En cette fin de mois de janvier 2015, le chanteur et principal compositeur du combo power-pop Nada Surf, Matthew Caws, passe ses vacances sur la route. Mais en bon hyperactif, le New-Yorkais désormais installé à Cambridge en Angleterre, a décidé d’allier l’utile à l’agréable en programmant une dizaine de dates en France, en Belgique et aux Pays-Bas. Seul au volant de sa voiture et armé d’une guitare acoustique au trémolo maladif (elle a besoin d’une bonne réparation, mais permettra de donner une saveur particulière au solo de « Zen Brain »), le sieur Caws interprète dans des salles à taille humaine des titres du répertoire de Nada Surf devant un public impatient de retrouver le groupe sur disque.
Matthew l’annonce dès le deuxième morceau dans son français impeccable, « Nada Surf est en bonne santé » et prépare un nouveau disque pour 2015 avant de revenir tourner un peu partout. Nous voilà rassurés sur cette tournée en solitaire organisée non pas pour signaler « un changement de carrière » mais comme un moyen pour Matthew de s’occuper (« j’aime travailler, chanter et jouer de la guitare : c’est ce que je préfère le plus au monde ! » dit-il) et de gagner un peu d’argent. Même si cela paraissait simple, cette tournée a mis environ un an à être montée et intervient « après un break, une longue année de congés au bout de 20 ans, et longtemps après la dernière tournée française de Nada Surf. J’habite en Angleterre, la France est juste à côté, alors pourquoi pas tourner en France ? », annonce-t-il dans un sourire. Forcément, tourner en groupe ou en solo présente quelques différences. En solo, « il y a plus de place laissée à l’improvisation : si je veux arrêter la chanson en plein milieu, il n’y a pas d’autres musiciens à surprendre ou à décevoir, il n’y a que moi. En plus, je m’entends plus facilement chanter en acoustique, alors que, dans le boucan que fait Nada Surf, et même si j’adore jouer fort, je dois pousser et je ne suis pas naturellement hurleur ». Matthew estime avoir besoin des deux situations : « J’ai lu un ou deux articles cette année sur le fait d’être introverti et extraverti en même temps, et je crois que je suis les deux : il me faut une vie sociale, j’adore être entouré de gens, mais il me faut être seul aussi. Je suis naturellement très timide mais j’adore être devant un public, surtout en vieillissant, après toutes ces années de concerts. Mais j’ai encore horriblement peur de faire un discours en tant que témoin dans un mariage ! ».
On a du mal à croire celui qui semble être un orateur né sur scène quand il raconte avec aisance des anecdotes à propos des morceaux : la fragilité de la vie ressentie lors de la visite d’un ossuaire à Rome qui lui a inspiré le titre « See These Bones » ou le bruit du vent acheté pour 1,99 € sur Internet qui servira de toile de fond à l’interprétation d’un morceau de Minor Alps, son projet parallèle avec Juliana Hatfield. Aimant le contact humain, il passe plus d’une heure et demie à signer des autographes et discuter avec ses fans après le concert. « Je sais que tout dépend des fans, tout se fait grâce à eux. Je connais beaucoup de musiciens à New York qui n’ont pas de carrière dans la musique, et qui pourtant sont incroyablement doués. Donc je vois bien qu’on a de la chance : c’est peut-être un petit peu de bol, un petit peu d’ambition… Et puis pour la France, le fait de parler français et que Fun Radio ait choisi « Popular » comme pub, a aidé. Je crois aussi que « Popular » a été reçue comme une chanson pour les outsiders, et qu’elle a touché des gens un peu à part : j’ai donc beaucoup d’affection pour les fans et j’aime les rencontrer. Car je suis un entertainer et tout ce que je veux c’est faire plaisir aux gens, faire tomber les murs. Il y a toujours un peu de mystère de toute façon, car je suis beaucoup plus compliqué et négatif que ce que je montre au public. Mais je veux donner cette image positive car c’est ce que je veux recevoir aussi. Par exemple notre chanson « Always Love », je l’ai écrite sous la forme d’une lettre adressée à moi dans le futur. C’était un beau jour de printemps à New-York, tellement beau que c’en était à pleurer. J’avais à ce moment-là des problèmes personnels, je vivais une situation difficile avec quelqu’un, mais je me suis dit : « Pourquoi pas essayer d’aimer ? Pourquoi pas arrêter de se disputer ? ».
Des réflexions salutaires sur les choses simples, et une tendance à l’analyse sans doute héritée de sa mère, professeur de littérature comparée, et de son père, philosophe, dont il récitera avec fierté un texte sur la place qu’occupe l’homme dans l’univers, retrouvé parmi de vieux papiers. Matthew confie entre deux morceaux qu’on garde toujours en soi l’illusion de vivre un jour une journée parfaite, sans jamais pouvoir l’atteindre : à quoi ressemblerait donc la journée idéale du chanteur de Nada Surf ?
« Je serais à New York pour cette journée parfaite. Je me lèverais tôt après une bonne nuit de sommeil, puis je méditerais pour me débarrasser des pensées négatives ; je ferais un jogging et un bon petit déjeuner avec des œufs brouillés et du café ; ensuite je traiterais TOUT mon courrier, et je ferais de la musique ou écrirais, par exemple mes mémoires : je crois que tout le monde a une vie qui vaut d’écrire ses mémoires. Je ferais du ménage aussi, et regarderais un film ou lirais un livre. L’après-midi, je visiterais une galerie ou un musée pour avoir une stimulation extérieure, puis je ferais une longue balade et dînerais avec des amis que je n’ai pas vus depuis longtemps. Mais si c’était une journée avec mon fils, alors on efface tout, et je ne ferais que jouer avec lui ! «
Et ce nouvel album de Nada Surf en devenir, à quoi ressemblera-t-il ? « Il y a deux ou trois chansons qui ressemblent beaucoup à notre premier disque, « High/Low ». Je ne peux pas dire que c’est notre meilleur, mais je crois qu’il est très varié. « Friend Hospital », un nouveau morceau que j’ai joué ce soir, me fait penser à du Neil Young : il a un tempo ni trop lent, ni trop rapide, ce que je n’ai jamais réussi à faire avant. » Concernant l’inspiration, « j’écris plus quand je suis à Brooklyn, car j’ai vraiment la paix. Je vis dans un appartement qui a servi de studio de répétition pendant trente ans au groupe They Might Be Giants, qui me l’a refilé ; quand je me suis installé, j’ai dit à ma propriétaire qui habite juste au-dessus que j’essaierais de ne pas faire de bruit. Et elle m’a dit « Ah non, non, tu fais tout le bruit que tu veux : cela fait vingt ans qu’on me joue des sérénades ! » Je préfère donc quand elle est là car je sais que je joue pour quelqu’un. »
Et l’inspiration pour les paroles ? « Je la trouve dans la manière dont je me sens, selon le jour, la semaine ou l’année où je me trouve. C’est assez égoïste : ça me déprime car je préfèrerais écrire sur autre chose, mais je n’y arrive qu’en me forçant, par exemple sur « No Snow on the Mountain », une chanson sur le climat, ou « Mother’s Day », qui traite d’un sujet de société. J’ai commencé un morceau qui ne sera pas terminé pour le nouveau disque mais où j’essaie de lister des sujets de société et de consacrer un couplet à chacun, ce qui est très difficile. Mais c’est un peu ce que l’on vit aujourd’hui, avec Netflix ou YouTube, où on a accès à n’importe quel moment à tous les documentaires et à toute l’information que l’on veut : d’un côté c’est super, mais c’est aussi accablant. »
En tournée en France, Matthew doit expliquer aux néophytes la raison pour laquelle il parle français comme Jodie Foster (ses séjours répétés en Provence et à Paris pendant son enfance et son cursus au lycée français de New York): il dit avoir ce pays et cette langue dans le sang. Alors, quelles sont les madeleines de Proust françaises de Matthew Caws ? « Les pantalons pattes d’eph de mes profs en 72 à Paris ; le parfum du lilas quand on faisait un détour par le marché aux fleurs pour rentrer à la maison ; et le goûter pendant la colonie de vacances à Cabourg, fait d’un tiers de baguette avec du chocolat à l’intérieur : je suis sûr que ça ferait un carton dans les stands à hot-dogs au coin des rues de New York ! »