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Disques

Scott Walker + Sunn O))) – Soused

Scott Walker - Soused

La chimère est devenue réalité. Dans un monde épris de combinaisons hasardeuses, de freakshow permanent, les accouplements contre-nature se multiplient. Après le monstre « Lulu » né de la rencontre improbable de Lou Reed et de Metallica sous le saint patronage de Berg qui n’avait rien demandé, Scott Walker, certainement stimulé par l’esprit de compétition ou de franche rigolade, convie les métallurgistes de Sunn O))) pour une rencontre au sommet inversé des sept cercles infernaux dantesques. C’est vrai que quand on a appris la nouvelle, on était partagé entre le rire et l’excitation car au concours de Grand Guignol nos participants se posent un peu en champions du monde incontestés, soit les ténors du drone métal le plus noir et le baryton white de la pop raffinée.

On imaginait Scott en toge noire, la voix cassée, essayant de surnager au-dessus d’un magma en fusion. Au contraire, ce sont les Sunn O))) qui sont tenus en respect par la maestria de la Diva : plus qu’un disque de collaboration, on a finalement entre les mains un disque de Scott Walker avec en backing band de luxe, ou plutôt en producteurs artisans arty de drones, Sunn O))). On est bien loin du mishmash fourre tout et grandiloquent de « Bish Bosch » et on retrouve un peu l’ascétisme de « The Drift », encore plus accentué. « Soused » est plein de vide(s), de petites délicatesses électroniques (accidents numériques en guise de percussions, vibrations créées à partir de samples de CD sautants, bref toute la gamme de chez Touch et Mego Editions), de silence parfois (« Fetish » plein d’absences signifiantes). Scott quitte même momentanément ses compositions pour les laisser entre les mains des larsens ou d’autres voix (« Bull », percutant). Ceux qui cherchent (encore ? toujours ?) des poux dans les cheveux permanentés de Scott depuis « Climate of the hunter » seront ravis de trouver de nouveaux motifs de plaintes et d’accusation d’élitisme ou de foutage de gueule voire des deux. Alors, oui, il chante en latin sur « Herod 2014 » (« custodiunt migremus » et caetera), oui, on retrouve des cuivres couinant comme des trompes archaïques (on pense souvent au Pasolini des relectures mythiques, notamment celui de « Médée »), oui, il y a des coups de fouet à taureau sur « Brando » qui valent bien les sabres de « Bish Bosch » et la viande frappée de « The Drift ». On y retrouve d’ailleurs des motifs de masochisme de plus en plus présents, ou de moins en moins masqués. Victime de l’année, après Mussolini sur « The Drift » et Ceausescu sur « Bish Bosch » : Brando, héros immortel, incarnant, a priori, la force virile brute mais, comme le souligne Scott Walker, toujours un peu ambigu (voir ou revoir « Reflets dans un œil d’or » de Huston) et surtout collectionnant les rôles de bête humaine qui se fait battre. L’Artiste comme martyr consentant pour la cause de l’art, encaissant les coups, ça nous rappelle quelque chose (« Cossacks Are » sur « The Drift ») et même si c’est bien fait et toujours pertinent, ça sent un peu la redite. La production de Peter Walsh, au grand oeuvre depuis « Tilt », est littéralement énorme : les bruits, l’équilibre entre la voix (trafiquée ou non de Scottie) et les drones de malades, les échos, tout est magnifique mais là où l’électronique était étonnante et inouïe dans « Tilt » et « The Drift », proprement à l’avant garde à l’époque, ici rien de neuf. Walker et Walsh ne sont évidemment nullement à blâmer, la scène électro stagne du fait de la technique (on pourrait parler longuement de Fennesz) mais lorsque Walker chante « Keep Movin’ On » (sur « Bull »), on doute un peu et on trouve le taureau bien abruti sous les coups de banderilles.

Reste que « Soused » est proprement jouissif dans l’équilibre noir. Pour preuve, le final « Lullaby », sur la troisième et dernière face, entre silence, rythmique électronique sautillante avec un Scott chantant, susurrant, criant d’une voix presque blanche (« keep movin’ on » pour le coup), pleine d’écho, le tout sur un drone sourd, lourd comme une bûche, quelquefois parsemé de craquements électro. C’est du grand art. Celui qui fait peur. On est en revanche un peu moins convaincu par les riffs de guitares lead un peu hardos craignos sur les bords (sur ce même « Lullaby » mais aussi et surtout sur « Brando »), mais on imagine qu’un peu de mauvais goût n’est pas pour déplaire dans tout cet agencement délicat (à l’image de l’ouverture pochade de « Brando », entre lyrisme hard FM Scorpionesque et jeu de massacre du passé glorieux de Scott).

Scott est, bien entendu, au top pour ceux qui aiment se lover dans cette voix aventureuse, gouleyante, se mettant souvent en danger et un peu hors du temps depuis toujours. Elle plaira à ceux qui aiment suivre ce phrasé si particulier et cette poésie un peu absconse et pourtant intime. Oui, même si ça sent le cliché, j’aime des trucs grandiloquents comme « They refused to be blinded by Rubens or Poussin ».

Les Sunn O))), un peu trop sages tout de même, jouent bien leur rôle de métalleux MAIS aussi d’artistes sensibles, bien sûr, et rameutent leur clique pour le concours de bite intello avec papy Walker. L’artiste Giselle Vienne, qui avait fait jouer O’Malley sur scène dans le duo KTL avec Peter (aka Pita Rehberg) pour sa mise en scène de « Kindertotenlieder » de Denis Cooper (Mahler de malheur, tout ça) fait donc la clippeuse de luxe pour « Brando » (à ranger avec le beau clip d’Olivier Groulx pour « Epizootics » tiré de « Bish Bosch »). Du coup, on a pour le même prix droit à la Robbe-Grillet en haute couture qui passait par là, en bagnole : 

Revenons à nos moutons noirs.

 Parmi les grands moments, nombreux, qui semblent faire du surplace et pourtant sont en mouvement constant (magie, noire, du drone) signalons la fin de « Bull » tout en drone suspendu (presque cinq minutes) avec Dot Alison qui murmure quelque chose d’incompréhensible avec sa voix filtrée à travers une radio. Ghost in the machine, poltergeist, e tutti quanti : on y croit et c’est gravé dans les sillons.

Signalons encore dans « Herod 2014 », la mélodie berceuse tout à fait déchirante qui revient comme une mélopée « Ho ho Watenay, I’m closing in, I’m closing in » (tube à la maison), sur une corne de brume presque flûtée.

Le luxe dans cet album très ascétique se loge, bien entendu, dans les détails ici ou là, comme une feuille de thé se glisse, inattendue, dans le brouet doux et amer d’une tasse de sencha : on se laissera surprendre donc par les dissonances électroniques un peu partout ou par les rares percussions éparses et toujours bienvenues de Ian Thomas (coups de butoirs dans « Bull », plus retenues mais puissantes dans « Fetish »).

Finalement, alors qu’on attendait « Bish Bosch » comme le messie, on trouve Scott ragaillardi avec ce « Soused » divin sorti tout juste un an après. On pourrait presque parler de disque spontané (même si l’envie de collaborer remonte à loin et qu’on aurait pu entendre Scott sur « Monoliths and Dimensions ». Ce qui aurait été totalement dingue, non ?) plein dans son minimalisme forcené et sain antidote aux ballonnements de « Bish Bosch ». Merci Sunn O))) pour la cure, quant à Scott, continuez s’il vous plaît : le noir vous va si bien au teint.

 

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