C’est un des meilleurs disques parus en 2014 et personne, ou presque, ne le sait. Tant mieux, c’est un petit trésor à garder pour soi, ou à partager avec des personnes choisies. De toute façon, ce disque est clivant comme on dit dans les officines et il est possible que certains de vos amis fassent la fine bouche. C’est vrai qu’il faut être un peu vicelard pour écouter cette pop travaillée au corps dans le genre cochon à la « Avalon » de Roxy Music, et pourtant aussi légère qu’un voile de particules fines sur le ciel bleu-orangé de LA. Ceux qui comme moi vouent un culte à l’imprononçable Nicholas Krgovich et à son projet No Kids (écouter, ré-écouter, lire et relire l’enthousiasmante chronique de « Come into my house » signée David Larre au besoin) ne seront pas étonnés de trouver ce petit chef d’oeuvre. Pop légère, deep soul de blancs-becs, écriture fine : Nicholas Krgovich a tout pour plaire si on aime le misch masch. Imaginez le compatriote et frère d’arme de Dan Bejar dans un registre plus léger, moins capiteux, mais avec les mêmes manies de production (on retrouve d’ailleurs John Collins aux manettes) et la tête plongée pareil dans les golden eighties. Imaginez que Krgovich connaît son Prefab Sprout sur le bout des doigts ainsi que le meilleur groove du r’n’b (écouter sa reprise de « Thinkin ‘Bout You » de Frank Ocean avec Nite Jewel ou Tori Kudo… et préférer celle avec Kudo). Ajouter un soupçon de crooner à la Jens Lekman et l’évidente facilité mélodique et dansante d’Alexis Taylor de Hot Chip. Outre le côté nerd, tendance preppy pour Krgovich, on retrouve le même goût un peu salace pour les ballades sucrées, genre les pianoteries de « Made In The Dark » (j’avais prévenu que c’était clivant). Toujours dans le jeu ressemblance/opposition et du côté col blanc, Krgovich affectionne les choeurs bossés à la Dirty Projectors et c’est donc sans surprise qu’on retrouve l’échappée de Dirty Proj, Amber Coffman en danseuse-aguicheuse de luxe sur le clip de « City Of Light ».
Ce qui nous plaît aussi c’est le côté bon élève de Krgovich qui aurait bossé plusieurs jours rien que que sur le mixage du titre « Along The PCH on Oscar Night » et c’est de la belle ouvrage : piano Glassien, basse roucoulante à tous les étages, claviers et percussions toujours surprenants, ponctuations élégantes de guitares le tout servant avant toute chose un groove impeccable et une construction admirable à la Bed pour une love song parfaite. Et on rêve, puisque ça sent le printemps, d’une tournée commune Bed /Krgovich avec Bed en backing band.
Car c’est un petit coeur d’artichaut Nicholas, dans le genre Lekman : la tête dans les nuages roses et pas fait pour s’apitoyer dans les accords mineurs à faire pleurer dans les chaumières. Ici la mélancolie se love dans des baskets fluo pour chauffer le dancefloor (ces percussions totalement dingues).
Et puis, à quoi ca sert de pleurer lorsqu’on a Los Angeles ? « On Sunset » c’est une histoire d’amour contrariée certes mais surtout avec la ville des anges et ses rêves frelatés : les reflets des piscines au chlore qui piquent les yeux, les manoirs luxueux et sordides.
Avec « On Sunset », on redécouvre l’envers de Los Angeles, un peu comme dans « Sunset Blvd » et on ne s’étonnera pas de voir que l’ami Krgovich a édité un deuxième clip pour « The Black Lot » sur le film de Wilder. Une finesse de plus. On espère que Krgovich ne finira pas flingué dans la piscine des rats d’Hollywood mais soyons sans crainte, il a trop d’humour pour cela.
Si vous tiquez sur les basses un peu show-off, les claviers de « Deux Flics à Miami », le retour des cuivres honnis à la « Kaputt », vous pouvez bénéficier d’une chance au rattrapage avec « On Cahuenga », double d' »On Sunset » interprété par Krgovich, totalement seul au piano électrique Rhodes, enregistré par Phil Elverum (The Microphones, Mount Eerie) et sorti sur Orindal Records par Owen Ashworth de Casiotone For The Painfully Alone : nocturnes idéals pour une nuit d’insomnie.
« On Sunset », incontestablement le disque de l’année 2014 écouté en 2015.