Enregistré il y a tout juste vingt ans et paru quelques mois plus tard, “The Blue Moods of Spain” fut l’une des bandes-son engourdies de notre jeunesse (elle-même assez engourdie), avec les albums de Lambchop ou des Tindersticks parus à la même époque. Justement, quelques semaines après les concerts de Kurt Wagner et de ses acolytes à Paris et Massy (l’occasion d’interviewer l’Américain), et deux jours après le passage de Stuart Staples et sa bande à la pas tout à fait terminée Philharmonie, c’est le groupe de Josh Haden – dont il est le seul membre d’origine – qui faisait étape en France, dans une salle nettement plus modeste : Petit Bain, correctement rempli.
Autrefois quartette, Spain se présente aujourd’hui en trio : Josh (qui n’a pas tellement changé depuis les débuts du groupe) à droite à la basse, l’unique guitariste (physiquement, une sorte de mélange entre Robert Charlebois, Lyle Lovett et l’acteur John C. Reilly) à gauche, le batteur derrière (un ex-Parisien visiblement, qui entre deux morceaux lancera une phrase du genre « Il fait pas froid à Paris, en fait » dans un Français quasiment sans accent, créant un amusant effet de surprise). Une formation compétente même si elle ne peut faire oublier la “dream team” période “Blue Moods” (Josh Haden, Ken Boudakian, Merlo Podlewski, Evan Hartzell). Le groupe a sorti l’an dernier un cinquième album de bonne facture, “Sargent Place”, le second depuis son discret come-back à la fin des années 2000, et en joue l’essentiel.
Même si l’on regrette par moments l’absence d’un deuxième guitariste qui aurait apporté plus d’ampleur, le charme opère toujours : le jeu de basse minimaliste et la voix posée de Josh Haden confèrent à la musique un calme olympien, que rompent de temps en temps un solo de six-cordes légèrement saturé ou un titre plus uptempo (“Sunday Morning”, qui n’est pas une reprise du Velvet, ou “Miracle Man” tiré de l’album précédent). Le blues-rock pépère n’est parfois pas très loin, voire le blues tout court (“From the Dust”), mais même sur les morceaux pouvant sembler un peu conventionnels, le groupe parvient à captiver et à imposer une patte sonore unique.
Comme on pouvait s’y attendre, le premier album est bien représenté, avec cinq extraits. Ils constitueront les sommets du concert, superbes moments de grâce, d’hypnose collective et de recueillement. “Ten Nights”, “Ray of Light”, “Untitled #1”, aussi magnifiquement chantés que sur disque, l’incarnation en plus, dégagent toujours la même magie. Pour “Spiritual”, au premier rappel, le guitariste passe au ukulélé (ou à la guitare petit format), choix a priori surprenant mais qui convient parfaitement au dépouillement de ce gospel blanc, repris par Johnny Cash sur l’un de ses derniers albums.
Toujours généreux de son temps, le groupe reviendra pour un second rappel, une version raccourcie du long et complexe “World of Blue”. Avant de quitter la scène, le chanteur, la gentillesse et la simplicité incarnées, remerciera chaleureusement son fidèle public parisien et l’immortalisera avec son smartphone – pour sa femme, et pour la page Facebook bien tenue du groupe. On regrettera éventuellement l’absence de quelques “personal favourites” comme “Dreaming of Love”, “Before It All Went Wrong” ou “She Haunts My Dreams”, mais pour le reste, Spain nous aura une fois encore comblés par son élégance et sa finesse musicale.
Malheureusement, l’heure tardive (c’est bien, Petit Bain, mais c’est long pour rentrer après…) ne nous permettra pas de discuter avec Josh, toujours aussi souriant et accessible derrière la table de merch. On profite donc de ce compte rendu pour lui dire merci pour tout – et qu’il revienne vite nous voir.