De cette Route du rock, c’est surtout un non-concert que tout le monde aura retenu. Si la défection de Björk – remplacée au pied levé par les Anglais de Foals – à dix jours du début du festival aura permis de médiatiser l’événement, les organisateurs s’en seraient bien passé. De fait, il aura sans doute manqué à l’édition 2015 un grand moment œcuménique, transgénérationnel et artistiquement incontestable comme l’Islandaise aurait pu en offrir. Accueillant plusieurs groupes ayant déjà foulé récemment les terres malouines, traversée par une certaine radicalité sonore – tantôt stimulante, tantôt assommante –, cette 25e Route du rock sur terrain à peu près praticable, et à l’organisation améliorée, ne restera peut-être pas parmi les plus marquantes, mais aura offert quelques belles découvertes et confirmations. Compte rendu.
Vendredi 14 août
Pour les chanceux, la Route du rock a commencé jeudi soir à la Nouvelle Vague (Saint-Malo extra muros) avec Sun Kil Moon et The Notwist. Les mieux renseignés ont assisté au même endroit, ce vendredi après-midi, au concert de Forever Pavot, initialement prévu sur la plage de Bon Secours, et déplacé pour cause d’intempéries. Mais pour la plupart des festivaliers, le festival démarre vendredi un peu avant 19 h, au Fort de Saint-Père. Si la plus grande partie du terrain a été drainée, ce n’est pas le cas de l’espace devant la scène des Remparts (placée cette année en face de la grande scène, un progrès). Il ne pleuvra quasiment pas pendant les concerts lors de ces trois jours, mais plusieurs zones s’avéreront particulièrement boueuses ce vendredi. Les habitués ont mis leurs bottes…
Ce sont les quatre Californiens de Wand qui donnent le vrai coup d’envoi de cette 25e édition. Affichant tatouages et air un peu stone de rigueur, ces protégés de l’inévitable Ty Segall livrent un mélange de psychédélisme, garage et prog rock. Les morceaux partent dans tous les sens sans toujours arriver quelque part, ou prennent des détours inattendus : on entendra ainsi à un moment un large extrait de l’épique “The End” des Doors, repris avec respect. Un concert à l’image de beaucoup d’autres cette année : inégal, inconstant, mais offrant quelques moments particulièrement brillants.
On recroise le chanteur de Wand quelques minutes plus tard du côté de la grande scène, mais dans le public, prenant une leçon du Maître. Déjà venu avec Sonic Youth il y a quelques années pour dérouler “Daydream Nation”, Thurston Moore est cette fois-ci accompagné de son Band, où Steve Shelley s’est fait remplacer derrière les fûts. Toujours aussi cool, mais un peu moins nonchalant qu’à une époque, le New-Yorkais enchaîne de longues digressions guitaristiques pour la plupart tirées de son dernier album, le fort bon “The Best Day”. Posté sur la droite de la scène, le svelte quinqua magnétise finalement moins le regard que la bassiste, Deb Googe de My Bloody Valentine, de trois quarts dos, arc-boutée sur son instrument. Une heure à la fois décontractée et intense, programmée peut-être un peu trop tôt dans la soirée.
Malgré toute l’estime qu’on a pour l’hyperactif Ty Segall, on se dit que le concert de Fuzz, trio de rock lourd à visages peints où il n’est que batteur, est l’occasion d’une première pause galette complète (d’autant que les deux autres jours, bizarrement, il n’y aura que la version saucisse, certes délicieuse). Mais certains semblent avoir apprécié.
C’est aussi l’occasion de bien se placer pour Algiers, l’un des nouveaux groupes les plus attendus de cette édition. Augmenté ici d’un batteur (celui de Bloc Party, nous a-t-on dit), le trio originaire d’Atlanta a sorti il y a quelques mois un album mêlant bruit blanc et voix noires, peut-être pas totalement convaincant sur la longueur mais régulièrement impressionnant. On peut en dire autant de leur concert : en s’appuyant sur des ambiances sonores plutôt que sur de véritables mélodies (guitare et basse sont jouées de façon peu conventionnelle), ces déconstructeurs musicaux, autant héritiers du post-punk le plus radical que de Public Enemy, prennent le risque de mettre le public à distance. Heureusement, le groupe possède en la personne de Franklin James Fisher – francophone et féru de French Theory – un chanteur et performer extrêmement charismatique, parvenant à incarner des chansons à la cérébralité affirmée – dans le genre, le bassiste aux airs de psychopathe n’est pas mal non plus. Comme “Blood”, gospel sombre, l’un des morceaux les plus puissants entendus cette année, sur scène comme sur disque.
Si Timber Timbre avait déjà joué il y a quelques années à la Route du rock hiver, à la chapelle Saint-Sauveur, c’est un groupe bien différent que l’on retrouve sur la grande scène. Pas de surprise pour ceux qui les ont déjà vus sur la tournée de l’album “Hot Dreams”, sorti il y a plus d’un an et qui constitue une grande partie de la setlist, mais un quartette encore plus solide, maîtrisant à la perfection son classicisme ténébreux, de “This Low Commotion” à “Curtains!”. Espérons juste qu’on entende quelques nouveaux morceaux la prochaine fois…
Gros contraste avec Girl Band sur la scène des Remparts. Ces quatre jeunes Irlandais apparus en 2012 sont peut-être de charmants garçons dans la vraie vie, mais sur scène ils pratiquent une agression sonore qui les place dans la glorieuse lignée des Stooges, Birthday Party, The Fall, Jesus Lizard ou Liars. Avec leurs chansons post-industrielles soit trop courtes, soit trop longues, leurs clips tarés et malsains, leurs reprises bizarrement choisies (“I Love You” de Beat Happening ou “Why They Hide Their Bodies Under My Garage” du producteur de “terror techno” Blawan, fabuleux en live), ils cultivent une anomalie à la limite du conceptuel. C’est étrangement addictif pour peu qu’on ait le cœur bien accroché et des bouchons dans les oreilles. Un premier album à sortir en septembre (après une succession de singles) montrera si ces valeureux sprinters noise peuvent tenir sur la durée. A part ça, record de jets de gobelets en plastique (non remboursables…) de la part du public.
Autant dire qu’après cette succession de virages en épingles à cheveux, les autoroutes rectilignes des deux Ratatat nous ont inspiré un certain ennui, même si elles étaient plus douces à l’oreille. Jolies vidéos en fond de scène, quand même.
Trop fatigués, on ne verra que le début du set du Français Rone, adepte d’une électro subtile et ouverte à de multiples influences. Le temps quand même d’apercevoir, dans une lumière bleutée, François Marry des Atlas Mountains, venu chanter “Quitter la ville”. Pour notre part, c’est le Fort que nous quittons : il nous reste une tente à monter, à 3 heures du matin, à la lueur des phares.
Cory Hanson – Pale Horse Rider – POPnews
[…] groupe de Los Angeles auteur de cinq albums depuis 2014 (qu’on se souvient toutefois d’avoir vu à la Route du rock en 2015). Et même complètement à côté du premier en solo de leur chanteur Cory Hanson, sorti en 2016 […]