Georgia avait affolé les réseaux sociaux il y a un an avec son premier EP « Come In ». Elle confirme l’essai haut la main avec son premier album éponyme aux rythmiques impressionnantes. Elle se confie pour POPnews sur la genèse de ce premier disque et sur ses ambitions de productrice.
Tu as beaucoup collaboré avec d’autres artistes (Kwes, Juce, Eyedress, Kate Tempest) avant de sortir tes propres disques. Comment se sont créées ces connexions ?
Avant d’envisager une carrière en solo, j’ai joué, tourné avec pas mal d’artistes en tant que batteuse. Le premier que j’ai accompagné sur scène et qui est depuis devenu mon meilleur ami est Kwes. Il a sorti des disques sur Young Turks et sur Warp. Toute une scène vraiment intéressante gravitant autour de ces deux labels, j’ai donc rencontré de nouvelles personnes et des affinités sont nées. Il n’y a eu aucun calcul et pourtant je n’ai joué qu’avec des artistes qui font de la musique que j’adore. J’ai également travaillé dans la boutique Rough Trade de Portobello Road à Londres. Tu n’imagines même pas le nombre d’artistes et de membres de l’industrie du disque que tu rencontres en travaillant là bas. Nous n’étions que quatre à travailler dans cette petite boutique. Les clients venaient spécifiquement pour être conseillés par l’un d’entre nous, tu finis vite par avoir un réseau avec un tel cadre de travail. J’y ai également écouté énormément de disques et ma collection de vinyles est passée de minuscule à relativement conséquente (rires).
Qu’ont apporté ces collaborations à ton album ?
En tant que batteuse, tu es assise en retrait par rapport au reste du groupe et tu peux tout observer. Mais c’est aussi ton job de tenir les fondations d’un morceau en prêtant une oreille à ce que joue le reste du groupe. Être exposée à de la musique électronique pointue ou simplement de la pop avec des artistes aussi talentueux que Kate Tempest ou Alex Taylor d’Hot Chip m’a façonnée. J’ai absorbé tout ce que j’ai pu pour ensuite l’adapter à ma vision de la musique.
Tu as accompagné ces artistes à la batterie, ton instrument de prédilection. Comment t’es venue l’idée de vouloir en apprendre ?
Je ne me souviens pas que ce fût un choix de se focaliser sur cet instrument. Mon père est un musicien également (Paul Barnes de Leftfield ndlr) et dès le plus jeune âge j’ai passé pas mal de temps chez Paul Daley qui jouait avec lui dans son groupe. Il avait une batterie dans son appartement. Alors que j’avais sept ou huit ans il m’a installée derrière celle-ci, m’a donné les baguettes et j’ai réussi à en jouer facilement ! (rires) Étonné, Paul a encouragé mon père à ce que je m’y mette sérieusement car il pensait que j’avais une sorte de don. Mais tout le monde peut arriver à se débrouiller pour en jouer et sortir des rythmes corrects. Par contre, se créer un style très personnel demande énormément de boulot. J’ai travaillé très dur pour y arriver. Que ce soit, seule, à l’école ou dans des groupes, je prends un réel plaisir à jouer depuis le plus jeune âge, sans me poser de questions. J’adore simplement cet instrument.
Avant de commencer à travailler sur ton album, savais-tu précisément comment il devait sonner, ou as-tu laissé une place au hasard et aux expérimentations ?
Un peu des deux en fait. Comme je compose et produit en même temps, j’ai toujours une idée préconçue des chansons. Le fait de travailler avec d’autres artistes pendant l’enregistrement a cassé un peu cette dynamique et a rendu le process un peu confus par moment. L’album, une fois terminé, représente pourtant une vision cohérente qui contient musicalement tout ce qui m’a affecté pendant son écriture. En ce sens, c’est un excellent arrêt sur image d’où j’en étais il y a un an, même à un niveau personnel. Mes états d’esprits et mes influences pendant son élaboration étaient tellement variés, que c’était un réel soulagement de constater qu’une fois assemblé, le disque formait malgré tout un bloc cohérent.
L’aspect rythmique est impressionnant sur l’album. Je pense en particulier au single « Move Systems ». Commences-tu ton processus d’écriture par les rythmes du fait de ta passion pour la batterie ?
Je suis très inspirée par le rythme effectivement. Tu as raison pour “Move Systems”, tout est parti d’un beat très tribal que j’avais en tête après avoir écouté de la musique brésilienne. Pour d’autres titres de l’album, le côté rythmique part plus de sonorités mélodiques au synthé, les beats y sont plus en retrait. Je suis très intéressée par l’aspect répétitif de certains styles car, même sans batterie, le rythme est présent d’une façon très différente. Donc peu importe le morceau, la mélodie arrive toujours en second dans mon processus d’écriture.
Tu as composé l’album sur une période de 2 ans. Etait-ce important pour toi de prendre ton temps ?
Même si j’ai passé pas mal de temps en tournée, il m’aurait de toute façon fallu toute cette période pour finir l’album. J’ai constamment travaillé dessus même quand je n’étais pas à la maison. Il m’a fallu du temps pour prendre confiance en moi et réaliser que mes chansons devaient se retrouver sur l’album. Mais alterner travail à la maison et tourner pour les autres n’a pas été facile non plus. Il faut à chaque fois se réadapter à un style de vie très différent.
Le fait d’avoir un home studio est aussi un avantage pour pouvoir prendre le temps d’arriver au résultat voulu.
Bien entendu, c’est un sacré luxe. Le fait de ne pas avoir eu de contrat avec une maison de disque également. Ce qui n’empêche pas que j’ai travaillé très dur, sans compter mes heures car je voulais trouver un bon label pour me signer. Car il faut aussi que je vive. Les tournées me permettaient d’acheter de l’équipement et de survivre. Mais j’ai dû arrêter un moment pour me concentrer sur le disque, il fallait que je fasse mes preuves pour trouver un bon label.
Je m’attendais justement à te retrouver sur Kaya Kaya qui avait sorti ton premier EP, et te voilà aujourd’hui signée chez Domino !
Cherish et Katy qui ont fondé Kaya Kaya m’ont poussée à me lancer dans une carrière solo. Ce sont de très bonnes amies et je leur dois beaucoup. Mais leur label est une trop petite structure et j’avais besoin d’argent pour boucler le disque. C’était une décision très difficile à prendre, je suis certaine que signer avec Domino est ce qui pouvait m’arriver de mieux.
Tu nous confiais avoir travaillé très dur pendant ces deux années, comment envisages-tu la suite des évènements maintenant que le disque est sorti ?
J’ai été très occupée par la préparation de la sortie du disque ces derniers temps. Je n’ai donc pas passé beaucoup de temps en studio, mais j’ai beaucoup d’idées sur mon ordinateur. J’ai vraiment hâte de voir comment je vais pouvoir les travailler et leur donner une direction inédite. J’étais tellement terrifiée à l’idée de rendre mon disque public après l’avoir porté à bout de bras que j’ai hâte de passer à l’étape suivante. J’ai quelques idées qui sont vraiment cool ! (rires)
Pourquoi avoir repris deux titres de “Come In”, ton premier EP (« Digits » et « Be Ache ») ?
Je ne voulais pas qu’ils soient oubliés car j’en suis très fière. Le premier EP a créé un buzz, mais c’est tout de même resté très underground. Non seulement ces chansons méritent d’être découvertes par plus de monde, mais je trouve qu’elles s’intégraient parfaitement au disque.
Les critiques étaient unanimes pour « Come In » !
Je n’en reviens toujours pas. Grâce à cet excellent retour, je savais que j’étais sur la bonne voie avec l’album, c’était réconfortant.
Tu as composé, joué et produit l’album toute seule, choix qui peut paraître étonnant pour un premier album. Pourquoi cette décision ?
Il n’y a pas eu de décision en fait. Je l’ai fait sans y réfléchir. Au début je me suis dit que moi seule savais vraiment ce que j’avais en tête et comment arriver à le retranscrire. Je m’y suis collée et j’y ai pris un réel plaisir. Que ce soit trafiquer mes synthés, gérer les logiciels, j’ai adoré le processus de A à Z ! Si un producteur ou d’autres musiciens étaient intervenus, l’album serait différent, et c’est tout ce que j’ai cherché à éviter pour mon premier disque. Être seule ne m’a pas vraiment dérangé car en parallèle à l’enregistrement, je tournais pour d’autres artistes. Pendant ces périodes nous étions tous les uns sur les autres, et il était quasi impossible de profiter de ne serait-ce qu’un minimum d’intimité. Me retrouver seule dans mon studio entre les tournées était tellement agréable. J’étais enfin dans un environnement familier où je maîtrisais tout.
Comment as-tu développé tes compétences de productrice de disques ?
En expérimentant sur des logiciels comme Logic. J’ai commencé très jeune car mon père m’avais acheté un magnétophone 4 pistes à cassettes. Sans rien tenter de bien compliqué, j’ai pu m’amuser avec et comprendre comment créer un morceau. C’est vite devenu addictif, car je préférais rester enfermée dans ma chambre à expérimenter avec ce magnéto plutôt que d’aller jouer dehors avec mes copines. Vers l’âge de 16 ans, j’ai dépensé toutes mes économies pour acheter un ordinateur et le logiciel Logic. Tout a commencé à devenir plus sérieux à partir de ce moment précis. J’ai également travaillé dès le plus jeune âge dans des studios d’enregistrement pour gagner de l’argent de poche. Je faisait le thé au début, puis on m’a laissé m’investir un peu plus pour aider en cabine de contrôle. Enfin, mon père passant beaucoup de temps en studio pour ses albums, je passais de temps en temps et j’observais ce qu’il faisait. Tout ce temps, je savais que le travail en studio et la production allaient être mon métier.
Ton album t’ouvrira probablement des portes pour produire d’autres artistes. Est-ce quelque chose qui t‘intéresse ou préfères-tu te focaliser sur ton propre travail ?
C’est marrant que tu me poses cette question car mes amis me disent de plus en plus que j’ai l’oreille d’une productrice et que je devrais songer à tenter l’expérience de travailler pour d’autres artistes. La vérité est que j’adorerais tenter l’expérience et si par miracle cet album pouvait me servir de carte de visite, ce serait génial.
Tes influences paraissent tellement multiples qu’il semble difficile d’en faire le tour. Pourrais-tu nous citer ceux qui t’ont inspirée le plus sur ce disque ?
Principalement Missy Elliott, pour sa productivité, la qualité de sa carrière, le marketing etc. J’ai passé une longue période à n’écouter principalement que sa musique. Avant de commencer à travailler sur l’album, j’ai racheté un coffret en cd avec tous ses albums et ça a bercé la première année d’enregistrement du disque. La qualité de production est telle, que même ses plus vieux albums ne sonnent pas datés. J’ai passé un temps fou à décortiquer ses disques et à en prendre de la graine. C’est une femme forte dans une industrie très masculine et arriver à s’imposer créativement comme elle reste malheureusement rare. C’est un modèle pour moi. Sinon le Yeezus de Kanye, Oneohtrix Point Never et Gesafflestein, Fever Ray et Japan.
Comment les intègres-tu à tes chansons ? J’ai cru comprendre que tu te laisses inspirer de chansons lors de concerts auxquels tu assistes ou bien d’un morceau entendu dans un taxi pour ensuite travailler dessus rapidement dès que tu rentres chez toi ?
Oui, c’est quelque chose que mon père m’a enseigné. Il ne faut jamais s’enfermer dans sa musique. Au contraire il faut tout écouter et en tirer des enseignements, des nouvelles pistes. Je ne connais aucun producteur qui ne passe pas son temps à découvrir de nouveaux artistes.
Tes morceaux sont complexes et catchy à la fois. Est-ce quelque chose que tu apprécies dans ce que tu écoutes à la maison ?
Oui car je n’écoute pratiquement que de la musique pop qui n’hésite pas à s’aventurer en dehors des sentiers battus. Les tout premiers Madonna par exemple. En terme d’arrangements, de sonorités etc, personne ne sonnait comme ça avant elle. Ce n’était pas conventionnel à l’époque. J’aime la complexité, mais j’ai aussi conscience que des gens vont écouter mes disques et qu’il faut qu’ils arrivent à rentrer dans mes chansons. Donc si par moment je semble m’égarer sur certains passages du disque, je les ramène rapidement vers une ligne mélodique derrière.