Loading...
Disques

Sharon Van Etten – Are We There

Sharon Van Etten - Are We There

Même s’il s’agissait déjà de son troisième disque, nous sommes nombreux à avoir découvert Sharon Van Etten début 2012 avec l’album “Tramp”. Sous un austère portrait en noir et blanc, hommage à la pochette de “Fear” de son héros John Cale, la jeune Américaine exposait en douze morceaux à forte teneur autobiographique ses fêlures et blessures. Inconfortable mais impressionnant de bout en bout, “Tramp”, entre indie rock rugueux et folk céleste, révélait surtout une voix exceptionnelle, de celles qui serrent la gorge et embuent l’œil.

Si l’album reçut un bon accueil critique et connut un assez beau succès, notamment outre-Atlantique, son prestigieux casting d’amis (Aaron Dessner de The National à la production, son frère Bryce, Zach Condon de Beirut, Julianna Barwick, Jenn Wasner de Wye Oak, Matt Barrick des Walkmen, Thomas Bartlett…) fit un peu d’ombre à son auteur. D’où sans doute la décision de la chanteuse de prendre les commandes sur “Are We There” (avec l’aide de Stewart Lerman) et de partir dans de nouvelles directions. Comme le suggère la belle photo de pochette, Sharon Van Etten a laissé entrer de l’air et de la lumière dans sa musique un peu trop claustrophobe parfois, sans oublier de bien s’entourer une fois de plus (Adam Granduciel et David Hartley de The War on Drugs, Jonathan Meiburg de Shearwater, Peter Broderick et sa sœur Heather Woods Broderick, Jana Hunter de Lower Dens…) et de faire état de goûts très sûrs dans les notes de pochette (partageuse, elle nous recommande d’écouter une bonne cinquantaine d’artistes, dont Pylon, She Keeps Bees, Bettie Serveert, The Clean, Ed Kuepper et les Go-Betweens). Le résultat, absolument magnifique, révèle une artiste en pleine possession de ses moyens, et qu’on sent de plus en plus confiante et épanouie.

Avec “Afraid of Nothing”, titre à combustion lente où le chant se déploie de façon majestueuse, la barre est d’emblée placée très haut. Le single “Taking Chances” tente ensuite une incursion réussie dans un son plus mainstream, plus produit, “smooth” dirait-on, avec l’utilisation très fine d’une boîte à rythmes qu’on retrouve un peu plus loin dans “Our Love” et “Break Me”. Si les textes charrient toujours leur lot de souffrances – et un peu d’espoir, aussi –, la musique s’autorise des ambiances plus laid-back (“Nothing Will Change” ou le cuivré “Tarifa”, qui rappellent le meilleur de Joan As Police Woman). “Every Time the Sun Comes Up”, morceau au son plus brut sur lequel tout le monde chante à l’unisson, clôt idéalement l’affaire dans un étrange mélange de rage et de décontraction – ou plutôt d’abandon. Entre-temps, “Are We There” aura offert quelques grands frissons  : les très dépouillés, personnels et bouleversants “I Love You But I’m Lost” et “I Know”, ainsi que l’épique “Your Love Is Killing Me” (à 6’18’’, le morceau le plus long du disque), dissection douloureuse d’une relation toxique («  Break my legs so I won’t walk to you/Cut my tongue so I can’t talk to you/Burn my skin so I can’t feel you/Stab my eyes so I can’t see you  »).

Quand nous (1) lui avons demandé (après son concert à la Maroquinerie, à Paris, il y a quelques semaines) si elle n’avait pas eu envie de jouer elle-même dans le clip réalisé par Sean Durkin pour ce morceau, à la place de la comédienne suisse Carla Juri, Sharon nous a répondu qu’elle avait pris plaisir à assister au tournage, mais qu’elle n’était pas actrice. On serait tenté de comprendre sa phrase dans un sens plus large  : la New-Yorkaise ne triche pas, ne joue pas un rôle, ne met pas de distance entre elle et ce qu’elle chante. Des mots souvent à vif, comme on le dit des plaies, sur lesquelles la musique passe un baume apaisant. Sharon Van Etten a trouvé sa voie, et nul doute qu’elle la mènera encore vers d’autres sommets.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *