Cela fait des années que l’on est séduit par les compilations Seriously, Eric, oeuvres d’Alter K qui dégote à chaque fois de nouvelles têtes et talents. On a voulu en savoir plus, alors on a posé quelques questions à Olivier Rigout, directeur artistique de la maison.
Qu’est-ce qui déclenche l’envie de faire un volet de Seriously, Eric ? C’est quoi le point de départ ?
C’est tout simplement le fait de découvrir, d’aimer des nouvelles chansons et de se dire, ‘tiens ça pourrait coller à l’esprit des Seriously, Eric ? et ça serait cool de la faire découvrir’. Pour ce 7e volume c’était clairement Husbands avec le titre et super clip ‘You, Me, Cellphones’ qui m’a donné envie de me lancer. Quand je commence à en avoir repéré assez je me mets à élaborer un tracklisting et on écoute plein de fois au bureau avec mes collègues. C’est assez simple, intuitif et ludique à vrai dire. Un peu comme quand adolescent je faisais des cassettes en enregistrant la radio pour partir en vacances. Un walkman et quelques cassettes pour des milliers de kilomètre en voiture, mieux vaut bien choisir, sinon on se lasse vite 🙂
Est-ce qu’arrivé au 7ème volet, il est dur de se renouveler ?
La difficulté c’est plutôt de bien sélectionner et bien articuler les chansons entre elles. Parfois on hésite entre deux chansons d’un même artiste et comme elles ne véhiculent pas la même émotion, ça remet tout en cause. C’est un jeu de mikado. Ce qui compte c’est le rendu final : est-ce qu’on a passé un bon moment en écoutant le tout, est-ce qu’on a découvert des choses, est-ce qu’on a voyagé, est-ce qu’on a envie de remettre ‘play’ ou d’en parler à ses amis… J’essaye de ne pas me répéter et de ne pas être prévisible. C’est important d’inclure des ‘accidents’ ou disons des ‘surprises’ et de choquer un peu. Ni être trop consensuel, ni trop snob. Je suis fier d’avoir Secret Colours à côté de Chevalrex par exemple.
Comment arriver à trouver des artistes parfois inconnus ou presque ?
Chez Alter-K on travaille tous les jours avec des labels, éditeurs, manageurs, journalistes… on arrive assez facilement à trouver en amont des chansons qui pourraient s’inscrire dans ce projet. C’est la magie de la musique, une bonne chanson sortie de nulle part peut changer la donne. Pour moi le propre de l’art c’est de créer des besoins ou des envies qu’on avait pas, et de donner le sentiment d’être vivant. Une bonne chanson peut provoquer un sentiment aussi fort que l’amour ou une drogue. Sur le dernier j’ai par exemple complètement flashé sur Les Gordon ou Talk To Robots, en qui je fonde beaucoup d’espoirs. C’est moderne, unique, difficile à décrire et ça donne envie de mettre en mode ‘repeat’.
Il y a des groupes qui viennent vous trouver pour figurer sur une compilation ?
Oui ça arrive très régulièrement. C’est plutôt flatteur, surtout quand c’est des groupes dont je suis fan. Je suis aussi content quand on fait bosser des artistes ensemble pour avoir une exclu, comme The Legendary Tigerman feat. Peaches remixé par Eckman sur le vol. 4.
Si c’est toi qui aborde un groupe, tu vas lui présenter le projet comment ?
S’ils ne nous connaissent pas, j’explique simplement qu’on est cool et pro et que j’aimerais vraiment qu’ils fassent partie de la compilation. Si ça ne suffit pas, qu’on travaille avec des artistes uniques et reconnus internationalement comme Omar Souleyman, Black Devil Disco Club, Wax Tailor…
Comment se fait la sélection ?
C’est en forgeant que l’on devient forgeron. Au départ je n’avais pas d’idée précise pour Seriously, Eric? je ne pensais faire qu’un seul volume. Mais comme il y a eu beaucoup d’enthousiasme au niveau de la presse et en synchro, on s’est dit qu’on tenait quelque chose. L’idée d’une collection est vraiment venu dans un second temps. C’est marrant de se dire qu’il y a un espritSeriously, Eric? alors qu’on avait pas du tout prévu au départ. La direction artistique c’est toujours plus facile à expliquer à posteriori quand on a eu un bon alignement des planètes sans savoir forcément pourquoi. Disons que chez Alter-K on est plutôt fort pour provoquer la chance 🙂
Est-ce que le choix final des artistes se fait en fonction d’un équilibre entre les styles par exemple ?
Bien sur, c’est un jeu d’équilibriste. J’adore des DJs comme Andrew Weatherall, Laurent Garnier, Egon ou Gilles Peterson qui ont une palette de goûts très larges et sont capables de passer par exemple du reggae puis de la cosmic disco. De même mes groupes préférés The Jon Spencer Blues Explosion ou Primal Scream le sont parce que justement ils arrivent à combiner plein d’influences différentes et à en faire un truc personnel qui traverse les modes. Je m’ennuie si j’entends de A à Z la même chanson alors j’essaye de voir comment faire cohabiter un titre de folk comme le Astronauts et un titre yéyé punk francophone comme le Donzelle remixé par Plaisir de France.
J’ai l’impression qu’il y a une espèce de « famille » Seriously, Eric, je pense à Black Devil Disco Club, Frank Rabeyrolles et ses projets, Alpine Decline ou Kid Francescoli, en plus d’une connexion du Sud-Est (Alpes, Oh Tiger Mountain, le Kid, Husbands…), est-ce que c’est conscient ?
Oui bien sur, il y a des artistes dont on est proche chez Alter-K. Pour le dernier volume c’est un peu ‘droit au but’ ou ‘planete mars’ effectivement. On travaille avec Kid Francescoli depuis 5 ans je crois, on est très fier de son parcours et de voir que sa musique plait de plus en plus et pas seulement qu’en France. Sa tournée actuelle se passe à merveille. Après, comme ses meilleurs amis sont Mathieu d’Oh! Tiger Moutain et Simon de Nasser et qu’ensemble ils forment le super groupe Husbands… de fil en aiguille on a été amené à travailler avec toute cette scène. Alpes c’est des Niçois au départ, mais ils sont proche de Kid Francescoli et du festival Yeah… je les ai connu via mon petit frère qui a fait ses études avec eux. Il m’avait dit que c’était les seuls mecs cool de son établissement. A ses heures perdus, ma copine fait aussi souvent office de directrice artistique quand j’ai un doute. Elle tranche de manière très nette. Comme tu vois c’est assez familial et collégial au final.
Sur le volume 7, il y a 20 titres, je crois que c’est un record. C’est par choix, ou c’était trop dur de choisir ?
On essaye d’être généreux, 20 titres c’est effectivement le maximum, mais j’ai soumis la compilation en entier à plusieurs personnes de choix avant, et comme tout le monde m’a dit que ça s’écoutait facilement de A à Z je me suis dit que c’était bon. Il y a pourtant des titres assez déroutant dans ce 7e volume, comme le Red Snapper ou le Lorelle Meets the Obsolete, qui sont très longs, ce sont des sortes de transe. L’une plutôt afro-funk, l’autre plutôt shoegaze-psyché. Mais ils s’intègrent très bien dans le format pop coloré de la compil. Ca permet de respirer un peu.
Est-ce qu’il y a des groupes dont tu es fier d’avoir parlé avant qu’ils connaissent le succès ? Quelle est ta plus belle découverte à titre personnel ?
Bien sur, c’est une grande fierté d’avoir été les premiers à parler de Thylacine, L’Imperatrice, Nameless, Sauvage, Radio Elvis ou encore Isaac Delusion… C’est extrêmement valorisant d’être le premier à défendre un artiste ou une chanson et de voir que ça porte ses fruits. Evidemment quand je fais la promo des compilations et que personne n’est familier avec les noms, j’ai parfois l’impression d’être un peu trop en avance et de parler chinois, mais c’est justement ça qui est excitant. Je me dis qu’en 2016 certains artistes inconnus du vol. 7 seront plébiscités par les media et un plus large public.
Si tu pouvais choisir un groupe, n’importe lequel, pour figurer sur Seriously, Eric ? #8, quel serait-il ?
C’est difficile mais en ce moment j’aime beaucoup Ibeyi, un duo franco-cubain de soeurs. Vous en entendrez forcément parler en 2015.
J’ai l’impression que vous avez su fédérer un public autour de ces compilations, un univers musical, esthétique au travers des pochettes aussi. Est-ce que c’est ton sentiment, et si oui quelque chose qui te rend fier ?
Je suis content que tu parles du graphisme, car effectivement les pochettes jouent un rôle très important. Je suis fier quand on met les sept volumes côte à côte, ça forme une jolie fresque. Pourtant rien n’était calculé au départ et entre Kumisolo et Bikini Machine il y a un monde, mais pourtant ça fonctionne. Ce sont souvent des photos de vacance de mes amis. (et donc par conséquent mes amis sur les pochettes). On voulait quelque chose qui soit simple, efficace, amical, spontané, vivant et un peu bizarre ou disons intriguant aussi. La pochette c’est souvent la grande inconnue, il est difficile de trouver une bonne photo qui synthétise bien le contenu des compilations. Généralement je repère du premier coup d’oeil quelle sera la prochaine. J’ouvre déjà l’oeil pour le prochain volume.