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Interviews

Torres – Interview

Déjà remarquée avec son premier album éponyme, l’Américaine Torres franchit aujourd’hui un cap supplémentaire avec la sortie de « Sprinter ». Elle risque de dépasser rapidement le statut de chouchoute des médias en vogue tant ce disque à fleur de peau ne peut laisser indifférent. Elle revient pour POPnews sur la genèse difficile de cet opus très personnel, ainsi que sur les rencontres marquantes lui ayant permis de réaliser ce projet tel qu’elle l’avait en tête.

 

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Le résultat sonne beaucoup plus produit que sur ton disque précédent, avec beaucoup de nuances. Avais-tu un son précis en tête avant le début de l’enregistrement ?

Le son était déjà préconçu avant de rentrer en studio. Par contre il existait uniquement dans ma tête (rire). Rob Ellis (producteur et musicien de PJ Harvey ndlr), le producteur du disque, et moi-même avons travaillé dur pour arriver à retranscrire mes attentes. C’était vraiment étonnant d’entendre ce que j’avais imaginé sortir des enceintes du studio.

 

Le son que tu avais en tête a-t-il été dicté par les paroles que tu avais rédigées ?

Non, la direction musicale de ce disque n’est pas en lien avec les paroles. J’ai abordé ces deux aspects de façon séparée car mes paroles ne nécessitaient pas forcément une production comme tu retrouves sur le disque. Le son est plus une réaction à des découvertes musicales que j’ai faites récemment. Beaucoup de styles de musiques différents. Funkadelic et Brian Eno en font partie par exemple.

Pourquoi avoir choisi d’enregistrer en Angleterre, dans le Dorset et à Bristol ?

C’était plus facile pour travailler avec Rob Ellis que je connais depuis maintenant deux ans. Nous nous sommes rencontrés à Londres et sommes devenus amis depuis. On se parle souvent. Je l’ai contacté l’année dernière quand je cherchais quelqu’un pour m’aider avec le disque. Dès qu’il a accepté, on a commencé à réfléchir aux musiciens qui pourraient jouer avec nous en studio. Il en a parlé à des amis à lui, et il s’est avéré que l’un d’entre eux était Adrian Utley de Portishead. On a tout enregistré à Bridport dans le Dorset. Rob connaissait le couple propriétaire du studio d’enregistrement. C’est une ancienne crèche qu’ils ont réaménagée, et ils nous ont laissés nous en servir gratuitement. C’était plus simple et surtout moins coûteux que j’aille en Angleterre plutôt qu’il se déplace aux Etats-Unis. Tout s’est un peu organisé à la dernière minute avant ma venue et même une fois sur place. Et pourtant le disque sonne exactement comme ce que j’avais en tête, comme s’il y avait eu une intervention divine. Je n’avais aucun budget, aucune crédibilité, et pourtant je me suis retrouvée à travailler avec quelqu’un comme Rob. C’est un homme très demandé et donc très occupé. Pourtant (redite) dès qu’il a eu quelques jours de temps libre, au lieu de se reposer, il m’a contactée pour que je le rejoigne ! Et pour couronner le tout, nous avons rejoint Adrian à Bristol le tout dernier jour de l’enregistrement pour qu’il enregistre ses parties de guitare.

Ta façon d’adapter ta voix à tes textes donne encore plus de puissance à tes chansons. Comment en es-tu venue à cette façon de chanter ?

Le temps passé en cours de musique au lycée a vraiment façonné ma voix. Nous avons interprété des comédies musicales plus ou moins connues. Mais ce qui a tout changé pour moi, c’est quand “Le Fantôme de l’Opéra” de Joel Schumacher est sorti en salle en 2005. Ce film, dont je suis toujours fan, m’a tellement fascinée qu’il m’a poussé a vraiment travailler ma voix. J’ai eu un vrai déclic en le voyant. J’ai également beaucoup plus d’assurance depuis les concerts donnés après la sortie de mon premier disque. Il a fallu que j’adapte ma voix pour qu’elle se fonde le mieux possible au son du groupe en live. Le résultat s’entend sur « Sprinter ».

 

Ton premier album est sorti en janvier 2013. Y-a-t-il une raison particulière justifiant la sortie de « Sprinter » plus de deux ans après ?

Pas vraiment non, car l’album a été achevé il n’y a pas si longtemps que ça. J’ai tourné pendant presque un an avec mon disque précédent. J’ai ensuite passé sept mois à l’écrire et nous l’avons ensuite enregistré. J’avais vraiment eu besoin de tout ce temps pour en arriver à l’album tel qu’il est aujourd’hui. Je n’aurais pas pu travailler plus vite.

Tu as participé à l’enregistrement de “Are We There” de Sharon Van Etten. Les textes de Sharon, comme les tiens, sont très personnels. Ce moment passé en studio avec elle t’a t-il inspirée pour « Sprinter » ?

Oui, je suis une très grosse fan de ce que fait Sharon. C’est une compositrice exceptionnelle. Mais par dessus tout, passer du temps avec elle et observer sa façon de travailler m’a donné une plus grande confiance en moi pour m’affirmer. Elle m’a offert un livre pour mon anniversaire qui m’a beaucoup aidée à un moment ou je n’arrivais plus à écrire. C’est un livre de Ray Bradbury qui s’appelle  “Zen In The Art Of Writing”. Je n’arrivais pas à avancer, j’étais très déçue par moi-même de ne pas arriver à retranscrire ce que j’avais en tête.  Une fois le livre terminé, tout s’est débloqué.

 

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Y a t-il d’autres artistes contemporains que tu admires particulièrement, qui t’ont inspiré ?

Quand on me pose cette question, je réponds toujours St Vincent ou Sharon Van Etten. Je ne suis pas vraiment l’actualité musicale. tu ne me verras jamais lire des blogs musicaux pour savoir quel nouveau groupe est censé être génial. Les seules nouveautés qui arrivent jusqu’à moi sont celles recommandées par un petit cercle d’amis qui connaissent mes goûts.

Le single “Sprinter” parle de ton vécu et de ton ressenti par rapport à la religion . Pourrais-tu nous en dire plus ?

La chanson parle aussi de l’envie de partir de la ville très conservatrice où j’ai grandi. Tu avais une pression importante sur tes épaules car on attendait tout le temps le meilleur de toi. C’est en quelque sorte une chanson sur l’exode mais aussi sur la vraie connexion que tu peux avoir avec Dieu. Pas celle que l’on t’enseigne, mais celle que tu trouves au plus profond de toi-même.  J’espère avoir été claire, j’ai beaucoup de mal à décrire mes chansons car j’y investis beaucoup de moi-même (sourire gêné).

 

Tu te dévoiles beaucoup sur le disque, mais tu parles aussi de l’intimité de tes proches. Je pense notamment à “The Exchange”. Est-ce une nécessité pour toi de te livrer à travers certaines de tes paroles, ou bien est-ce une façon de communiquer avec tes proches de façon détournée ?

C’est vraiment une façon de me dévoiler à mon entourage proche. Je ne sais pas comment te l’expliquer, mais j’ai toujours eu beaucoup de mal à aborder des sujets sérieux avec les gens que j’aime. Il m’est difficile d’exprimer clairement mes pensées, cela me demande du temps. J’ai besoin de digérer tout ce que j’ai en tête pour donner en quelque sorte ma version définitive, comme une déclaration. Mes textes sont les outils qui me permettent d’exprimer tout ce que je ne suis jamais arrivée à dire. Tout ce que je n’ai pas réussi à dire ouvertement lors de conversations avec les gens qui comptent se retrouve dans mes paroles. C’est mon mode de communication.

Y-a-t-il également une part de fiction dans certaines de tes chansons ?

C’est plutôt  un mélange de faits réels et de fiction effectivement. Que tu sois poète, écrivain, compositeur il y a toujours une part d’artisanat dans tes textes. Car quand tu vas chercher des thèmes au plus profond de toi, il faut aussi avoir de l’imagination pour rendre tes pensées attrayantes. J’aime expérimenter avec les métaphores et les sonorités des mots car le côté attrayant de cet exercice me stimule. Les plus grands écrivains arrivent souvent à te donner l’impression qu’ils se livrent entièrement à toi et en même temps le sentiment qu’ils ne t’ont rien dévoilé. C’est ce que j’essaye modestement de faire avec mes paroles.

 

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T’inspires tu parfois de livres ou de nouvelles que tu as aimés au moment de rédiger tes textes ?

Pour « Sprinter », des livres m’ont beaucoup inspiré pour trouver des idées de sons. J’ai lu beaucoup de Ray Bradbury. Presque tout ce que j’ai lu traitait du cosmos, des planètes, d’autres univers. « Sprinter » aurait été un disque complètement différent sans ces lectures, car elles m’ont ouvert l’esprit et poussé à être beaucoup plus imaginative. L’album se devait de sonner cosmique. Pendant l’écriture du disque j’ai aussi découvert les études sur les rêves de Carl Jung. Les rêves m’ont toujours intriguée et fascinée à la fois. Ces sujets ont vraiment occupé une grande part de mon temps libre l’année dernière et même cette année. Je m’endors en pensant aux planètes ou au mysticisme tous les soirs (sourire).

 Pourrais-tu nous dire dans quel contexte les chansons de “Sprinter” ont été composées ?

J’ai composé ce disque pendant une période de transition dans ma vie. Je venais juste de déménager à Brooklyn après avoir vécu à Nashville ou j’ai été diplômée à l’université. Tout s’était tellement bien passé depuis la sortie du premier album jusqu’à la fin de la tournée, qui m’a permis de voyager en Europe pour la première fois, que je me sentais comme sur un nuage. Et soudainement tout cela s’est arrêté et il a fallu que je commence l’écriture du deuxième album dans une ville que je ne connaissais pas. J’ai ressenti comme une pression pour que je me réinvente complètement alors que j’avais une stabilité et une routine à Nashville. Mon moral en a pris un coup car je sentais qu’un nouveau disque et une nouvelle vie à New York, c’était peut être un peu trop à gérer en même temps. Mon moral n’était pas au beau fixe pendant la période d’écriture du disque.

 

Pourrais-tu nous en dire plus sur la superbe pochette de “Sprinter” ou l’on te retrouve de face, la moitié de ton corps sur fond blanc avec une lumière très claire, et l’autre sombre, voilée par une spirale ?

Je voulais avoir une pochette qui était simple et intense. Les deux parties représentent une part mystérieuse et une part où je me dévoile. C’est en quelque sorte le reflet de la personnalité humaine que j’essaye de retranscrire dans mes paroles. De cette façon, on peut l’interpréter comme un côté amour et un côté haine. C’était intéressant d’afficher cette dualité présente dans mes textes sur la pochette du disque de la manière la plus simple possible.

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