Cinq ans après « Who We Touch », disque mineur dans sa discographie, les Charlatans effectuent leur retour avec « Modern Nature », l’un des meilleurs albums de leur carrière. L’occasion pour nous de rencontrer leur infatigable leader Tim Burgess pour en savoir plus sur la genèse de ce disque.
Comment avez vous abordé son enregistrement suite au décès de John Brookes ? Vous a-t-il fallu du temps avant de parvenir à quelque chose de satisfaisant ?
Nous avions commencé à composer avant le décès de John, mais nous n’étions pas du tout satisfaits du résultat. On a alors tenté une approche différente d’écriture. On s’est tous installés autour d’une table avec un micro au milieu. Nous proposions tous des idées jusqu’à ce qu’une d’entre elle satisfasse tout le monde. Le premier morceau que nous avons réussi à terminer en procédant de cette façon est « Keeping Up ». Nous avons rapidement voulu l’enregistrer. J’ai commencé à enregistrer un loop sur ma guitare, Mark s’est mis à la batterie et tout s’est enchaîné très vite. Une fois le titre achevé nous nous sommes sentis libérés d’un énorme poids. Nous avions tous vécu des choses tellement différentes pendant les 5 années précédentes que nous ne savions pas si nous étions encore capables de cohésion. Notre seul point commun était la lourde épreuve de la maladie de John (John Brookes, batteur du groupe décédé en 2010 d’une tumeur au cerveau). Il souhaitait vraiment s’investir dans ce nouvel album. Sa maladie le diminuait tellement physiquement qu’il n’y arrivait pas. C’était difficile de le voir dans cet état. Au-delà de l’énorme tristesse liée à son décès, on s’est tous sentis soulagés pour lui. Sa famille que nous avions accompagnée dans cette épreuve l’a également été. Les morceaux ayant été enregistrés par la suite l’ont été avec John présent en permanence dans nos esprits. Nous étions tous tellement contents une fois l’album terminé, car rien ne nous garantissait d’y arriver. Nous l’avons fait pour lui.
Je trouve que l’album demande plusieurs écoutes avant de dévoiler toutes ses richesses, même sur un titre comme « So Oh » qui sonne pourtant très accessible dès la première écoute.
C’est étrange ce que tu dis car on nous l’a pas mal répété pendant l’enregistrement du disque et depuis sa sortie. Pourtant pour moi c’est un album vraiment facile à écouter, particulièrement « So Oh » et « Come Home Baby » qui sont les chansons les plus accessibles que nous ayons composé depuis très longtemps. Mais j’aime cette idée car lorsqu’un album me fait cet effet, c’est souvent un disque que je vais écouter pendant de nombreuses années. Mais je connais l’album si bien qu’il est vraiment difficile pour moi de te répondre ! (rires)
« Modern Nature » sonne très aéré, vous laissez le temps aux chansons de s’installer. Y avait-il volonté d’aller à l’essentiel ?
Je suis d’accord avec ce que tu dis. Le son est très aéré. C’est ce qui fait le charme du disque. Mais il n’y avait pas vraiment de volonté d’aller à l’essentiel. On était dans le studio d’enregistrement emmitouflés dans nos blousons car il faisait très froid et on s’est juste dit : « Ces cinq dernières années ont été dingues ». Certains ont divorcé, d’autres sont devenus parents, j’ai enregistré un album solo, écrit un livre, mais, comme je te l’ai déjà dit, nous avions surtout perdu John. Le son du disque est probablement une réaction à tout ça. Mais tout s’est fait de façon naturelle, sans se prendre la tête. Cela faisait bien longtemps que ça ne nous était pas arrivé.
Suite à ce tragique accident, était-ce un choix délibéré d’enregistrer avec des figures familières (Stephen Morris, Gabriel Gurnsey et Pete Salisbury à la batterie, Jim Spencer à la production) ?
Pas vraiment non. Nous n’avions pas de maison de disque quand nous avons commencé l’album. On a donc tout auto financé. Heureusement, nous sommes propriétaires de notre studio et n’avons pas eu à débourser un centime pour ça. Pete Salisbury est un ami car il a déjà tourné avec nous. Jim Spencer est un si bon producteur qu’il était difficile de ne pas faire appel à lui. Gabriel de Factory Floor est mon ancien co-locataire. On a laissé Factory Floor se servir gratuitement du studio en échange de sa participation à l’album. Comme tu vois tout a été fait avec un budget très serré, c’est pour cette raison que nous avons travaillé entre amis. Ce n’est qu’une fois que notre manageuse a entendu quelques morceaux que les choses ont changé. Elle a commencé à démarcher des maisons de disques et c’est comme ça que nous avons signé avec BMG. Après cette signature, d’autres personnes comme Craig Silvey et Eduardo De La Paz Canel ont collaborés au disque pour son mixage à Londres.
Des sonorités 70’s dominent le disque avec des influences soul et disco. Est ce le reflet de ce que vous écoutiez au moment de l’enregistrement ?
De mon côté j’écoute beaucoup de styles de musique. C’est plus Martin, notre bassiste, qui écoute pas mal de soul et qui a apporté cette touche à « Modern Nature ». Mais ce n’était pas la ligne directrice de l’album. Car vouloir que ton disque sonne soul est une chose, mais y arriver et être convainquant en est une autre. Ça demande beaucoup de travail. Cette dimension soul et disco s’entend clairement, mais il y a aussi beaucoup d’autres influences qui ressortent car chacun apportait ses idées et nous écoutons tous des choses différentes. Nos points communs pendant l’enregistrement étaient des albums de William Oneabor et d’Eddie Callahan, un musicien californien des années 70. On aime bien s’assoir tous ensemble et se faire découvrir mutuellement nos morceaux préférés. Nos compositions s’enrichissent de ces découvertes communes. Mais en dehors de ça, j’achète beaucoup de disques à Picadilly Records (disquaire mythique de Manchester ndlr). Pas mal de punk des 70’s, de la new wave des 80´s mais aussi beaucoup d’autre choses. J’écoute de la musique en permanence.
« Talking in Tones » qui ouvre l’album et premier single qui en est extrait est le morceau qui se démarque le plus de l’album. N’avez-vous pas souhaité explorer plus ce type de chansons aux sonorités electroniques ?
On s’est vraiment sentis perdu sans John. On ne savait pas trop comment aborder la rythmique de « Talking in Tones ». On a donc demandé aux membres de Factory Floor de venir nous donner un coup de main sur ce titre. Il ont fait un superbe travail de production, même s’ils ne sont pas crédités. Mais bon, je ne suis pas crédité non plus quand je bosse sur leurs disques ! Disons que nous nous rendons des services mutuellement (rires). Bref c’est la raison pour laquelle ce titre sonne différemment des autres.
Pourquoi le choix de Sean O’Hagan pour les arrangements des cordes ? Êtes vous des fans des High Llamas ?
Oui bien sûr, surtout de leurs deux derniers disques (Can Cladders er Talahi Way ndlr). Je suis allé les voir en concert en 2010 et je me suis présenté à Sean O’Hagan à la fin du concert. Suite à ça il a fait quelques arrangements de cordes sur mon album solo. J’ai adoré le résultat, il est si talentueux. Mon album solo a été enregistré à Nashville et quand des grosses pointures de là bas ont écouté son travail, ils sont restés bouche bée. En plus de ça il est passionnant. Il pourrait passer des jours entiers à vous raconter des histoires sur les Beach Boys.
Vous avez enregistré l’album dans deux studios dans la région de Manchester. N’avez-vous pas eu envie d’aller l’enregistrer ailleurs pour se libérer du poids de la perte de John ?
Au contraire ça nous faisait du bien car on sentait sa présence parmi nous. Sa batterie fait toujours partie des instruments du studio. Elle n’a pas changé de place et a été utilisée sur tous les morceaux du disque.
Une grande partie du charme du disque vient du fait que, même si une certaine ambiance soul domine, il y a différents styles de chansons abordés qui sonnent à la fois très neufs et très Charlatans. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Par le passé, nous avons souvent cherché à nous éloigner de notre son « classique », que ce soit avec des remixes ou en explorant de nouvelles directions. Pour « Modern Nature », nous nous sommes dit que nous ne voulions absolument pas procéder de cette manière. Il a fait si froid pendant l’enregistrement de l’album que son côté californien s’inscrit également en réaction à la météo déprimante. Nous avions tous les éléments réunis pour nous inciter à enregistrer un album plus sombre et c’est pourtant l’inverse qui s’est produit. Certains morceaux dénotent car nous avons utilisé plus d’accords majeurs que mineurs pour apporter plus de chaleur aux chansons. On cherchait à garder un esprit positif et à rester détendus. Ce sont ces éléments qui font que, sans aucun calcul, « Modern Nature » sonne différemment.
La voix et la façon de placer ton chant sont assez extraordinaires. Elle semble être au service des chansons et y est pour beaucoup dans toutes les nuances apportées à “Modern Nature”. Est-ce quelque chose que vous avez beaucoup travaillé ?
(Flatté) J’ai beaucoup travaillé sur ma voix avec Nik de Factory Floor. Grace à elle, pour la première fois de ma carrière il y avait quelqu’un de présent pour m’aider pendant l’enregistrement de ma voix. Ça m’a beaucoup aidé. Chanter des chansons à ma petite fille a également été d’une grande inspiration pour placer ma voix sur les nouveaux titres. Ma femme et ma fille ont passé toute la durée de l’enregistrement à nos côtés, je pense que ça a aidé. La vie en studio était comparable à une vie en communauté avec nos amis et nos familles. Je trouve que ça s’entend vraiment sur le disque et c’est peut être aussi pour ça que tu trouves que ma voix sonne différemment.
Elle me rappelle l’approche de ton dernier album solo, réalisé avec Kurt Wagner de Lambchop. Ce disque a t-il eu une incidence sur ton approche du chant ?
Ça a été très intéressant de travailler avec Kurt. On parlait énormément autour d’un café le matin, puis je retournais dans ma chambre d’hôtel pour composer à la guitare acoustique et écrire quelques paroles. Je lui présentais ensuite mes chansons avec des parties vocales approximatives. Il retravaillait tout, coupait des parties de mes paroles, les collait aux siennes. Je le considère comme un parolier exceptionnel. Il apporte une grande importance au phrasé. J’avais donc une grande pression sur les épaules lorsque nous avons commencé « Human Nature ». Je me suis demandé comment j’allais pouvoir faire aussi bien sans Kurt. Ça m’a permis de me bousculer pour faire aussi bien.
Vous vous retrouvez à nouveau signé chez une major (BMG), aviez vous envisagé de sortir ce disque par vos propres moyens avant cela ?
Oui c’était une des possibilités envisagées. Nous avons finalement choisi de signer chez BMG et je ne le regrette absolument pas.
Tim, lorsque je t’ai demandé ton top 5 des albums de 2014, tes choix se sont portés vers des albums qui demandent un minimum d’effort d’écoute (Scott Walker & Sunn O)))…). Quelle place occupe la Pop Music actuelle dans ta vie ?
J’adore Scott Walker. Ses albums sont magnifiques. Il apporte la plus grande importance au moindre détail dans ses albums, c’est incroyable. « Tilt » sera toujours mon préféré dans sa discographie. Plus récemment j’ai adoré « Pom Pom » d’Ariel Pink. Il faut au moins une dizaine d’écoutes pour arriver à rentrer dedans. Mais à l’arrivée c’est un grand disque de pop. Mes amis ne comprennent pas, ils considèrent certains des morceaux comme stupides. Mais j’adore ses chansons stupides ! (Rires)