’s qui a échappé de justesse à l’éviction au moment de l’enregistrement). Acmé de l’écriture sur les attentes, le regret, l’irrésolution, où les mots basculent tels des dominos qui aboutissent tous à la même insatisfaction. Dans la chanson cachée « Mon Dieu, Mes Amis », une déclaration d’amour au démon, Aline fait encore preuve d’une écriture suave, vicieuse, qui donne le tournis. Au terme de plus de cinq minutes brûlantes, l’album s’achève, on se pose, puis on le remet sur l’ouvrage : cette vie électrique, alternative, où l’on met les doigts dans la prise de l’âme, on en veut encore.