Loading...
Disques

The Apartments – The Evening visits… and stays for years (Expanded Edition)

The Apartments - The Evening visits... and stays for years (Expanded Edition)
 

Beaucoup de disques captent l’air du temps mais peu savent traverser les années sans rien perdre de leur pouvoir d’attraction. Il en a toujours été de la musique de The Apartments depuis « The Evening visits… and stays for years », chef d’oeuvre inaugural publié il y a tout juste 30 ans et réédité ces jours-ci par l’exigeant label américain Captured Tracks. Comment expliquer en effet que la musique de Peter Milton Walsh ait pu toucher en plein cœur, et particulièrement en France, quelques dizaines ou centaines de personnes, sans que celles-ci ne s’en séparent jamais tout à fait ? Pour certains (dont nous sommes), depuis deux décennies, pas une semaine sans écouter les beautés inaltérables contenues dans ce premier disque ou dans « Drift » (1993), son improbable successeur, alors que le groupe semblait – déjà – avoir disparu corps et âme.

L’art supérieur du songwriting ou les reliefs instrumentaux proprement inouïs dont se parent quelques uns des morceaux les plus mémorables de The Apartments n’expliquent pas tout. D’autres musiciens qui lui sont contemporains ont pu témoigner de ces mêmes qualités et s’éloigner peu à peu de nous, comme Mark Eitzel. En y réfléchissant bien, il y a dans la musique de The Apartments une singularité propre qui touche au plus près. Un équilibre magnifié car précaire, tenant à un fil, entre la violence des sentiments exprimés (des formules, des phrases couperets qui longtemps hantent et reviennent en mémoire, comme « You’re not lost or broken yet » sur « The goodbye train ») et la délicatesse d’une voix, sa fragilité même. Une voix parfois proche du murmure, qui sait aussi se tendre, et même s’emporter dans un tourbillon sans fin (« What’s left on your nerve ? »). Un équilibre miraculeux, tout simplement. Et des chansons parmi les plus précieuses qui soient, qui ont su toucher intimement une poignée d’individus pour ne plus jamais les quitter.

Anachronique forcément aux yeux de beaucoup – tant par son esthétique que par son propos -, la musique de Peter Milton Walsh nous revient et s’en remet donc à nous après 18 années d’un insupportable silence. Un silence forcé par la cruauté du destin – les déboires avec un dernier label et plus encore l’impossible deuil d’un enfant – semblaient avoir scellé définitivement les ambitions musicales du génie australien. L’histoire du rock est ainsi faite, de disparitions brutales en rendez-vous manqués. The Apartments ou l’image d’une comète qui vaudra mille fois mieux que l’essoufflement créatif, les lentes agonies musicales de nombreux groupes. Ce récit collerait assez bien à Peter Walsh, si l’opiniâtreté de quelques fans, la ferveur rencontrée ici lors de ces quelques concerts de 2009 et 2012 ne l’avait pas soutenu et mené vers le chemin tortueux d’un possible retour. Et sans doute les rapports intimes du songwriter (entre la pudeur et les doutes) à l’exposition – même relative – de sa musique ont longtemps différé ce moment tant attendu.

Comment s’exprimer face à l’indicible ? Comment continuer à vivre lorsque l’être aimé n’est plus ? A ces questions existentielles, le nouvel album sorti ce printemps, « No song, no spell, no madrigal », répond d’une manière vibrante. Certains morceaux d’aujourd’hui répondant à distance, à exactement trente ans d’intervalle, avec quelques-unes des compositions de « The Evening… », au détour d’une phrase, d’un mot. La musique de The Apartments a toujours été affaire d’échos, de variations autour des mêmes thèmes : la fatalité, l’errance, la beauté fugitive du monde. Dans l’immense « Twenty One » résonne ainsi l’écho prémonitoire et funèbre d' »All the Birthdays », et reviennent à nous la beauté infinie de ses cordes, l’ivresse des mots de Peter Walsh sur ce titre sublime de « The Evening… » . « Too young for ghosts », chantait déjà l’australien sur « Sunset hotel ». So remember 1985.

« The Evening visits… » apparaît encore aujourd’hui comme un ovni, un disque sans équivalent dans la production qui lui était contemporaine. Histoire de matière sonore, d’atmosphère, que l’on imagine nocturne et fiévreuse. Délesté des tics de l’époque, le disque a traversé le temps malgré ses défauts (dûs à ses conditions d’enregistrement précaires) avec une insolence unique, sa confidentialité n’en apparaissant aujourd’hui que plus cruelle.

S’il est contemporain de « Pacific Street » des Pale Fountains ou de « The Queen is dead » des Smiths, les seuls disques (et autres chefs-d’œuvre) auxquels on aimerait pouvoir le rattacher, c’est davantage par son extrême sensibilité que par ses traits musicaux à proprement parler. Car si l’on peut çà et là y voir quelques références, elles sont bien anachroniques pour l’époque, de Burt Bacharach à Scott Walker. Peter Milton Walsh a bâti les neuf morceaux de l’album après les avoir longtemps mûris, sans réel modèle avoué, en liberté, tourné avant tout vers son propre univers mental. Des premières mesures de « Sunset hotel » au finale échevelé de « The Black road shines », « The Evening… » contient plus de mélodies que pourrait en rêver d’écrire le commun des songwriters en une seule vie. Au premier rang desquelles se trouve « Mr. Somewhere », appuyé par la guitare complice (et sans doute admirative) de Ben Watt, sa doucuer infinie, ses cordes enveloppantes, sa voix si proche. Une chanson à l’intensité intacte trente ans après sa publication, d’une mélancolie sans fond mais animée par le chant de l’Australien, vibrante, lumineuse. Soit le parfait résumé en moins de trois minutes de l’art de Peter Milton Walsh.

On trouve sur « The Evening… » quelques-unes de ces beautés malades, désolées, s’ouvrant sur d’immenses paysages ; parfois brûlantes (le blues éperdu de « Speechless with Tuesday « ), au bord de la rupture (« Cannot tell the days apart » qui semble se raccrocher à une guitare-boussole qui échapperait au contrôle de son auteur, vers plus de lumière).

La réédition de cet album majeur est accompagnée de titres bonus (ou d’un deuxième disque pour la version vinyle), dont le premier EP du groupe datant de 1979 (tendu et adolescent) et des démos de titres de l’album. Soit l’ensemble des enregistrements du groupe jusqu’en 1985. On y retrouve notamment l’incroyable « All you wanted », single orphelin publié en 1984, que l’on rêve encore comme un hit pop parfait. Malgré les échecs et les drames, le temps n’a bien aucune prise sur The Apartments. Replonger dans ses premiers enregistrements s’avère bien l’une des entreprises les plus belles, les plus précieuses du moment.  

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *