Il y a toujours dans la musique de Yann Lafosse, depuis qu’on la connaît, quelque chose de lancinant, comme une voix plaintive qui accompagne son chant : le violoncelle chez feu-Dirge (réécouter l’album posthume « Where (No One Has a Name) ») , ou le violon dans la première version de My North Eye (« Gospel 7 ep »). Entre temps, les compagnons de route se sont évanouis dans la nature et Yann a trouvé un nouvel ami : l’harmonium. Comme on pouvait s’en douter, ça n’égaie pas notre affaire car ce « My North Eye LP », premier long donc, est noir, noir, noir. Noire, la pochette, noirs les textes : c’est un disque de deuil, de solitude, de douleur. Il y a bien quelques tentatives d’éclaircies, une berceuse, « Lullaby », en fin de face A, ou le « Wade in the Water », en ouverture bluesy et graisseuse, braise ardente au milieu des cendres. Partout ailleurs, la plombe, insistante et persistante, comme un drone puisqu’on tourne autour de ça. « Your Pain is like a drone », pièce maîtresse, centre aspirant de l’album ressemble beaucoup à la musique sœur de « Only Lovers Left Alive ». On y retrouve le même côté baladin élisabéthain à la mode contemporaine entre John Dowland et Jozef Van Wissem, le néo-médiévalisme de Nico et forcément, un peu partout, l’ombre tutélaire de Loulou Reed. On pense bien sûr à La Monte Young mais aussi et surtout aux drones de Charlemagne Palestine et on imagine que Yann a certainement traîné ses guêtres dans l’abbatiale Saint Ouen lorsque Charlemagne a joué sur les grandes orgues du vaisseau de pierre quasi désert.
Autre point commun avec le romantique héros de « Only Lovers Left Alive », la volonté de jouer de tout, tout seul (guitares claires et dissonantes, harmonium mais aussi belles et sourdes percussions), d’assumer le poids de la peine seul. Magie de l’instant et preuve de la maîtrise de ses oeuvres, « My North Eye LP » fut enregistré en une seule journée d’avril peut-être pour conserver, ou re-trouver, un peu de fraîcheur dans ces chansons qu’on imagine longuement mûries et lentement fermentées. Le temps est loin où on cherchait encore à se joindre (« You’ve grown away from me » sur « Rebecca ») et on devient plus ronsardien au mitan de la vie (« Nothing Lasts » en conclusion). Rien ne dure, peut-être, si ce n’est un beau disque alors cueillons dès aujourd’hui les (épines des) roses de la vie en LP, CD ou téléchargement légal ici.